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CROISIÈRES A LA CÔTE D'AFRIQUE

PAR M. LE VICE-AMIRAL FLEURIOT DE LANGLE [1] .

1868. - TEXTE  ET DESSINS INEDITS

XV

Grébos. - Meurs, coutumes. - Superstitions. - Marques caractéristiques. - Enterrements. - Double vue. - Les esprits Kens. -Le duc du Sestre. - Importunité des noirs. - La lagune de Glé. - Paï-pi-bri. - Femmes fétiches. - Pèlerinage. - Saint-André.


En quittant le cap des Palmes où l'aspect général des terres révèle une contrée montueuse, on entre dans le pays des Grébos ou Greboë, famille peu différente des Croumanes : plus grands, plus sveltes que ces derniers, les Grébos ont eu moins de rapports avec les Européens, qu'ils recherchent aujourd'hui. Ils s'engagent maintenant sur les navires qui font le commerce, pour servir de courtiers, et suppléent aux équipages, comme les Ménas proprement dits.

Les Grébos ont une stature moyenne de un mètre soixante-cinq centimètres à un mètre soixante-quinze centimètres. La nation se divise en douze familles; chacune d'elles est gouvernée par l'homme le plus âgé. Ils ont un trésor public, qui s'alimente des retenues exercées sur les gages des jeunes gens employés sur les navires de commerce ou les bâtiments de guerre. La polygamie est leur règle générale; ils achètent une femme au retour de chaque expédition; la raison qu'ils donnent de cet usage est spécieuse : un homme est d'autant plus puissant qu'il a plus d'alliances, et le nombre des beaux-pères entre pour beaucoup dans l'influence individuelle de chacun d'eux. D'ailleurs l'intérieur du ménage ne s'accommode point, suivant eux, de la monogamie: la femme qui est seule est accablée de besogne; elle réclame bientôt l'aide d'une compagne.

Lorsqu'elles sont deux, elles se disputent, me .disaient mes noirs; nous en prenons une troisième pour servir de contre-poids; mais alors elles se mettent deux contre une, et l'équilibre ne se rétablit que lorsque nous en prenons une quatrième ; le nombre quatre figure l'harmonie parfaite.

Quoi qu'ils en disent, le diable n'y perd rien; elles se mettent alors en bataille rangée, deux à deux, car la femme noire a l'humeur batailleuse.

Les gens qui habitent du cap de Monte à Frisco, regardent la terre comme commune entre eux, et la possession en est regardée comme précaire; ils ne comprennent pas toujours la valeur d'un acte par lequel ils concèdent une possession foncière quelconque ; il en est souvent de même du droit de souveraineté, qu'ils transportent à des étrangers. Ils s'imaginent presque invariablement que toute concession est temporaire et réversible, et que la mort du chef de terrain qui a concédé l'avantage annule la donation.

J'ai constaté l'existence des chimpanzés depuis le Rio Nunez jusqu'au Grand-Bassam; ils se divisent en deux espèces, dont l'une est beaucoup plus forte que l'autre. J'en ai conservé un pendant longtemps; il était très sociable; les matelots lui avaient appris l'exercice du fusil et du sabre; il s'était attaché à moi, se promenait sur le pont à mes côtés, très gravement, en tenant mon pantalon par la main, pour se maintenir dans la position verticale ; il ne marchait pas comme les singes en ouvrant la main de devant, mais en s'appuyant sur le dos de la main et refermant les doigts; les gorilles usent du même mode de locomotion.

Les Grébos, comme les Croumanes, naissent libres. Une grande ligne de tatouage bleue, qui prend du front aux ailes du nez, leur sert de marque distinctive, et leur permettait de se livrer jadis à la traite des esclaves, sans courir le risque d'être vendus ou enlevés par les négriers. L'esclavage continue à exister parmi ces peuplades; il est généralement doux; l'esclave est acheté à l'âge de neuf ou dix ans; il vient de l'intérieur, et parcourt la distance qui sépare la côte de l'intérieur à petites journées. Il se fait un commerce considérable de jeunes esclaves le long de la côte; ils sont transportés rapidement d'un point à un autre en pirogue. L'esclave est généralement occupé à la culture de la terre; il est traité avec soin dans la famille qui le reçoit, et lorsqu'il devient homme, son maure achète une jeune fille qu'il lui donne pour compagne. Il est soumis à la servitude sa vie durant, mais ses enfants naissent libres, et souvent le tatouage symbolique inscrit sur sa figure le préserve du retour de la mauvaise fortune.

Les moeurs que nous avons déjà décrites plus haut se retrouvent parmi les Grébos. Les enterrements y diffèrent peu de ceux qui sont en usage dans les autres tribus; les femmes, comme dans toute l'Afrique,

jouent un grand rôle dans cette cérémonie; le corps ne peut être confié à la terre que lorsque la sœur aînée du défunt a reconnu le cadavre, que l'on inhume avec un gigot de mouton et un court bouillon versé dans la bière. Ce viatique est destiné à pourvoir aux besoins de son long voyage; car les Grébos croient à l'immortalité de l'âme, aux esprits et aux apparitions.

Il n'est pas rare de voir des femmes prétendre que leur frère leur est apparu; dans ces circonstances, le fantôme ne répond pas aux interrogations qui lui sont adressées, et suit son sonder sans détourner la tète; il porte souvent à la main le gigot caractéristique que l'on met dans sa bière ; plusieurs femmes assurent qu'elles n'ont eu connaissance de la mort de leur frère qu'après cette double vue, et qu'arrivant en toute hâte, elles ont trouvé leur pressentiment réalisé.

Les Grébos reconnaissent un être suprême, créateur de toutes choses, auquel ils donnent le nom de NiouSana. L'esprit du mal se nomme Kou; après sa mort, l'esprit de l'homme est rangé parmi les bous; le kou est souvent vindicatif et malfaisant; il témoigne sa puissance en faisant gronder le tonnerre et gonfler la mer. II est remarquable que les Pahoins ou Fans, qui sont arrivés de l'intérieur faire tête au Gabon, se servent du même mot n'Icou, pour désigner un esprit; les lions ne seraient-ils pas venus d'Égypte, le dieu Chons y étant plus spécialement chargé de chasser le mauvais esprit'!

Les Français ont fréquenté la côte des Graines et la côte des Dents à des époques très-reculées. Leurs principaux établissements étaient en deçà du cap des Palmes ; nous avons déjà fait remarquer qu'ils avaient précédé les Portugais en Afrique ; les villages du grand et du petit Sestre furent nommés par les Dieppois grand et petit Paris ; les noms de grande Butte ou des Butteaux, de grand et petit Dieppe, attestent aussi le séjour qu'ils y firent. Les chefs du Sestre sont encore très-fiers du titre de duc, octroyé par le roi Louis XIV à leur chef. Ils se parent toujours de ce titre, conservé depuis plus de cent cinquante ans dans la même famille ; la perruque à la Louis XIV, le parchemin du brevet, sont enfermés dans le coffre du chef.

Les cases des villages des Croumanes et des Grébos sont vastes, bien aérées, entourées d'enclos et de jardins ; elles ont la forme quadrangulaire, et dénotent quelques principes d'architecture ; ces formes ne varient pas sensiblement, jusqu'au territoire du Gabon; à la côte d'Or, des dessins viennent orner les parois des cases.

J'ai parcouru la côte de Malaguette à pied pour en dresser le plan hydrographique, et l'accueil que j'ai rencontré dans les villages a été généralement bienveillant. En accomplissant cette tâche fatigante, j'étais souvent obligé de faire de longues courses avant de trouver, à l'endroit convenu, le panier qui contenait mon déjeuner; je me rappelle avoir un jour provoqué l'étonnement de mes noirs, en avalant un oeuf de caïman : Mais il va te venir des petits caïmans dans l'estomac; ce n'est pas mangeable; fais pas ra, commandant.

La faim et la curiosité l'emportèrent sur toutes les remontrances; l’œuf de caïman ressemblait parfaitement à un oeuf d'oie, dont il avait la forme et la couleur, et ce fut pour moi un réconfortant qui me permit do faire les deux lieues dut me séparaient de mon déjeuner.

Les pirogues des Cromnanes, faites pour f(re montées par quatre hommes de file, sont légères et effilées des deux bouts ; elles atteignent une grande vitesse lorsqu'elles sont pagayées avec force. Après le cap des Palmes, les pirogues deviennent plus lourdes et plus grandes; elles peuvent recevoir vingt hommes, dut sont assis en couple ; cet équipage manœuvre ses pagayes avec une vitesse vertigineuse.

La côte des Crébos passait autrefois pour dangereuse; elle porte encore sur de vieilles cartes le nom de côte de mal gens; quelques pillages récents indiquent assez que leurs anciennes mauvaise, dispositions n'ont pas tout à fait disparu; mais ils craignent aujourd'hui les navires de guerre, et ne se hasardent plus, sinon bien rarement, à faire de la piraterie ; il ne serait pourtant pas prudent de laisser trop encombrer les navires par les naturels ; j’en ai eu jusqu'à deux cents à la fois sur le pont de la Malouine; ils sont, s'ils se sentent en nombre, sourds à toutes remontrances. J'usai un jour d'un stratagème qui me réussit parfaitement. Je fis prendre en laisse un très fort chien, qui menaçait de les appréhender à belles dents aux mollets, et même plus haut, et comme ils ne sont pas défendus par des haut-de-chausses, ils étaient très exposés aux morsures de Monsieur Pic; aussi le pont fut il déserté en un instant, et l'on entendit de longs éclats de rire partir de l'eau, où toute la gent noire, après avoir piqué. une tête, avait été chercher un refuge assuré dans ses pirogues.

C'est un art d'équilibriste que de manœuvrer une pirogue ; le moindre faux mouvement ou une forte lame la fait chavirer ; quelle adresse pour la redresser, pour la vider! le dernier tour de force s'accomplit en y montant. C'est un jeu d'enfant de remonter dans les pirogues du Sénégal, armées à chaque extrémité d"une pointe aiguë, mais la pirogue du Croumane est recourbée ; il .faut l'embrasser des deux mains, et s'élancer de l'eau d'un seul bond, comme un habile cavalier le fait lorsqu'il a saisi la crinière de son cheval.

La plus importante des rivières du Grébos est Cavally. D'après toutes les recherches que j'ai faites, la rivière du Grand-Bassam, celles connues sous le nom de Rio Fresco, Saint André, Biribi, Cavally, seraient les déversoirs d'une lagune intérieure, recevant toutes les eaux qui s'écoulent des monts Kong. Les Grébos nomment cette lagune Glé ; ils affirment que ses eaux sont profondes, qu'elle a quatre milles de largeur, et que les naturels la parcourent depuis les Lahou jusqu'au-dessus de Biribi et de Cavally.

Les rivières qui descendent à la côte sont torrentueuses, et franchissent plusieurs terrasses avant d'arriver à la mer. On ne peut pénétrer au delà de trente kilomètres sans rencontrer la première cataracte.

La rive méridionale de la lagune de Glé est habitée par des peuples noirs qui portent le nom de Gleboë, et sont souvent en hostilité avec les Croumanes. Une population blanche, à laquelle les gens de Biribi donnent le nom de Paï-pi-bri, fait sa demeure sur la rive nord; les Paï-pi-bris se confondent probablement avec les tribus qui sont désignées sous le nom de Paw par les missionnaires américains du cap Mesurade et du cap des Palmes, qu'ils disent être de couleur claire.

Une négresse, enlevée dans un des villages qui avoisinent Galam, pendant la guerre de l'Hadji Omar, était  arrivée de maître en maître jusqu'aux portes de Dabou ; elle y fut recueillie par un tirailleur sénégalais. Cette femme m'a assuré que dans ce long trajet, qui avait duré près de deux ans, elle avait rencontré des populations blanches qu'elle attribuait aux Touarecks ; en parlant du Grand-Bassam, j'aurai l'occasion de parler de cette femme, que nous nommerons Fatma pour la reconnaître.

Les Paï-pi-bri et les Gléboés ne peuvent quitter leurs rives respectives ; ils ont des ports neutres, favorables au commerce d'échange qui se, fait de la façon la plus primitive. Les gens de la côte importent des étoffes, du tabac, de la poudre, des eaux-de-vie, du rhum, qu'ils échangent surtout contre des dents d'éléphants, dont l'abondance a fait donner à cette côte le nom expressif de côte des Dents.

La confrérie des Pourahs est en vigueur dans toute cette contrée, et l'abondance des masques que l'on apporte sur nos navires pour les y vendre, prouve que cette association doit y être en grand honneur.

Un des grands délassements des Croumanes dans les factoreries est de se travestir les jours de fêté en féticheurs, pour exécuter les danses caractéristiques qu'ils nommént danse Madame.

Les établissements de femmes fétiches se retrouvent avec quelques variantes sur la rivière de Glé, qui porte aussi le nom de Baoulé ou de Baouré, et se confond avec la rivière de Baouré du Grand-Bassam. Suivant les affirmations de mon chef croumane, la reine fétiche doit se poser aux jambes une espèce de cautère qui provoque un éléphantiasis artificiel. Les gens qui courent les aventures et qui cherchent un talisman à toute épreuve, doivent s'adresser à la reine aux jambes gonflées; la faveur qu'elle leur accorde est peu enviable, écoutez plutôt : - Elle prend avec un cure dent un peu de cette matière due secrète l'exutoire qu'elle s'est posé à la jambe, et cette liqueur sanieuse devient le sangral , qui permet aux Croumanes de sortir victorieux de tout mauvais pas. Mais, horreur! il faut avaler sans sourciller le philtre, pour que son charme opère d'une façon permanente.

La reine fétiche est le chef d'un établissement nommé Boulingbé, où des femmes, vouées au célibat, habitent par couple dans des cases séparées; le sexe fort est sévèrement proscrit de la confrérie, dont les dépendances sont entourées de hautes tapades [2] . Cependant la société de ces amazones doit se renouveler sous peine de périr; c'est la loi qui régit ici bas toute chose : il faut donc admettre que la loi est éludée.

De ces unions clandestines peut naître une reine, car les filles sont élevées avec grand soin et sont destinées à perpétuer l'institution. (Quant aux enfants mâles, ils sont fatalement immolés au Moloch africain. Cette coutume s'exerce cbez les Malouas avec une rigueur encore plus absolue, car toute femme qui fait ses couches dans le camp, voit sacrifier son nouveau-né.

Les montagnes du pays des Grébos ne manquent pas de grottes sacrées; l'une d'elles est célèbre dans tous les cantons avoisinants par sa vertu fécondante.

Les ménages que Lucine n'a jamais visités y font des pèlerinages. La foi fait des miracles : il suffit que les conjoints mettent le bras dans le trou du rocher et se donnent la main à travers cet orifice, pour que la merveille s'accomplisse, et l'on a vu naître à la suite de cette cérémonie, consacrée par le féticheur, les plus beaux négrillons du monde.

Les villages de la côte des Dents se succèdent à de courts intervalles. Ces populations sont souvent en hostilité ouverte et ne peuvent traverser leur territoire réciproque sans courir le risque de la vie. Depuis plusieurs années les tribus de l'intérieur viennent se mêler

aux tribus riveraines, mais elles n'ont pas droit de cité.

San Pedro est un village assez faible.

Saint-André peut être regardé comme le terme de la côte des Croumanes. Sa rivière est large, et, quoique défendue par une barre, on peut la fréquenter à mi-marée avec des embarcations.

Dans les temps éloignés dont je parle, les gens de Saint-André avaient la réputation d'être anthropophages et il est probable qu'ils la méritaient, en sorte que les personnes qui s'y attardaient seules n'étaient pas toujours sûres de n'être pas mises à la broche. Un de nos

hommes, vigoureux matelot de Tréguier, fut pris, séquestré je ne sais à quelle intention, mais il se débarrassa des geôliers, piqua une tête dans la barre et vint rejoindre son canot, au grand ébahissement de la foule.

Ces gens furent très importuns pendant le séjour que les officiers firent à terre. Les lunettes vertes du commissaire produisaient sur ces sauvages l'effet de 1a tête de Méduse, et les plus audacieux étaient terrifiés.

Te n'ai jamais vu autant de masques qu'à Saint-André ; ces masques sont en bois, les trait, humains y sont grossièrement taillés; ils s'en servent pour faire leurs expéditions de guerre, pensant sans doute se mettre à l'abri des représailles sous l'anonyme du nias

que; du reste, cette coutume d'avoir des masques ou des perruques se rencontre parmi d'autres tribus, principalement chez celles qui avoisinent le Congo.

XVI

Côte de Quaqua. - Cap Lahou. - Grand-Bassam. - Traité. Piter, Waka. - direction du poste. - Fleuves africains. - Géographie  - Kong. - Bambaras. - Maisons de pierre à Gindé. - Ashantis.

La côte de Quaqua [3] suit la côte des Dents; les populations de cette fraction où commence la côte d'Or sont d'un caractère plus commerçant et plus sociable .que celles dont nous venons de parler. Établies sur les grandes lagunes d'eau douce du cap Lahou et du Grand-Bassam, elles peuvent facilement récolter l'huile de palme, qui devient l'objet principal de la traite que font avec eux les Européens. Il faut un matériel considérable pour faire la traite de l'huile, et offrir de sérieuses garanties de solvabilité. Les navires restent en dehors des barres et font aux courtiers les avances nécessaires pour qu'ils puissent parcourir les villages de l'intérieur, qui sont généralement établis sur la rive nord des lagunes, où se trouvent les forêts de palmiers.

L'autorité est mieux constituée parmi les peuples de la côte d'Or que parmi les Croumanes, et de puissants souverains y ont une politique et une action avec lesquelles il faut compter, comme les événements du cap Coast ne le prouvent que trop.

Cette abondance d'huile, la quantité et la pureté de for traité, avaient attiré mon attention. Lorsque vers 1840 il fut question de créer des centres, sur lesquels devaient s'appuyer les croiseurs pour extirper la traite des esclaves, ces parages devinrent le sujet d'une étude spéciale. Aussi, lorsque en 1843 le gouvernement se décida à seconder l'action des croisières, en fondant des comptoirs propres à substituer le commerce légitime au trafic des esclaves, la rivière de Bassam et celle d'Assinie se trouvèrent-elles naturellement désignées comme centres de ces établissements; ce fut à moi qu'échut le soin de nouer des relations à ce sujet avec les naturels de ces deux rivières.

Je débarquai sur la plage du Grand-Bassam le 19 février 1843; je remontai le fleuve jusqu'au village situé à environ deux milles de l'embouchure. Je fus frappé de son aspect : de larges rues et des places publiques, plantées d'arbres aux larges feuilles qui leur donnaient une ombre salutaire; une population nombreuse, et qui semblait satisfaite, s'était portée à ma rencontre, sans cette curiosité importune qui accable les voyageurs. Les chefs, entre, lesquels se partageait l'autorité, s'assemblèrent chez le principal d'entre eux, surnommé Piter, et le palabre s'entama immédiatement.

La maison où se tenait cette assemblée avait de vastes proportions : la cour intérieure était garnie de divans, abrités par des vérandas dont les murs étaient enduits de glaise, sur laquelle était posé un badigeon rouge, dont la base était le rocou; des dessins représentant de grands lézards, des caïmans, des biches, formaient sur ce fond sombre des fresques qui donnaient à cette demeure un certain aspect artistique.

J'ouvris immédiatement la conférence en faisant connaître le but de ma mission.

« En venant s'asseoir à vos foyers, leur dis-je, la France n'a d'autre désir que de vous voir partager avec elle les bénéfices d'une civilisation qui, en augmentant votre bien-être, vous rendra supérieurs à vos voisins et vous permettra d'exercer sur eux un légitime ascendant, qui tendra à augmenter votre puissance et votre richesse. »

Ces simples paroles fixèrent leur attention. Habitués aux commentaires, ils n'avaient jamais entendu un pareil langage.

Il n'est pas facile de se figurer ce qu'est une assemblée de noirs ; nous allons tâcher de le faire comprendre.

Les assistants sont gravement assis sur leurs siéger; les chefs les plus éminents se groupent et .le plus grand chef se tient à part sur un siége isolé; il a un avocat qui parle pour lui. Le chef qui a la charge de commander les troupes en temps de guerre et de les mener au combat, porte un collier de dents de tigre autour du cou; il a des bracelets de dents de tigre aux bras et autour des chevilles des pieds ; il porte une longue lance et se tient debout pendant tous les débats; il est chargé de la police de l'assemblée et donne la parole aux orateurs; il a pour assesseur un avocat, qui résume les débats et tâche de faire comprendre aux auditeurs la portée de chaque discours, en montrant avec adresse la tendance du préopinant. Il faut avoir une grande mémoire et une grande habitude de la parole et de la discussion pour remplir ce rôle. Les femmes et les enfants sont sévèrement bannis de ces assemblées, accessibles d'ailleurs à tout habitant qui a satisfait aux coutumes; nous verrons plus tard quelles sont ces conditions.

Mon entrée en matière amena des discussions qui me prouvèrent que les chefs du Grand-Bassam n'étaient que des courtiers, des intermédiaires, obligés de manager les producteurs et de compter beaucoup avec eux. J'avais affaire à une population peu énergique.

Je trouvai un puissant auxiliaire dans Waka, qui, chef de la partie nord du village, était le plus exposé aux attaques de Potou et d'Abra. Waka était un homme de trente ans, à la figure ouverte, plus clair de teint que Piter, qui était aussi sombre de peau que de caractère [4] et aurait bien figuré dans un décor comme roi des enfers. Le discours de Waka démontra que la peuplade était isolée, qu'elle était composée de commerçants incapables de porter les armes, que les gens du Potou, de l'Ébrié, la tenaient bloquée suivant leur bon plaisir; que le Grand-Alepé et l'Acka ne leur étaient ouverts que suivant le bon plaisir du chef de Bounoua, Acka. Entraînés par la vérité de cette exposition qui peignait leur faiblesse en termes si nets, ils acceptèrent avec reconnaissance la planche de salut que je leur tendais, et ils reconnurent la souveraineté de la France, sous la réserve de s'administrer directement et de conserver leurs coutumes.

Il fallait voir avec quelle sollicitude mes fidèles Yoloffs avaient suivi les péripéties de cette conférence. Depuis notre arrivée, ils avaient fait autour de moi un cercle impénétrable.. Ils n'étaient que six, mais ils étaient des enfants de Guet-N'dar. Leur main n'avait pas quitté la crosse de leur pistolet, qu'ils dissimulaient sous leur chemise. Malheur à qui eût touché un cheveu du Borom Galguy, le chef du vaisseau.

En juin 1843, une petite flottille quittait Gorée, et paraissait en juillet sur la côte d'Or. l'Alouette, commandée par M. Philippe de Kerhalet, lieutenant de vaisseau, avait l'ordre de monter au Grand-Bassam un des trois blockhaus que le ministre de la marine avait fait construire en vue de servir de noyau aux établissements africains décrétés par l'ordonnance royale de 1843.

La Malouine, que je commandais, avait précédé l'expédition : je devais préparer l'occupation d'Assinie. Les transactions faites à Assinie seront relatées postérieurement : je reviens au Gand-Bassam, dont il est préférable d'épuiser le sujet avant d'aller plus loin.

Les embouchures des rivières africaines exposées à l'action incessante du vent et de la mer du large, et à l'action alternante des crues qui surviennent aux époques des pluies, se déplacent avec une facilité que l'on n'observe pas au même point autre part; d'ailleurs les forces centrifuges s'exercent sur la rive droite des fleuves, dont la direction se rapproche de la méridienne. Lorsque des roches résistantes se rencontrent dans leur parcours, elles servent de parois aux canaux que le fleuve se creuse au milieu d'elles : quand le terrain est composé de glaise friable, ainsi que cela se rencontre à la côte d'Afrique, les efforts des eaux forment bientôt un delta à travers lequel elles se divisent pour se jeter à la mer; le fleuve qui débouche au Grand-Bassam est dans ces conditions. Les derniers épanouissements du soulèvement qui fait le relief du continent africain viennent s'éteindre sur les rivages de l'Atlantique. Ces montagnes forment entre elles des vallées transversales et longitudinales ; les eaux des pluies s'y amoncellent et y forment des lacs permanents ou temporaires, qui an moindre ébranlement d'équilibre se précipitent vers la mer en suivant les déclivités de la montagne.

Quatre grands centres de population sont situés au nord du Grand-Bassam : Boudougou, qui est le chef-lieu d'un état indépendant; Kong, Mossi ainsi que Selga, dominent tous trois les passes de la montagne, et servent à établir des communications avec les terrains arrosés par le Niger. Les grands marchés d'Adingra, de Coumassie et de Baouré, qui ont tous une célébrité plus ou moins grande, sont situés dans un rayon plus rapproché de la côte.

Nous allons d'abord parler de Boudougou ou Boutoukou, situé à sept jours de marche dans le nordnord-ouest de Coumassie, capitale des Ashantis. Nous consignons ici ce que nous avons pu réunir de positif à l'égard de ces lieux.

Le Comoé, la principale branche de la rivière du Grand-Bassam, est navigable jusqu'à Alepé (Alipi). Il faut dix-sept jours pour se rendre d'Alepé à Boudougou, situé au nord-nord-est, dans la province de Sokoo, dont cette ville est la capitale. Après avoir suivi le cours du Comoé jusqu'à Coamé-Courou, la route se détourne brusquement vers l'est, avant d'arriver à la ville : un torrent se précipite du haut de la montagne à Mossi. S'il est incertain que ce soit le même torrent qui forme la rivière de Bia, laquelle passe à Boudougou et est l'un des affluents orientaux du Comoé, il parait constaté que pendant la saison des pluies le pays de Boudougou est inondé, et que les eaux se retirent dans deux grands marigots, dont l'un est près de cette ville et l'autre situé à une distance qui n'est, pas connue. Ce dernier doit être étendu, puisque l'on met un jour à le descendre. Ce marigot contient des pêcheries et on y trouve du gros poisson. Il est donc probable qu'il a une issue vers la mer. On met sept jours de route à se rendre de Boudougou à Kong, et l'on traverse dans ce voyage la province de Kerbe ou Kourbe, j dont la capitale est Nescian. De Nescian on se rend en trois jours à Kong, qui est dans le nord-ouest de Boudougou  .

Au sud de Boudougou se trouve la ville d'Adingra, qui, au dire des voyageurs, est presque aussi grande que Boudougou. Kong cependant l'emporte sur les deux autres villes. On se, rend en sept jours de Boudougou à Gindé ; la ville de Selga que l'on traverse dans le trajet est fortifiée, et l'on y a établi des douanes et des péages. Elle appartient aux Ashantis; elle est à est et ouest de Boudougou.

Gindé est habitée par des blancs ayant des maisons de pierres. Toutefois, Mama Saracolet, de Jenné, m'a déclaré que Gindé est habité par des Foulahs. Les peuples qui habitent Boudougou, Nescian, Kong et Adingra, sont Mandingues ou Bambaras; le Colombo ou cola y est parlé concurremment avec l'agny, langue d'Assinie et du Grand-Bassam. Quelques-uns de ces peuples sont idolâtres ou fétichistes ; les autres sont mahométans ; le mahométisme fait incessamment des prosélytes dans ces parages. Le sultan de Kong porte le nom d'aly et de toutougni; sans doute ce dernier mot est un titre analogue à ceux de teign et de tonkas, désignation des chefs bambaras ; il est puissant et entretient de l'infanterie et de la cavalerie. Son pays est riche en bétail et en or. Il ne laisse travailler mines qu'à la condition qu'il lui soit payé une forte contribution; généralement les grosses pépites sont remises aux rois.

 Le chef de Boudougou paraît porter plusieurs noms; il est désigné dans les interrogatoires tantôt sous le nom de Agimani, tantôt sous celui de Mollem Bouroum.

 Il est à remarquer que Bouromy signifie blanc en langue du Grand-Bassam. Il est indépendant du sultan de Kong dont l'autorité paraît s'étendre jusqu'à Mossi , qui, au rapport d'un esclave bambara natif de cette localité, n'en serait éloigné que de vingt lieues.

L'autorité d'Agimani paraît bien établie dans les provinces de Sokoo, de Suman; il est à penser qu'elle est également reconnue dans le Clamart, situé dans le sud-ouest de Boudougou. Les Bambaras m'ont affirmé que le 'Pakima et le Safoy ou Saphony appartenaient aux Ashantis, et que le champ de bataille de Tin, à la suite de laquelle le Gaman recouvra la liberté, était situé dans le Safoy.

Féassé, situé sur le Comoé, à cinq jours de Koutou Krou, est la limite des possessions des Ashantis vers l'ouest. Le pouvoir cl'Amadifou s'y exerce conjointement avec le leur. Les agents des Ashantis ne laissent pas les voyageurs pénétrer dans la province soumise à l'autorité de leur souverain.

Le Comoé sert de voie commerciale aux voyageurs qui suivent son cours pour venir faire le commerce à la côte occidentale : les langues que parlent les Bambaras ont toutes pour base le malenké ou le Colombo. Les tirailleurs sénégalais originaires de Sego-Sikoro, situé sur le Joliba ou Niger, comprennent ces langues; ils m'ont constamment servi d'interprètes.

Les itinéraires suivis par les marchands ont toujours fait l'objet de notre examen. Les premiers Bambaras que j'interrogeai, en 1843, portaient des vestes et des culottes à la mauresque. Ils me dirent qu'ils connaissaient bien le Sénégal, et qu'ils faisaient alternativement des voyages à Bakel et au Grand-Bassam [5] . Koutou Ki-ou, Alepé, Bounoua sont les points les plus importants du cours du Comoé. Les cataractes qui barrent les rivières africaines prouvent qu'il y a eu un affaissement général du terrain. de la côte d'Afrique, parallèlement au rivage de la mer. Ce parallélisme s'observe depuis Sierra-Leone jusqu'au Niger, et commence à vrai dire aux cataractes du Felou au Sénégal; ce fait géologique explique les plaines que l'on rencontre de l'autre côté de ces affaissements.

L'empire des Ashantis est limité à l'ouest par le Tando qui est leur rivière sacrée. Elle se jette à Assinie. Le Dankara, situé au-dessus d'Axim, se remue sans cesse pour recouvrer sa liberté, et ces oscillations ne sont pas étrangères à la guerre actuelle qui se poursuit entre les Ashantis et les Anglais.

Baouré est situé sur une grande lagune large de sept à huit mille mètres ; les naturels la nomment Gindé.

On peut aller par la rivière du Comoé à Baouré ; les escales sont au nombre de sept; on met huit jours à exécuter le voyage; il faut remonter jusqu'à Goffin, appelé également Costrine. Si l'on veut éviter le détour, on s'arrête à Agnasoui, où la rivière est encombrée de roches, et l'on gagne Baouré à pied en un jour. Les Bambaras comptent Baouré comme une de leurs étapes en allant à Boudougou. En partant de Toupa on met seulement deux jours pour se rendre à Baouré.

Agnima, deuxième chef d'Abidgean, né à Baouré, orfèvre de son métier, m'a déclaré que la rivière de Baouré est large comme la lagune devant Dabou, qu'on peut aller de Dabou à Baouré en quatre jours, en faisant de petites journées, et qu'on passe huit marigots, dont, l'un est aussi large que la lagune du Grand-Bassam.

De Baouré en deux jours de pirogue on arrive à Ninguin ; de Ninguin à Bomboury en deux heures.

La rivière de Gindé va se jeter au cap Lahou, nommé Briqué; il y a cinq stations : deux par eau et trois par terre, entre Débrimou et Baouré.

La ville de Baouré est traversée par le Gindé. La partie située au nord se nomme Brafombra. La lagune de Gindé reçoit la rivière torrentueuse de N'ji dont le lit est parsemé de roches; N'ji, sur laquelle est située la ville de Bathra qui est considérable, vient de Kong. Les versions se contredisent relativement au gouvernement de Baouré, qui suivant certains rapports serait vassal d'Agimani ou d'Amadifou; suivant d'autres, elle aurait un chef indépendant.

Le commerce de Baouré consiste en or, en riches pagnes de coton dont la souplesse et l'éclat rehaussent la valeur. Les Bambaras viennent sur ce marché avec des chevaux; il ne leur est pas permis de dépasser Baouré.

Un des jeunes gens de Tiackba, élevé à Gorée, où il avait appris à lire et écrire, m'a assuré qu'il existait entre Tiackba et la presqu'île qui sépare les deux lagunes de Lahou et de,Bassam, une rivière que l'on remontait pendant dix jours, et que c'était par cette voie qu'on apportait l'or à la côte. Ce fleuve pourrait bien être un des marigots traversés pour aller à Baourë. J'ignore sous quel nom il est désigné.

 Il paraît assez évident, en rapprochant toutes ces données, que le Comoé, la rivière d'Aghien, celle d'Aïbi, et celle signalée derrière Tiackba, sont les branches d'un grand fleuve, dont la lagune de Gindé serait le cours principal, et qu'ainsi que me le disait Coutou Kan, chef d'Abra (voy. p. 384), l'Ébrié est un vaste delta où tous les marigots se croisent. Les inter rogatoires que j'ai fait subir aux Bambaras, Saracolets, aux esclaves venus de l'intérieur, me font supposer que les rivières qui passent à Kong et à Mossi, déjà puissantes lorsqu'elles traversent la montagne, prennent leur source dans des plaines situées de l'autre côté des monts Kong, car le versant sud des montagnes d'Afrique est plus rapide que le versant nord. Suivant les lignes de plus grande pente, les eaux arrivent jusqu'à la côte de l'Atlantique en franchissant les différents étages de la montagne, où elles forment une série de lacs superposés.

XVII

Exploration des lagunes. - Organisation politique. - Hostilités. - Traités de paix. - Prix du sang, - Droit de vie et de mort.- Sacrifices humains. - Pêcheurs.

Il est inutile de raconter les travaux successifs des officiers qui ont fait les reconnaissances du Comoé et celle de la lagune; il suffit au lecteur de savoir que ces travaux, poursuivis sans relâche pendant vingt ans, ont permis de dresser un plan d'ensemble qui est satisfaisant. Les sources d'eau douce qui se réunissent dans la lagune du Grand-Bassam peuvent se diviser en trois bassins qui ouvrent un vaste champ à notre activité commerciale.

Dès que l'on a franchi la barre du Grand-Bassam, on est frappé de l'aspect grandiose du fleuve Comoé; c'est une perspective à perte de vue qui n'est limitée au nord que par Abra. Les deux rives, couvertes de mangliers et de palétuviers, encadrent bien,le tableau; ces arbres étranges qui croissent dans les eaux saumâtres forment de chaque côté de la rivière des haies épaisses et sombres, qui dérobent à l'oeil le plus pénétrant le relief du terrain; leurs racines élevées et noueuses s'implantent profondément dans la vase, et toute une faune parasite y élit domicile. Les huîtres de mangle s'y groupent autour des branches; une espèce d'amphibie muni de deux pattes pectorales y sautille lourdement à travers les branchages et les racines. Les huîtres de mangle sont une précieuse ressource : après que le mollusque a servi de nourriture à une partie de la population des lagunes, les écailles sont recueillies et servent à faire la chaux qui leur est nécessaire. Cette végétation parasite s'implante sur tout relai de mer et sur tout atterrissement qui surgit, et elle les fixe et consolide rapidement; elle encombre ainsi bien vite les plus vastes criques, lorsqu'elles ne sont pas traversées par un violent courant.

C'est derrière ces lacis inextricables qui couvrent les plages de l'Afrique tropicale et leur donnent un aspect particulier, que les noirs les moins civilisés cachent à tous les yeux leurs villages, vrais repaires d'amphibies. Telles sont les positions qu'affectionnent au Gabon les Pahoins, à Madagascar les Saklaves. Il n'en est pas de même de la côte d'Or; les villages y sont grands, spacieux, et ils s'épanouissent au soleil, bien assis sur les plateaux qui couronnent les berges des lagunes.

Dès que l'on quitte les eaux saumâtres pour pénétrer dans les eaux douces, l'aspect des rives change pour ainsi dire à vue d’œil : partout les pandanus aux noueuses racines et aux bras couverts de longues feuilles minces qui ressemblent à une chevelure de deuil, les élégants hibiscus aux éclatantes fleurs, et d'autres plantes semi-terrestres, semi-aquatiques, remplacent les sombres palétuviers; leurs énormes proportions dans ces climats rendent moins sensible la transition de la zone lacustre à la zone de terre ferme. Dès qu'on y a pénétré, les arbres de différentes essences et les palmiers apparaissent dans les terrains dut s'éta-

gent le long des berges. Les palmiers sont le trésor des populations africaines; ils donnent deux récoltes par au; leur fruit pend, sous la forme d'immenses grappes d'un rouge incarnat.

C'est dans ces contrées rocailleuses que naissent les arbres gigantesques qui servent à faire les pirogues ; les plus grandes ont vingt mètres de long et peuvent contenir cent hommes ; ce sont les grandes embarcations de guerre au moyen desquelles les chefs font respecter leur autorité, quand elles ne servent pas à porter la guerre chez leurs voisins, car l'ambition est de tous les pays. Ces pirogues sont sculptées avec soin, peintes de couleurs voyantes.

Les terrains continuent à s'élever à mesure que l'on remonte le fil des taux douces, et les villages, qui ne trouvent plus assez de place pour se développer près de la plage, sont assis sur la crête des petits contreforts, dont le pied, miné par les eaux, forme des falaises abruptes. Les berges du fleuve atteignent quelquefois quarante et cinquante mètres d'altitude.

Les villages qui couronnent les hauteurs sont fortifiés. Une ligne de pieux, bien reliés entre eux à l'aide de traverses solidement fixées par de souples lianes, devient un obstacle infranchissable sans le accours de la sape. Les approches des villages sont défendues par des ouvrages extérieurs qui dominent tous les sentiers. Les cordons fétides, les ex-voto, complètent la défense militaire. Les plages d'accès sont protégées par des lignes de pieux élevés au dessus de l'eau, également reliés entre eux ; l'étroit passage qui y est ménagé peut seulement donner passage aux pirogues de pêche ; un corps de garde veille au débarcadère. Ces populations passent leur vie dans des alertes continuelles.

Les peuplades qui habitent depuis Rio-Fresco jusqu'à Apollonie, sont très divisés ; il nous a fallu traiter avec quarante villages pour acquérir les droits de souveraineté épars entre tous les chefs.

Lahou a trois chefs principaux, dont deux sont dans le rayon de notre action. Le nord de la lagune est commandé par une reine, très-obéie et très-redoutée.

Le cercle de Dabou ne comptait pas moins de quatorze ou quinze centres qui n'avaient pas de lien commun. Celui de l'Ebrié renfermait dix-huit villages, dont quelques uns étaient réunis, sans avoir renoncé à leur autonomie. Le Potou, réuni à l'Ebrié, en comptait au moins huit qui étaient vassaux d'Amadifou qui, comme tout souverain éloigné, laissait à ses gouverneurs une grande latitude. En un mot, cette population très dense et fort intelligente, qui ne monte pas à moins de deux cent mille âmes, est gouvernée par une oligarchie entre laquelle il n'existe pas de lien commun.

Les langues parlées se ressentent de ces différences d'origine, et forment une bigarrure qui demande le secours de plusieurs interprète. Il est rare qu'un seul individu connaisse tous les idiomes, adoptés par chaque communauté.

Les intérêts commerciaux et les rivalités de castes amenaient des guerres fréquentes entre toutes ces populations, et nous en ressentîmes bientôt nous-même le contre-coup. Le Comoé, le Potou Aghien, avaient pour centre de commerce le Grand-Bassam. Ceux de Bounoua commençaient à Alassam, situé sur le bord de la mer, à l'est de l'embouchure de la rivière.

Les gens de l'Ëbrié avaient pour clientèle les villages dits des Jacks, qui s'étendent sur la plage, vis-à-vis de Dabou. Le cercle de Dabou était dans l'habitude de traiter avec ces mêmes Jacks, qui reçoivent bon an mal an dix à quine navires anglais, faisant la traite travers la barre.

Tant que les relations que nous avions avec les chefs se bornèrent à leur donner des cadeaux, tout fut facile. Les courtiers étaient heureux de recevoir les primes, en outre de l'huile traitée. Mais lorsqu'ils virent des magasins, fournis de marchandises nombreuses, venir leur disputer les marchés, ils pensèrent qu'ils s'étaient donné des concurrents dangereux; une sourde animosité suscitée par eux se traduisit bientôt en une hostilité flagrante qu'il fallut réprimer. Cette hostilité se manifesta d'abord sur la lagune. Soixante pirogues s'essayèrent contre l'un dos avisos qu'elle voulurent attaquer, et subirent une défaite signalée. Les choses étaient devenues intolirables. En 1849, Acka, le chef de Bounoua, tenait le Comoé fermé ; l'amiral Bouêt-Villaumez fut forcé de lui donner une forte leçon, à Yahou, situé à l'entrée du fleuve. La paix fut de nouveau troublée en 1853, et l'amiral Baudin donna aux gens de l'Ëbrié, réunis à Éboué, une correction qu'ils n'ont pas oubliée. L'érection du fort de Dabou, qui fut la conséquence de cette action, permit de surveiller tout l'Ebrié, et le fond de la lagune. Une population turbulente située près de Dabou s'est maintenue dix ans en état d'hostilité ; je suis parvenu à lui faire demander l'aman, et le pavillon français flottait avec une liberté complète, d'un bout de la lagune à l'autre, lorsque en 1870 on a jugé à propos de retirer la garnison que nous y avions entretenue depuis vingt ans. Le commerce y est livré aujourd'hui à ses propres forces.

Le climat du Grand-Bassam est débilitant pour les Européens, et la fièvre jaune y fait quelquefois des apparitions. En 1857 et 1862 notamment, elle a fait beaucoup de victimes. Une bonne alimentation, un séjour limité, permettent de triompher du climat.

Bien que divisées de castes et de langues, les peuplades ont une espèce de droit des gens qui leur est commun, et qui leur sert de règle politique. Ils sont graves, circonspects, fort hautains; ils attendent presque toujours les visites, et se montrent peu empressés. La gérontocratie y est en honneur. Les héritages ne sont pas toujours collatéraux. La pluralité des femmes. y existe sans limites. Les femmes y sont soumises à une discipline très sévère; elles doivent s'abstenir de paraître en public, et se tenir dans des maisons isolées, faites ad hoc, à certaines époques périodiques. Celles qui relèvent de couches sont frottées de rocou pendant trois mois, et doivent en outre porter autour des coudes et des jarrets de grandes touffes d'herbes sèches. L'infidélité y est sévèrement punie. Il y va de la, vie, lorsque la coupable est la femme d'un chef. Une amende rachète la faute des gens du commun.

Des guerres intestines prennent souvent lieu à propos de femmes enlevées. L'histoire de la belle Hélène recommence sous tous les climats.

Un Pâris jaune, de Tiackba, avait enlevé une Hélène noire de N'dou. Aussitôt grande rumeur! les pirogues s'arment en guerre, les chants se multiplient, les joutes nautiques, les exercices se répètent; adieu les palmiers et l'huile, nos guerriers ne songent plus qu'aux batailles, le roi des rois, Agamemnon, n'avait pas de flottes plus nombreuses ni mieux équipées; chaque village avait en ligne quarante galères qui se donnaient la chasse; quatre vigoureux pagayeurs étaient assis à l'arrière; une lourde traverse placée à l'avant, débordant des deux côtés, abritait les rameurs des coups de feu d'enfilade de l'ennemi; l'unique fusilier de chaque pirogue était campé à l'avant, et tirait à travers un écran percé dans la traverse qui le blindait.

Les partis avaient des succès et des revers qui se balançaient. Tiackba avait perdu des pirogues [6] , et plusieurs guerriers N'diou avaient été atteints par le plomb fatal. Lorsque je parus à Dabou, des députations vinrent me prier de mettre bon ordre à cette guerre fatale, et je prescrivis un désarmement général.

Après m'être rendu sur les lieux, je pris des députés de N'diou, qui mouraient de peur, et je les conduisis à Tiackba. Le malheureux Pâris jaune était poursuivi par les imprécations de la foule.

Je laissai les arguments s'épuiser, et je démontrai alors qu'il y avait assez de gloire militaire acquise pour faire une épopée, mais qu'il fallait songer à réparer le temps perdu, que les Jacks avaient besoin d'huile, que les courtiers français avaient les magasins pleins de valeurs, enfin qu'il était temps de monter aux palmiers.

Les débats établirent que les avantages et les pertes subies pendant les guerres se balançaient. Je mis donc les parties dos à dos et j'ordonnai que l'on cimentât la paix en vidant en ma présence la coupe de l’amitié.

Je quittai Tiackba au milieu des cris d'allégresse et je me transportai à N'diou. Il fallut faire battre le tam-tam de guerre avant de former l'assemblée des notables.

Dès quelle fut en nombre, je vis que l'on riait; je ne me rendis pas compte tout d'abord de ce mouvement d'hilarité. En me détournant, je vis derrière moi une horrible figure. L'individu qui excitait ces rires était borgne et portait un bonnet de coton. Il avait le corps couvert d'une espèce de transpiration visqueuse. Le tumulte augmenta lorsque mon interprète m'informa que cet être disgracieux était le cuisinier. Un cuisinier ne me paraissait pas quelque chose de bien étrange, mais je compris l'hilarité générale lorsqu'il me dit qu'il était un spécialiste, que c'était lui qui préparait les repas de cannibales dont les gens de N'diou sont friands. Il n'est bruit que de ces festins et l'on prétend que la marmite de N'dieu ferait cuire tous les petits enfants de la lagune; elle est devenue un croquemitaine légendaire. Ces peuples ont en effet l'habitude détestable de dévorer leurs prisonniers de guerre. Ceux de N'diou sont des étrangers qui viennent, m'ont ils dit, de la montagne. Ils appartiennent aux Bambaras. Les Quaquas ont également cette horrible coutume ; les Bourbourys ne s'en privent pas; ils ont dévoré huit chasseurs sénégalais qu'ils prirent dans un guet-apens pendant les hostilités, et il a fallu venger ces affronts en brûlant Badou, Mapoyenne, etc., etc.

J'ai dit que le lovelace, auteur de cette guerre, était jaune comme un citron; il n'était pas seul de son espèce, car en me rendant à Cosroë, situé au fond de la lagune de Tiackba, je trouvai toute une tribu de nègres blancs, aux yeux bleus et aux cheveux rouges, qui sautillaient à travers les sables et se roulaient dans l'eau.

Mon pilote sénégalais m'avait bien dit depuis plusieurs jours : y a qu'à gagner tout plein mulot tiatkbo . Je ne voulais pas le croire, mais il m'amena triomphalement, comme pièce de conviction, une bande de gamins, qui avaient évidemment perdu leur pigmentum. D'où viennent ils? ils ne le savent point. Se ramifient-ils avec les paï-pi-bris signalés â quelque distance sur la lagune de Glé ? c'est encore bien douteux.

L'albinisme est un fait duc j'ai souvent constaté â la côte d'Afrique.

Les choses ne se passent pas toujours aussi simplement dans les palabres que dans celui de Tiackba que je viens d'indiquer : mais il faut être à Assinie pour avoir une idée complète de ces assemblées.

J'ai parlé de la façon dont. s'acquéraient les droits politiques ; il est bon d'en parler de suite, ainsi que de la manière dont a lieu l'investiture au changement du gouvernement.

Le cordon fétiche joue un rôle important dans la vie de ces peuples; toutes les fois qu'il est tendu, c'est un signe qui équivaut à une mise en état de siége. Le seuil qu'il protége ne doit être franchi que par les guerriers. Pour faire partie de l'assemblé u des guerriers et avoir le droit de prendre la parole dans un palabre, il faut avoir assisté à l'investiture d'un chef. Le sang coule dans ces circonstances, car chaque chef pour montrer sa force, son audace, sa résolution, doit sacrifier de sa main un prisonnier ou un esclave, et tous les jeunes gens en état de porter les armes doivent prendre la tête de l'homme qui vient d'être mis à mort et se la passer de main en main. Ce baptême de sang peut s'acquérir en se faisant également passer la tête d'un esclave mâle, qui doit être sacrifié aux mânes du chef dut meurt. Dette cérémonie équivaut au revêtement de la prétexte et le jeune guerrier qui a satisfait à ces conditions peut assister aux palabres et boire le bambou de la main gauche, honneurs réservés aux guerriers. C'est là que tend la plus grande ambition des adolescents.

Dans les palabres de Bassam et de Tiackba, le cérémonial varie quelquefois. Par exemple, quand les chefs sont puissants, la musique des deux camps joue des airs, toujours les mêmes, sur des trombes faites avec des dents d'éléphants creusées, auxquelles sont attachées des mâchoires humaines enlevées à (ennemi. De même les tamtams qui n'auraient pas cet ornement seraient indignes de figurer dans un palabre. Les députés des deux nationalités rivales s'assoient en silence. Ils sont en général choisis parmi les vieillards, et leur figure austère que fait ressortir un collier de fer placé autour de leur cou, ne manque pas de caractère ; ces colliers portent un grelot que l'on agite pour obtenir le silence. Une liane sépare les deux camps ; la scène se passe en campagne ouverte; le conciliateur franchit la liane (un Bambara est quelquefois chargé de cet office) ; il doit serrer la main de la partie opposée à son camp. Les gens qui ont, reçu cette avance s'ébranlent à leur tour et défilent en ordre, devant l'autre partie, en portant la main à leur tête et sur leur cou, suivant (usage oriental. Leur pagne qui se déroule, leur bras qui s'allonge, donnent un air très noble à cette cérémonie, dut est toujours très grave.

Un silence absolu suit ces préliminaires. L'oracle va parler. Un serpent vert, à tête triangulaire, à queue abrupte, sort lentement du fourré et se place entre les deux camps; il promène la tête de droite à gauche en regardant les deux groupes; ses mouvements sont suivis avec anxiété jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le fourré d"où il est sorti. Si l'augure est favorable, (assistance exprime sa satisfaction : le palabre commence, les débats s'ouvrent par un avertissement frappé sur un gong ou sur un tamtam.

Le premier orateur place sa canne sur la ligne frontière comme dirait M. Gagne, et s'adresse à l'assistance. L'orateur choisi par la partie adverse imite cette manœuvre en se relevant. Tous deux doivent saluer l'assistance du double geste déjà indiqué.

Après avoir écouté les débats, les anciens se retirent pour délibérer à huis clos. Lorsqu'ils ont arrêté leur résolution, ils rentrent en séance, et ils montrent à l'assemblée un sac dut contient le fétiche [7]  : le féticheur qui est le maure du serpent sort du bois et se place au centre de l'assemblée qu'il salue: il pose une calebasse pleine au lieu occupé par la liane et consacre le bambou (vin de palme). Cette consécration se fait avec une grande pompe ; on dirait les religieux Aria offrant la somma indra. Le féticheur agite rapidement un contenu autour de la calebasse, trace des cercles à droite et à gauche, invoque les esprits, et après force génuflexions, prononce les paroles sacrées. IL fait ensuite le signe cabalistique, s'agenouille pour se recueillir et prie le ciel d'agréer son offrande. La consécration finie, il s'éloigne lentement, et regagne le fourré. Ces solitaires demeurent dans des lieux écartés, ignorés de la foule. Ils doivent tenir à une grande association du pourah dont j'ai parlé. Le plus ancien des chefs a les prémices de la calebasse, puis la liqueur circule à la ronde et la paix est consacrée.

J'ai toujours admiré la dignité avec laquelle ces hommes primitifs procèdent au règlement de leurs affaires, et le sang-froid avec lequel ils écoutent des harangues qui sont quelques fois très longues.

Passons au meurtre. Le meurtre se rachète par la composition que l'usage a réglée. La dette du sang est quelquefois exigée avec menace. Pendant un des séjours que j'ai faits à Dabou, je fus réveillé au milieu de la nuit par le tamtam de guerre, que les gens d'Ilaffs battaient en désespérés ; je fis prendre les armes. Bientôt on m'informa qu'un enfant avait été tué par mégarde dans une pirogue, duc le père n'avait pas réclamé la dette de sang, mais que la mère se montrait intraitable et exigeait l'amende. Il fallut pour racheter le meurtre donner une jeune fille esclave, une bête à cornes, et quatre cents manilles. La manille vaut vingt centimes ; quatre cents équivalent à une once d'or.

L'esclavage est perpétuel au Grand-Bassam. Le taedium viles s'empare quelquefois de ces malheureux; ils déclarent dans ce cas qu'ils sont las de lavis. Les Jacks, accédant à leurs vœux, leur donnent une bouteille de rhum qui les grise, et l'exécuteur des hautes oeuvres leur fait sauter la cervelle d'un coup de bâton appliqué derrière la nuque. Leur corps est abandonné sans sépulture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la forêt. A la Grand-Bouba, les choses ne se passent pas aussi simplement : le maître de l'esclave le conduit au chef du village dont il dépend. Ce chef, après avoir fait toutes les remontrances possibles à l'esclave, prend jour pour procéder à son jugement Les anciens forment l'aréopage; le patient est au milieu du cercle; il est rare qu'il change d'idée; il met son point d'honneur à braver une société au dernier échelon de laquelle le sort l'a placé et répond affirmativement à toutes les questions qui lui sont posées. Tous les arguments épuisés le chef le fait lier à un arbre, et l'assemblée entière s~ rue sur lui, avec la férocité de bêtes fauves; il est déchiqueté en un instant. Chacun des acteurs de cette horrible tragédie paye une petite redevance au maître de l'esclave, qui est ainsi totalement indemnisé et peut acheter un serviteur moins mélancolique.

Les sacrifices humains sont offerts à l'époque de la fête des ignames, qui tombe généralement le jour de la lune d'octobre. Il y a d'autres sacrifices accidentels. A Badou, baie du Bourbourys , un de mes officiers tomba au milieu d'une de ces saturnales : les guerriers s'étaient barbouillé la figure et le corps de raies rouges et noires; les coups de fusil pétillaient de toutes parts ; on en tirait entre les jambes de l'homme qui devait être sacrifié, autour de sa tête et au dessus; c'était une orgie effrénée de poudre. La victime était attachée à un arbre. L'interrogatoire et le jugement sont solennels. La mort doit être volontaire et donnée d'un seul coup par le chef. La chair déchirée en lambeaux est mangée séance tenante. C'est l'holocauste offert pour racheter les péchés de la nation et se rendre les dieux propices.

Les maris ont droit de vie et de mort sur leurs femmes; ils en font souvent abus. Je vis un chef rasé; c'est en général un signe de deuil. Je lui demandai pourquoi il s'était fait couper les cheveux; il me répondit avec une tranquillité parfaite , en continuant à tresser un panier de pêche

« J'ai tué ma femme. »

J'en reculai de troispas; il n'avait nullement conscience de son crime, il me dit en manière d'acquit :

« Elle a fait périr mon fils par maléfices. »

C'était faux. Ce fils, appartenant à une autre femme, avait été soigné par la malheureuse victime avec la tendresse d'une mère; je le lui dis, il le nia.

« Après tout, où est le mal? me dit il, en plaidant les circonstances atténuantes; elle était vieille, elle ne pouvait plus avoir d'enfant, elle était à ma charge; j'en ai pris une jeune à sa place. »

Il était d'un positivisme révoltant. Je m'éloignai. Il continua à tresser tranquillement le casier qui devait nourrir sa famille future.

Les grands chefs portent quelquefois un couteau à la jarretière; c'est le couteau du sang. Il ne rentre dans sa gaine que lorsque le condamné à cessé de vivre; c'est le superlatif du droit de vie et de mort.

- Assez de meurtres parlons des pêcheries.

Les pêcheries du Grand-Bassam et de toutes les criques de la côte sud sont très artistement faites; elles consistent en de longs pieux enfoncés dans de la vase, servant de soutiens à des roseaux fendus, qui forment au milieu des eaux mille dessins bizarres, vrais labyrinthes au milieu desquels le poisson s'égare. Ces pêcheries prennent quelquefois la lagune de travers en travers; le pêcheur saisit alors sa proie soit à l'épervier, qu'il lance avec une adresse consommée, soit dans des casiers ou louves qui sont tendues la nuit et relevées le jour.

Il a fallu beaucoup négocier pour laisser libre le passage des avisos au milieu des pêcheries.

La pêche constitue pour la lagune une industrie de premier ordre. Le poisson est fumé sur des claies et sert d'aliment ou de moyen d'échange.  

Vicomte FLEURIOT DE LANGLE, vice-amiral.  

(La suite à la prochaine livraison)


[1] I. Suite. - Voy. t. XXIII, p. 305, 321, 337; t. XXVI, p. 353. XXVI. - 675' LIV.

[2] La tapade est un écran en paille supporté par des pieux fichés en terre, qui s'élèvent de deux mètres au-dessus du sol. Chaque chef de famille en entoure ses établissements. Ces enclos sont inviolables; des amulettes viennent ajouter la crainte des maléfices du fétiche aux rigueurs de la loi civile, et le pourah veille à ce que le fil fétiche ne soit pas une plaisanterie.

[3] Quaqua est un surnom : c'est l'affirmation oui répétée par le peuple : les Espagnols appellent parfois les Français dis donc.

[4] Je lis dans le dossier de Piter cette affreuse note : Condamné à dix onces d'amende pour avoir mangé un esclave.

[5] Les Bambaras sont, en leur qualité de mollem ou prêtres musulmans, respectés de toutes les populations, qu'ils engagent à renoncer à l'anthropophagie et qu'ils tâchent de moraliser. Ils font des grisgris pour les noirs et un peu de médecine. Ils sont très-employés comme porteurs de paroles pour les préliminaires de paix

[6] Dans ce cas les équipages se sauvent à la nage, et la coque seule est la proie de l'ennemi.

[7] Le fétiche est souvent un vieux morceau de chiffon, quelquefois un sachet contenant un verset du Coran; il n'a de valeur que par la consécration qu'il a reçue

Update: 20.03.2006