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A Travers le Monde (Janvier 1910)
Américains et Japonais en Mandchourie.
L' Internationalisation des chemins de fer.

U

n nouveau malaise se manifeste en Extrême-Orient à propos des chemins de fer de Mandchourie. La situation assez compliquée peut néanmoins se résumer comme suit : Japonais et Russes se disputaient jusqu'à présent l'exploitation des voies ferrées et par suite la pénétration de la Chine. Les Etats-Unis, s'autorisant de la politique de la porte ouverte préco­nisée en Chine par les gouvernements européens, réclament l'internationali­sation des chemins de fer en cause, quitte naturelle­ment à indemniser les pro­priétaires actuels. Les japo­nais, les Russes d'ailleurs non plus, ne paraissent disposés à rien céder de leurs prérogatives. Voilà l'origine de ce conflit diplo­matique.
Les difficultés qui se manifestent aujourd'hui dé­rivent de la convention Cas­sini, du 8 septembre 1896 créant en Mandchourie, au profit de la Russie, et, depuis le traité de Ports­mouth, au profit du Japon et de la Russie, maîtres des deux tronçons du chemin de fer mandchourien, un véritable Etat dans l'Etat.
Pour masquer l'importance des droits transférés, maintenir le principe de la souveraineté chinoise et de l'égalité commerciale de toutes les nations, nombre de formules ont été imaginées par les diplomates territoires cédés à bail, souveraineté chinoise maintenue indemne, droit d'administration exclusif sur les territoires dépendant du chemin de fer, porte ou­ verte, etc.
Mais Russes et japonais en profitent, chacun dans la zone mandchourienne où ils occupent le rail, pour soumettre à leur juridiction, dans les villes de quelque importance, tous les habitants orientaux ou européens. De plus, les japonais, autorisés à importer en Mandchourie, sans rien payer aux douanes chinoises, les marchandises destinées à y être consommées, usent de l'autorité qu'ils exercent sur les villes dépendant du chemin de fer, notamment Moukden, pour inonder de leurs produits la Chine septentrionale, et en éliminer les autres importateurs surchargés d'impôts. Des sta­tistiques récemment publiées sont à cet égard des plus probantes.

Carte des chemins de fer transmandchouriens

C'est pour répondre à cette mainmise des Russes et des japonais sur la Chine septentrionale que les Etats-Unis ont proposé aux puissances l'internationa­lisation des chemins de fer de la Mandchourie. Il s'agirait pour la Chine de les acheter avec l'argent que fourniraient les puissances, lesquelles, par conséquent. exerceraient un contrôle supérieur sur l'exploitation, contrôle purement commercial, sans aucun caractère politique. Les tronçons russe et japonais des chemins de fer de Dalny et de Kharbin étant englobés dans la combinaison, une cause permanente de froissements disparaîtrait ; le principe de l'égalité internationale des chances serait sauf.
A cette note les puissances n'ont pas encore répondu, et pour cause : le vieil apologue de l'arbre et de l'écorce est toujours à écouter. Il est vraisemblable qu'une base de discussion une fois trouvée, le débat s'ouvrira pourtant. Certes, après les succès marquants remportés par le Japon, il va de soi que la situation spéciale dont il jouit dans le territoire cédé à bail ne saurait être mise en ques­tion. Mais, de concert avec les Russes, juridiquement ses copartageants, il devra préciser l'étendue des droits qu'il entend exercer.
Autre complication tandis que les puissances se demandent de quelle manière ils absorberont la Chine, celle-ci négocie avec des financiers américains et des ingénieurs anglais pour la construction d'une ligne réunissant le golfe de Petchili au Transsibérien, qui serait atteint à Tsitsikhar.
Ainsi, tout le commerce de la Sibérie et de la Russie avec la Chine se ferait à l'écart du Transmandchourien, les positions japonaises seraient tournées. Comme avant la guerre, Russes et Chinois communiqueraient sans avoir besoin de l'intermédiaire nippon. A l'attaque de front améri­caine sur le chemin de fer mandchourien se joindrait une attaque de flanc russo-chinoise.
Le Japon riposte en prétendant établir une ligne qui, venue de Corée, gagnerait Vladivostok.
La proposition des Etats-Unis touche, comme on voit, à trop de questions pour être susceptible de rece­voir une prompte solution. Elle est conforme aux ten­dances de nationalisme politique et économique qui animent le Gouvernement chinois : l'internationalisa­tion des capitaux dans les lignes mandchoues condui­rait en effet à la nationalisation chinoise de ces lignes.
Par contre, elle fait abstraction des efforts et des succès du Japon avec une désinvolture un peu excessive, où l'on ne peut s'empêcher de retrouver l'écho des récents conflits nippo-américains. Pour la Russie, elle précise la nécessité d'opter en Extrême-Orient entre deux politiques, l'une de rivalité, l'autre d'entente avec le Japon ….