Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 102 Ko

Cliquer pour retour  liste des textes
Cliquer pour retour au Sommaire
Télécharger le texte seul: 72 Ko

Roquefort, dessin de H.Clerget, d'aprés une photographie d'Adrien Roques

Télécharger le texte avec vignettes: 193Ko

ROQUEFORT ET SES ENVIRONS

(AVEYRON)

PAR  MM. ADRIEN ROQUES ET JULES CHARTON, INGÉNIEURS.

1874. - TEXTE ET DESSINS INÉDITS.

I

De Béziers à Bédarieux. - Nouvelle voie ferrée. - Le Bousquet-d'Orb. - Le château de Montpaon. - Les falaises du Larzac.

Il y a moins d'une année encore, ce n'était pas une exploration facile que celle de certaines parties de l'Aveyron, et entre autres du pays de Roquefort, qui, éloigné de toute grande voie de communication, restait, malgré la célébrité de son nom, à peu près ignoré des touristes. De quelque côté que l'on voulût s'y rendre, il fallait monter et descendre de hautes et abruptes montagnes : du côté de Rodez, la montagne du Lévezou; du côté de. Nimes et de Montpellier, les montagnes de la Lozère et le plateau du Larzac; du côté de Béziers et d'Albi, la montagne d'Escandorgue et les ramifications de la montagne Noire.
Aujourd'hui, il suffit de quelques heures pour aller de Béziers à Roquefort par voie ferrée. On a creusé des tunnels, d'immenses viaducs métalliques ont été construits au-dessus de profondes vallées, et les locomotives portent dans toute la contrée le mouvement et la vie.
Nous avions visité Roquefort en 1867. Nous l'avons revu à la fin de l'année dernière, lors de l'ouverture même de la ligne. En quelques minutes nous avons traversé ces montagnes que huit ans auparavant nous avions mis des journées entières à franchir à pied. C'est à ce dernier voyage que les notes suivantes reportent nos souvenirs

----

En quittant Béziers, nous nous trouvons au milieu des vignobles qui s'étendent de toutes parts à perte de vue. Le département de l'Hérault produit lui seul annuellement treize millions d'hectolitres de vin; c'est le cinquième environ de la production totale de la France.
A toutes les stations de la ligne que nous parcourons, les quais et les cours sont encombrés de nombreuses et volumineuses futailles, de muids prêts à porter dans les pays les plus éloignés les produits de cette culture. En quelques endroits on nous montre des wagons dont les caisses métalliques sont de vastes réservoirs qui viennent s'emplir à la source.
Un peu avant d'arriver à Bédarieux, nous voyons le terrain commencer à se mamelonner. Nous atteignons les premiers contreforts des montagnes des Cévennes, défrichés sur certaines parties pour la culture de la vigne, mais tapissés encore, sur plusieurs de leurs versants, de taillis de chênes verts et d'arbousiers.
A travers une échappée nous apercevons le riant village d'Hérépian, situé dans un élargissement de la fraîche vallée de l'Orb, bordée de hautes collines.
Bientôt nous sommes devant la ville de Bédarieux. On la reconnaît de loin aux cheminées de ses vastes usines, où se fabriquent des draps pour l'armée, des étoffes de filoselle et d'autres tissus dont une grande partie sert au commerce du Levant.
Peu après, à Latour, nous quittons la ligne qui aboutit aux mines de charbon de Graissessac, et nous suivons la voie nouvellement ouverte à la circulation jusqu'à Millau, voie qui fera plus tard, à Rodez et à Neussargues, sa jonction avec le réseau central.

Cette nouvelle voie de Latour à Millau marque les grands progrès réalisés depuis quelques années dans la construction des chemins de fer. Les machines qui, à l'origine, semblaient ne pas être destinées à sortir des plaines, peuvent maintenant, grâce aux perfectionnements qu'elles ont reçus, servir dans les pays accidentés, et l'habitant des montagnes jouira désormais des mêmes moyens de rapide locomotion que l'habitant des vallées. A mesure que nous avançons la vallée se resserre, de hautes montagnes commencent à se dresser devant nous; nous nous arrêtons à une première station, le Bousquet-d'Orb. Ce village n'était naguère qu'un groupe de quelques maisons. L'industrie s'y développe aujourd'hui rapidement; une grande société, attirée par la présence de la houille et par la proximité du chemin de fer, y a établi une vaste usine à zinc. On voit en face de la gare des wagonnets descendre et remonter sans cesse par l'effet de leur propre charge sur la forte déclivité. d'un plan incliné, et apporter jusque dans la station la houille d'une mine dont la galerie s'entr'ouvre au flanc de la montagne.
Après le Bousquet-d'Orb, le chemin de fer pénètre en plein pays de montagnes.

Notre train part, attelé de deux puissantes locomotives, l'une à l'avant, l'autre à l'arrière, précaution nécessaire pour les fortes montées qui vont se présenter, et pour empêcher sur les pentes rapides la descente dangereuse des wagons qui s'échapperaient du train à la suite de quelque rupture d'attelages.

C'est à Lunas, peu après le Bousquet-d'Orb, que commence la rampe la plus forte et la plus longue; on s'en aperçoit au ralentissement de la vitesse du train et au souffle plus retentissant de la vapeur cette rampe atteint trois centimètres par mètre courant, et sur toute sa longueur les rails sont en acier.

Après avoir ainsi gravi la gorge du Gravezon, contourné le village de Joncels resserré dans l'enceinte d'une ancienne abbaye, après avoir franchi de profonds ravins sur des viaducs qui atteignent jusqu'à trente-cinq mètres de hauteur, et avoir parcouru un long tunnel, nous nous arrêtons au lieu dit des Cabrils : ce nom (chèvre dans le patois du pays) en dit assez l'aspect et la nature sauvage.
Tout autour de nous ce ne sont que roches dénudées ; à peine aperçoit-on çà et là quelques arbres chétifs, quelques touffes de buis. Il nous était arrivé bien des fois, en 1867, dans nos excursions pédestres, après avoir mis toute une journée à monter et à descendre la montagne que nous laissons derrière nous, de nous trouver égarés le soir dans ce pays désert.

Au delà du village de Roqueredonde, nous entrons dans le département de l'Aveyron, puis, avant d'arriver à Montpaon, nous traversons un second tunnel de près de deux kilomètres, dans l'exécution duquel on a fait usage pour la première fois en France, sur une grande échelle, de la dynamite, et nous passons du bassin de la Méditerranée dans celui de l'Océan.
A la sortie du souterrain, bien au-dessus de nous, au sommet d'un promontoire détaché du haut plateau du Quilhaumard, apparaissent les ruines du château de Montpaon. Au pied de ces ruines, échelonnées sur le versant abrupt, sont groupées les quelques maisons qui composent le village et dont la couleur, semblable à celle des ruines, rend difficile de les distinguer de loin des masses rocheuses qui les entourent.

La station de Montpaon est située sur le versant opposé de ce promontoire. Au bas coule la rivière de la Sorgues, née à Sorgues, d'une espèce ne fontaine de Vaucluse très-abondante, qui jaillit au pied des falaises du Larzac; sa fraîche vallée contraste avec l'aridité du pays que l'on a parcouru depuis les Cabrils.
Le château de Montpaon commande la vallée. La vue de cette forteresse, qui semble remonter au onzième siècle, reporte l'imagination à des luttes qui durent être acharnées dans ces âpres solitudes. Ces positions formidables se retournèrent souvent contre leurs possesseurs. Les chroniqueurs racontent que beaucoup de ces rudes seigneurs furent chassés de leurs châteaux par les routiers qui infestaient le pays.

Au delà de Montpaon, nous arrivons au col de Lauglanet, le point culminant de la ligne, au pied du  plateau du Larzac.
Ici la nature a un aspect plus grandiose, et, par l'étendue que l'on découvre, on se rend compte plus facilement du caractère tout particulier des montagnes de cette partie de l'Aveyron Composée d'une alternance, plusieurs fois répétée, de roches arénacées, argileuses et calcaires, la formation jurassique, à laquelle appartiennent ces montagnes, offre plus que toute autre cette diversité de formes et de profils que produit l'inégalité de structure et de cohésion des roches superficielles.
Les marnes et les argiles, désagrégées facilement par l'action érosive de l'eau et des agents atmosphériques, ont formé des talus à pente adoucie. Les rochers calcaires au contraire, doués d'une forte cohésion, se maintiennent suivant des pentes très-inclinées, souvent dans une position verticale ou même en sur plomb. De là, sur les penchants des vallées une suite d'escarpements plus ou moins considérables, tels que les falaises du Larzac, échelonnées les unes sur les autres, et séparées par autant de talus à faibles pentes, ou de terrasses qui constituent le sol arable.

Après Lauglanet, la voie ferrée descend sur une déclivité aussi forte que celle de la montée, ce qui commande des précautions semblables à celles qu'on avait prises à Bousquet-d'Orb. Les deux locomotives sont maintenant placées en tête du train, et la contre-vapeur fonctionne.

II


Le village de Saint-Paul-des-Fonts. - Les brebis du Larzac. -La traite des brebis. - Les fromages frais.

Nous voici à la station de Saint-Jean et de SaintPaul, dans la petite vallée de l'Aunou, à l'entrée d'un cirque découpé dans la falaise du Larzac, où ce cours prend sa source.
Plusieurs fois déjà nous avons vu des troupeaux de brebis paissant sur les versants de la montagne ou se désaltérant à quelque ruisseau.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 90Ko
Roquefort et ses environs

Un propriétaire nous offre obligeamment de voir de près ces brebis qui donnent un produit si estimé, et d'assister dans sa ferme aux opérations de la préparation du fromage frais qui précèdent sa mise en cave. Le moment est favorable, la journée touche à sa fin, et les troupeaux reviennent du pâturage. Nous repartirons par un autre train.

Le village de Saint-Paul-des-Fonts est situé au fond et presque au centre du cirque, dont la station occupe l'entrée. Nous suivons, pour nous y rendre, un étroit chemin qui remonte le ruisseau de l'Aunou. Après une demi-heure de marche, nous arrivons aux premières maisons; de la circonférence du cirque s'échappent de nombreux filets d'eau qui se réunissent en ce lieu, au même point, pour former l'Aunou; de là le nom des Fonts ajouté à celui de Saint-Paul. De ces petits ruisseaux, par des saignées pratiquées sur leurs rives, s'échappent des rigoles d'arrosage; elles donnent à ce paysage une fraîcheur et une fertilité qui contrastent agréablement avec le froid et sévère tableau des hauteurs environnantes dépourvues de toute espèce de végétation.
Nous approchons de la forme, en compagnie d'un troupeau. Le berger a la physionomie sérieuse et l'allure calme : c'est un solitaire. Son chien court autour des brebis et presse leur marche. Derrière et séparément, un petit garçon (loupillard) conduit les jeunes brebis ou agnelles qui, l'année prochaine, renouvelleront une partie du troupeau.
De divers côtés les garçons et les filles de la ferme reviennent des champs.
Voici les brebis réunies dans la cour qui précède la bergerie. Elles appartiennent à la race dite du Larzac , du nom du vaste plateau calcaire dont nous avons parlé. Cette race est caractérisée par la petitesse de sa tête, de sa taille, de son ossature, par la largeur de ses reins, de sa croupe, par l'ampleur de ses mamelles , par sa laine onctueuse et frisée.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 50Ko
Avant la traite des brebis

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 50Ko
Chargement des fromages
Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 50Ko
Première opération du raclage des fromages
Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 50Ko
Raclage des fromages dans les caves

Des essais, tentés vers la fin du premier empire par le général Solignac, pour acclimater dans ce pays les brebis mérinos, n'eurent point de succès. Quittant une douce et chaude température, brusquement transportées sur une terre étrangère, dans des localités élevées, sans abris, exposées à toutes les variations atmosphériques, soumises souvent à une nourriture parcimonieuse, surtout alors que la paille était leur seule alimentation hivernale, ces brebis ne pouvaient longtemps survivre à ce déplacement. Les laitières tarissaient un mois après l'agnelage; elles ne purent résister au froid et à l'humidité, et les maladies les décimèrent. Les résultats du croisement avec la race locale ne furent pas plus heureux.

Depuis, tous les efforts se sont reportés sur l'amélioration pure et simple de la race du Larzac; et, grâce à un meilleur régime, à des soins hygiéniques bien entendus, à une nourriture saine, variée et réglée, au choix de mères bonnes laitières, on est  déjà arrivé à un grand perfectionnement.

Sur ces montagnes, il y a beaucoup de landes, de terrains schisteux ou calcaires dont l'agriculture ne peut tirer aucun parti, à cause de la nature et du peu de terre qui les recouvre et des nombreux rochers dont ils sont hérissés; mais ce sol produit des plantes aromatiques, le serpolet, le romarin, le thym, la sauge, la lavande et diverses menthes, des graminées et des mousses. Dans la belle saison, les brebis paissent soit à ces pacages naturels, soit sur les prairies artificielles; on ne les laisse pas vaguer indifféremment sur tout le champ; on les cantonne et on ne leur permet d'avancer qu'à mesure que les plantes sont entièrement broutées. Même en hiver, elles sont conduites au pacage chaque jour, pendant quelques heures; c'est moins encore pour les nourrir que pour les égayer, leur faire respirer l'air pur du dehors et renouveler celui de la bergerie. On évite de leur laisser boire l'eau froide et vive; on leur donne de préférence l'eau des mares convenablement entretenues et échauffées par les rayons du soleil.

Après le repos, nécessaire pour ramener la respiration des brebis à l'état normal, et rafraîchir leurs mamelles, ce qui leur permet de donner le lait avec moins de fatigue, on commence la traite; on emploie pour cette opération tout le personnel de la ferme: garçons, servantes, tous s'en occupent sous la surveillance du berger.

Chacun vient s'asseoir devant la porte de la bergerie sur un escabeau fort bas, et a entre ses jambes un vase en métal étamé, d'une forme particulière, appelée seille. Les brebis sont poussées à tour de rôle par le petit berger vers les personnes chargées de les traire; celles-ci les placent entre leurs jambes, les mamelles à la portée de la main et au-dessus de la seille qui reçoit directement le lait. Les femmes, pour la plus grande facilité de leurs mouvements et mieux retenir les brebis, resserrent leur jupon dans de larges pantalons d'une toile grossière.

Lorsque, vers la fin de la traite, le lait moins abondant refuse de sortir sous l'effet seul de la pression, on soubat, c'est-à-dire on frappe le pis de la brebis avec le revers de la main, imitant en cela le coup de tête de l'agneau.

La même brebis passe entre les mains de deux personnes : l'une commence la traite, l'autre soubat et la termine. La traite finie, le lait qui remplit les seilles est porté à la ferme et remis aux soins de la ménagère; on le verse dans une chaudière à travers un linge, et on le chauffe pour l'empêcher de tourner, et principalement pour évaporer la plus grande partie de l'eau qu'il contient. On le verse ensuite dans des plats profonds, et pendant- le refroidissement on l'écrème en ayant bien soin de ne pas l'agiter. En cet état, le lait est abandonné à lui-même toute la nuit.

Le lendemain, de grand matin, la traite du troupeau a lieu de nouveau, avant le départ pour le pâturage. Le lait du matin n'est jamais chauffé ni écrémé; on le mélange à celui de la traite du soir qui, si l'on n'est pas en été, est auparavant remis sur le feu pour être porté à la même température que celui qui vient de sortir du pis de la brebis ; sans cette précaution le mélange se ferait mal.
Après le mélange des produits de ces deux traites, on les agite un instant, et en même temps, pour en déterminer la coagulation, on verse dans la masse la présure à raison d'une cuillerée par cinquante kilogrammes de lait.
La présure est préparée avec l'estomac de jeunes agneaux ou chevreaux, dans lequel on introduit une pincée de sel, et qui renferme des grumeaux de lait caillé, en même temps qu'il contient encore les différents sucs naturels de cet organe. Ces estomacs sont mis à sécher, et lorsqu'on veut s'en servir, on met l'un d'eux à tremper dans un litre d'eau pendant quatre à cinq jours environ.
Dès que la présure est versée dans le lait et que le caillé est formé, on agite le tout; le caillé se précipite au fond et le petit-lait qui reste à la surface est versé dans un autre vase.
Le caillé est versé à son tour par couches successives dans des moules où il prend la forme de fromages. Ces moules sont. en terre vernissée, cylindriques, percés sur leur fond de petits trous pour l'égouttage du petit lait; ils ont en général vingt et un centimètres de diamètre et huit centimètres de hauteur.
Sur chacune des couches de caillé déposée dans le moule, avant de la recouvrir par la couche suivante, on répand une pincée de poudre de pain moisi. Lorsque le moule est plein, on agite un peu le pain et le caillé, afin de former par le mélange ce marbré blanc et bleu, propre au fromage de Roquefort, et qui est ensuite développé par la fermentation dans les caves.

Ce pain moisi est l'objet d'une fabrication particulière. Il est composé avec une quantité égale de farine de froment, d'orge d'hiver et d'orge de mars et un levain très-fort dans la proportion de vingt-trois pour cent additionné de vinaigre. La pâte est pétrie très-dur et le pain est très-cuit; on laisse ce pain moisir pendant deux ou trois mois; on le réduit ensuite en poudre par la mouture.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 50Ko
La traite des brebis

Le pain moisi est directement préparé par les fabricants de Roquefort, tant ils attachent d'importance à ses qualités; ce sont eux qui le distribuent aux fermiers qui doivent leur fournir le fromage frais.

Les moules, une fois remplis, sont apportés dans une huche appelée trennel; après trois jours environ, tout le petit-lait est égoutté; on dépose alors les fromages dans une pièce, le séchoir. Par suite d'une légère dessiccation, les fromages prennent une certaine consistance et on peut les transporter aux caves de Roquefort à dos de mulet ou dans des carrioles.

Vers la fin du siècle dernier, le nombre des bêtes à laine entretenues dans la région du Larzac était évalué à quinze mille, dont cinq mille brebis laitières. Aujourd'hui l'on en compte six cent mille, dont trois cent cinquante mille brebis laitières, et deux cent cinquante mille béliers, agneaux, antenaises ou moutons.
L'élevage des troupeaux, autrefois restreint aux environs de Roquefort, rayonne aujourd'hui dans tout l'arrondissement de Saint-Affrique et dans les parties limitrophes des départements de l'Hérault, de la Lozère, du Gard et du Tarn.

La moyenne du rendement d'une brebis, qui était au commencement du siècle de sixkilogrammes, s'élève aujourd'hui à seize et dix-sept kilogrammes. Le produit en argent, qui était à peine de douze francs, atteint aujourd'hui trente-quatre francs pour une brebis d'une valeur d'achat de trente francs; on est d'accord pour reconnaître que c'est un produit net, car les frais de nourriture du troupeau, de garde et autres sont couverts par le rendement des autres cultures, les fumiers, et la vente des produits accessoires, le petit-lait par exemple.

III

Roquefort. - Descente dans une cave. - Les cabaniéres. - Les fleurines. - Fabrication des fromages.- Nous prenons congé de notre hôte, et un train nous conduit en quelques minutes à Tournemire.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 50Ko
Grande rue de Roquefort

Le village est, comme celui que nous venons de quitter, situé dans un cirque découpé dans la falaise du Larzac. En face, se dresse une chaîne de hauteurs, à l'extrémité de laquelle est bâti Roquefort.

Nous quittons la voie ferrée et nous suivons le chemin qui conduit à ce dernier village, but principal de notre excursion. A mesure que nous nous élevons, la vue s'étend rapidement : à nos pieds, tout le ravin et le ruisseau du Soulsou, dont le lit est creusé et encaissé dans des schistes à l'aspect noirâtre; plus loin, la vallée du Cernon, que bordent les villages de Raspaillac et de Saint-Rome, et que dominent les rochers de Laumière. L'horizon est borné par la montagne du Levezou ; dans un de ses replis, on aperçoit, à une très-grande distance, le village de Montjaux (Mons Jovis).

La voie ferrée se prolonge jusqu'à Millau; nous la voyons se développer en sinuosités sur ce sol mouvementé. De la hauteur à laquelle nous sommes, elle ne nous apparaît plus que comme un étroit sentier.

Nous continuons à monter, et au détour d'un contrefort, le village de Roquefort, caché jusqu'à ce moment, se montre situé dans une anse de la montagne, au pied de rochers élevés et à pic sur lesquels il se détache. Au premier aspect, l'oeil saisit difficilement l'arrangement irrégulier de cet ensemble de rochers crevassés, minés, bouleversés et parfois entremêlés de maisons qui s'attachent sur leurs flancs.

Arrivés au sommet de la côte, nous nous trouvons au centre du village sur une place de peu d'étendue, en face de la rue des Caves. Nous acceptons immédiatement l'offre qui nous est faite d'en visiter une.

La première pièce du rez-de-chaussée de la maison dans laquelle nous entrons contient les appareils de pesage servant à constater le poids des fromages frais arrivant des fermes : c'est la pièce de réception nommée le « poids ».
A côté est une autre salle voûtée, dallée et complètement obscure : c'est le saloir. - Les portes d'accès de la cave proprement dite donnent sur cette seconde pièce.

Les fromages sont portés dans le saloir; on étend sur leur face supérieure une poignée de sel, et on les empile trois par trois. Vingt-quatre heures après, on les retourne pour les saler sur la face opposée. Quand le sel, par ses propriétés déliquescentes, s'est uniformément fondu et commence à pénétrer dans les fromages, on les frotte avec une forte toile pour activer et compléter cette fusion ; on les laisse ainsi pendant deux jours.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures: 90Ko
Vue de la rue des caves

On les reporte alors dans le « poids » pour leur faire subir les opérations des premiers raclages de la croûte. Ces opérations, comme toutes celles qui se succèdent dans la cave, sont faites par des femmes qu'on appelle cabanières (de cabo, cave, dans le patois du pays).
Un premier raclage enlève une couche gluante (pégot) qui est jetée et sert à la nourriture des pourceaux.
On racle avec un couteau de forme et de fabrication spéciales. La lame, large de trois centimètres, au tranchant bien effilé, est portée par un manche en buis de dimensions étroites. La main le tient absolument de la même manière qu'un rasoir.
Le deuxième raclage, qui se fait immédiatement après le premier, donne un produit plus pur nommé rebarbe blanche, que l'on vend à un assez sas prix et qui sert à l'alimentation des ouvriers et des gens attachés au service des fermiers.
Ces deux raclages terminés, l'on peut juger aux caractères qu'une grande pratique seule fait connaître ce que seront les fromages; on les classe alors, suivant leurs qualités, en trois catégories et on les porte à la cave, où nous ne tardons pas à entrer.

La température y est très-basse; aussi les cabanières qui séjournent dans ces profondeurs sont-elles vêtues chaudement; toutes portent le même costume, sabots, sas de laine, jupon épais, petit châle noué derrière le dos, bonnet recouvert soit d'un foulard, soit d'un tricot, et posé avec une certaine recherche, large tablier de toile montant jusqu'à la poitrine, et manches serrées au poignet et bouffantes aux coudes.
Elles sont presque toutes très jeunes, et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, elles sont fraîches, vives et alertes; l'existence souterraine qu'elles mènent n'altère nullement leur santé; elles travaillent presque toujours en chantant.
Pendant huit mois de l'année, le temps que dure d'ordinaire le travail des caves, le nombre des cabanitres est de quatre à cinq cents.

Pour guider nos pas au milieu des ténèbres de la cave, nous sommes munis chacun d'un flambeau. Ce n'est qu'avec peine et à la longue, qu'à l'aide de la flamme de nos bougies, incertaine et vacillante sous l'effet des courants d'air qui se font sentir de plus en plus vifs, que nos regards peuvent percer l'obscurité.
Au bas d'un escalier en bois étroit et raide, nous arrivons sur le plancher de l'étage supérieur de la cave.
La cave où nous sommes a cinq étages. Sauf les niveaux qu'ils occupent dans l'excavation et les différences de température qui en résultent, les dispositions et aménagements de chacun d'eux sont les mêmes. Ces étages sont formés par une série de planchers superposés et portés par des poteaux qui s'appuient sur le fond du rocher. Sur la hauteur de chacun sont disposées des étagères, entre lesquelles la circulation est ménagée au moyen de couloirs. La hauteur de chacune de ces caves est d'environ deux mètres cinquante, et la largeur des étagères de deux mètres. Les dimensions sont calculées de manière que la cabanière, montée au besoin sur son siège, puisse saisir et arranger commodément les fromages en tous les points de ces étagères.

Sur la paroi de la cave adossée à la montagne, la roche est laissée à nu, ainsi que sur les parois latérales, autant que le permettent la nature et la disposition du sol; le côté opposé à la montagne est entièrement muré.
Sur la première paroi, celle du fond, on voit de grandes fissures naturelles par où s'épanche en courants continus l'air dont nous avons éprouvé la fraîcheur à notre entrée. Ces fissures se prolongent souterrainement et se perdent dans l'intérieur de la montagne; les courants d'air auxquels elles donnent lieu et qui sont appelés fleurines, sont très-violents, Plus une cave possède de fleurisse, plus on l'estime favorable à la fabrication dcs fromages.

Les casanières, réparties entre les différents étages de la cave, sont à l'ouvrage, éclairées par un lumignon suspendu auprès d'elles, et assises sur des escabeaux. Les unes raclent les pains de fromage, le: autres les rangent sur les étagères, d'autres enfin allant et venant, descendent les fromages frais ou montent les fromages arrivés à maturité et prêts à l'expédition.
On travaille partout avec un ordre parfait.

Les fromages frais descendus à la cave sont disposés sur des étagères par piles de trois. Huit jour après, ils sont mis de champ (en plies) : on ménage entre eux une certaine distance pour la circulation de l'air. Peu de temps après, le fromage pousse, ce qu'on appelle barbe ou duvet. On connaît à cette barbe la bonne qualité du fromage et la bonté des caves; il faut qu'elle soit d'une parfaite blancheur, épaisse et légèrement humide.
Les fromages doivent alors être raclés de nouveau on appelle cette opération revivre; le produit de ce raclage est appelé reverum ou rebelum, et sert à la nourriture des bestiaux.
Tous les huit jours on recommence le revirage.
Arrivés à maturité, les fromages se revêtent d'une robe particulière gris marbré, et la barbe est remplacée par une légère onduosité que l'on racle aussi. On obtient une rebarbe rouge, qui sert, comme la rebarbe blanche, à l'alimentation.

Après un séjour en cave de trente à quarante jours, les fromages des premiers mois de la campagne donnent des produits qu'on peut vendre, en choisissant ceux qui approchent le plus de la maturité; mais, en raison de cette préparation hàtive et de la saison chaude qu'ils auraient à traverser, ils sont peu susceptibles de conservation. Les fromages d'arrière-saison qui restent plus longtemps en cave sont les plus estimés. .

Toutes les caves n'ont pas la même origine. Dans le principe, c'étaient de simples anfractuosités où l'on n'a eu besoin que de régulariser les murs et les voûtes. Plus tard, pour en accroître le nombre, des excavations ont été pratiquées de main d'homme, avec l'aide de la poudre; des fissures effleurant le sol ont été recherchées, élargies. L'art est parvenu, comme dans les caves naturelles, à y recueillir les courants d'air frais ou fleurines qui en font tout le prix et à les remplir de l'atmosphère qui convient à la fermentation spéciale du fromage de Roquefort.

La température n'est pas toujours exactement la même dans toutes les caves : dans les unes, elle est de cinq degrés centigrades à l'ouverture des soupiraux d'air; dans d'autres, elle s'élève jusqu'à dix degrés; ce sont deux limites; si la température était plus basse, il n'y aurait pas de décomposition chimique; plus élevée, il se produirait une fermentation alcaline ou putride.
Le degré hygrométrique moyen des caves doit être de soixante à soixante-cinq environ. [1]

Tous les raclages successifs ont pour but de mettre le fromage au contact de l'air frais des caves; récemment, pour multiplier ce contact, on a introduit dans la fabrication l'opération du piquage, qui consiste à perforer les pains de fromage en un grand nombre de points de leur surface et sur toute leur épaisseur, au moyen de longues aiguilles.
Il se forme du gaz acide carbonique, qui donne lieu aux cavités que l'on voit dans le fromage et que l'on nomme persillage.
C'est pendant que les réactions s'opèrent que se développe insensiblement ce marbré bleu, résultat d'une végétation cryptogamique (Penicillium glaucum) , dont les sporules ou germes y ont été déposés avec la poudre de pain moisi.

Une étude approfondie de la constitution géologique de la montagne de Roquefort et des révolutions qui s'y sont produites, a conduit à la découverte de la cause permanente du froid qui règne dans les caves.

Un grand éboulement, qui a envahi près de la moitié de la montagne, s'est produit dans les assises calcaires oolithiques qui en forment le plateau supérieur. Les bancs d'argiles marneuses du lias supérieur sur lesquelles elles reposent, détrempées à la longue par les eaux , les ont entraînées dans leur glissement du côté de la vallée. Les strates brisées, renversées les unes sur les autres en immenses blocs, laissant entre eux des cavités nombreuses, ont formé un nouveau sol irrégulier. C'est sur ce sol que sont établies les caves de Roquefort, et ce sont les fissures de ces cavités qui viennent déboucher dans les caves.

Il est facile de se rendre compte de ce qui se passe dans ces vides souterrains. L'air qu'ils renferment, plus frais, plus dense que celui de l'extérieur, s'y meut sans cesse en raison de cette différence de température; il tend toujours à s'écouler par les orifices intérieurs, c'est-à-dire par les soupiraux des caves et à se renouveler par les bouches supérieures, et, comme dans son parcours il se trouve en contact avec les parois humides des rochers, avec les dépôts d'eau que retiennent les couches argileuses, il enlève une partie de cette eau aux dépens de son calorique et de sa température. L'air qui s'échappe par les soupiraux des caves contient donc moins de calorique et plus d'humidité, en proportion de la distance et de la profondeur qu'il a parcourues et des surfaces aqueuses qu'il a effleurées. Ce mouvement est d'autant plus actif que la température extérieure est plus élevée. On constate en effet que lorsque règne le vent du sud, le courant est plus sensible et plus frais. L'air se trouve plus dilaté d'une part et plus dense de l'autre, et contenant plus de calorique à son entrée, il peut se saturer d'une plus grande quantité d'humidité dans les bas-fonds qu'il traverse.

L'origine de la fabrication des fromages dans les caves de Roquefort doit être très-ancienne. Dans un vieux titre, cité par Bosc (Mémoires sur l'histoire du Rouergue), on trouve qu'en 1070, Flotard de Cornus, faisant une donation de terres au monastère de Conques, comptait parmi leurs revenus deux fromages qui devaient lui être payés par chacune des caves de Roquefort.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures
Eboulement de Roquefort, coupe géologique

En 1550, un édit du parlement de Toulouse donne au village de Roquefort le privilège de la fabrication des fromages dits de Roquefort, défendant à tous individus, manants ou autres, de s'occuper de cette fabrication en dehors du village de Roquefort, sous peine d'une amende de six livres par quintal.

Voici quelques chiffres qui donnent une idée de la progression qu'a suivie la fabrication : elle était en 1800 de 250 000 kilogrammes; - en 1820 de 300 000 kilogrammes ; - en 1840 de 750 000 kilogrammes;en 1860 de 2700000 kilogrammes; - en 1870 de 3 600 000 kilogrammes; - en 1873 de 4000000 de kilogrammes; déduction faite de vingt-trois pour cent de déchet dans les caves, il reste encore plus de 3 000 000 de kilogrammes de fromage livrés annuellement à la consommation.

Cette industrie donne lieu à un mouvement de fonds d'environ vingt millions de francs; la consommation et l'exportation s'étendent aujourd'hui dans toutes les contrées du monde.

Les résultats obtenus à Roquefort ont donné l'idée d'utiliser, soit dans .l'Aveyron, soit dans l'Hérault, plusieurs excavations naturelles pour y préparer les fromages de brebis, en suivant les procédés en usage aux caves de Roquefort. Ces caves, appelées caves bâtardes, sont loin d'avoir les qualités de température et d'humidité réunies à Roquefort et qui sont dues à des circonstances exceptionnelles de bouleversement d'un sol particulier, d'altitude et d'exposition, que jusqu'à présent on n'a pas retrouvées ailleurs et que l'industrie n'a pas encore su reproduire.

 

IV

La rue des Caves. - Le rocher de Saint-Pierre. - Les rochers de la Peur. - La grotte des Fées. - Tournemire. - Saint-Affrique.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures
Rue principale de Roquefort

Notre visite souterraine terminée, nous remontons au jour et nous suivons la rue des Caves. Les constructions de cette rue sont adossées aux parois des rochers, dans les cavités d'une large crevasse qui fut le berceau du Roquefort industriel. C'est là que se trouvent les grottes naturelles, les caves anciennes où se révélèrent pour la première fois les qualités des fleurines.

Au milieu des constructions, un énorme bloc surgit à gauche; il surplombe tellement que son sommet est au-dessus des maisons situées de l'autre côté de la rue. Ce rocher, très-connu dans tout le pays, s'appelle « le rocher de Saint-Pierre.
La rue des Caves va en se rétrécissant, et vers l'extrémité nous arrivons à un escalier sinueux taillé dans le roc à pic, qui nous conduit à une petite chapelle en ruine bâtie sur l'étroit plateau du rocher de Saint-Pierre.

De ce point, on domine le pays et on peut se rendre compte de la singulière topographie de Roquefort. On voit distinctement le massif principal du Cambalou, séparé d'un amas considérable de roches par un large précipice dont l'étendue donne la mesure du mouvement de glissement qui a provoqué cette séparation.

Au centre, dans la partie concave, les couches argileuses, plus fortement détrempées par les eaux qui s'y accumulent en abondance, ont offert une moins grande résistance; l'arrachement a été plus brusque et l'effondrement complet. Là gisent des blocs énormes, entassés les uns sur les autres et entremêlés de maisons et de caves. Le massif de la montagne resté debout porte les traces des profonds déchirements qui se sont produits dans ce puissant mouvement.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures
Vue intérieure d'une cave
coupe en travers

A droite, une large ouverture crevassée en tous sens, pénétrant profondément dans le massif et au milieu de laquelle se dressent, comme d'immenses piliers, de nombreux pans de rochers, atteste encore un profond ébranlement. Mais le flanc de la montagne, détaché, renversé et crevassé aussi, n'a pas suivi l'effondrement de la partie centrale ; retenu à sa base par un terrain plus consistant, il a conservé en partie son relief naturel

A gauche, du côté de Tournemire, l'on voit une espèce de profond ravin dont les bords verticaux comme de hautes murailles dénotent l'origine. Ce gouffre n'est que le prolongement de celui que nous venons de voir. La partie détachée de la montagne n'a pas subi de déformation bien sensible à sa surface, et ce n'est que du bord du précipice que l'on juge de ce qui s'est produit.

Ce n'est pas sans une certaine hésitation qu'on s'aventure au milieu de ce chaos.
Nous y contournons d'immenses pans de roches isolés, fortement inclinés, ressemblant à des ruines et dont les sommets aux assises fissurées et peutêtre branlantes, sont suspendus sur nos têtes; nous nous aventurons dans une large crevasse sur laquelle on a particulièrement attiré notre attention.
Les rochers qui l'entourent sont, d'après une vieille croyance, consacrés à la  « peur » (barragnaoudos : c'està-dire rochers de la peur dans le patois du pays); plusieurs de ces rochers, composés d'arêtes parfaitement régulières, ont la forme d'immenses colonnes.

Au pied et en avant de ces rochers, des fouilles ont été pratiquées à diverses époques pour la construction des caves ; elles ont amené la découverte d'objets qui attestent que ces lieux furent, aux époques les plus reculées, habités par des hommes, qui les recherchaient sans doute pour les cavernes, pour les abris naturels qu'ils leur offraient.
Ce sont, au milieu d'ossements humains, des instruments de l'âge de la pierre polie, et des débris d'animaux dont l'homme faisait sa nourriture et dont il employait aussi les os et les cornes à la confection de ses outils.

Parmi ces objets qu'on nous a montrés et qu'un de nous a photographiés, nous citerons plusieurs haches en jaspe, des couteaux et des flèches en silex, des poinçons en os de différentes formes, des emmanchements de haches ou des instruments de travail en corne de cerf, des dents et des ossements de cerfs, de chevreuils, de blaireaux, de loups, etc..

Aujourd'hui les animaux qui hantent ces rochers sont : les renards, qui trouvent dans leurs crevasses des tanières sûres, le hibou, le grand-duc, l'aigle noir, l'aigle blanc; la corneille aux petites pattes et au bec rouge qui fait incessamment entendre ses tristes croassements.

Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures
Vue intérieure d'une cave
coupe de long

Un sentier serpente entre ces rochers et conduit sur le plateau supérieur de la montagne que l'on est presque surpris de trouver cultivé.

Avant de quitter Roquefort, nous visitons la grotte des Fées. On y pénètre par une ouverture située à huit ou dix mètres au-dessus du sol : une échelle est nécessaire.
Cette grotte est remarquable surtout par sa longueur, qui est de quinze cents à dix-huit cents mètres, et par les nombreux dépôts calcaires qui revêtent sa surface ou pendent en stalactites.

On y rencontre de véritables gouffres. Une particularité qui surprend dans un si proche voisinage des caves de Roquefort, c'est l'absence dans cette grotte de tout courant d'air.Nous quittons Roquefort pour revenir à Tournemire, et, en attendant le train, nous allons dans le cirque dont le village occupe le centre.

On nous conduit à une autre grotte située au fond du cirque et d'où s'échappe une source limpide et abondante qui donne naissance à un ruisseau affluent du Soulsou. Des concrétions calcaires, déposées par les eaux qui suintent à travers les fissures de la voûte et des parois, décorent tout l'intérieur de la grotte.

Ces grottes ou cavernes sont assez nombreuses dans l'Aveyron.

Dans ces cavités naissent de belles sources. Telles sont la source du ruisseau de Saint-Paul-des-Fonts, celle du village de Fondamente, que nous avons traversé à la sortie de la station de Montpaon, et audessus, à huit kilomètres, la plus belle et la plus abondante d'entre elles, la source de la rivière de la Sorgue.


Cliquez sur les vignettes pour ouvrir les gravures
Montpaon

De Tournemire, un chemin de fer de quatorze kilomètres, et dont la mise en exploitation date, comme celui de Millau, du mois d'octobre 1874, conduit à Saint-Affrique, où nous arrivons à la tombée de la nuit.

Le célèbre rocher qui domine la ville est connu sous le nom de rocher de Caylus.

Il se détache trèsnettement dans le ciel; sa forme, sa position font une complète illusion; on croit voir les derniers vestiges de quelque grande forteresse féodale, avec son donjon, ses tours et ses courtines.

La ville de Saint-Affrique compte environ six mille habitants.

Le long des cours d'eau voisins sont établies différentes usines où l'on fabrique des draps communs, des mégisseries, des chamoiseries pour la préparation des peaux destinées à la confection des gants, industrie très-répandue à Millau et dans toute la partie méridionale du département de l'Aveyron.

Adrien ROQUES et Jules CHARTON.

[1] Les réactions qui transforment la pâte du fromage frais en cette pote piquante et marbrée de bleu qui constitue le fromage de Roquefort, ont été particulièrement étudiées par M. Limousin Lamothe, pharmacien et chimiste à Saint-Affrique.