Cliquer pour retour au Sommaire
Cliquer pour retour  liste des textes
Télécharger le texte ( 190 ko )

LE TOUR DU MONDE - Nouvelle série 04 - 1898 - (Pages 421-432)

Click for larger size (60 ko)

IMRADS KEL AOUZA DES BORDS DU LAC TELE, DESSIN DE J.LAVEE

HUIT MOIS A TOMBOUCTOU ET DANS LA RÉGION NORD,

PAR M. LE COMMANDANT RÉJOU

Précédent retour liste textes

II

BELLAHS. - La condition du bellah vis-à-vis du Touareg. rappelle celle du captif de case chez les noirs du Soudan. Le bellah est un métis touareg et indigène. Il cultive pour l'Echaggaren auquel il est attaché, surveille ses troupeaux, exerce les différents métiers nécessaires au bien-être de son seigneur, l'accompagne à la guerre, et combat à son côté.

CAPTIFS. - La condition du captif chez les Touaregs est la même que partout ailleurs au Soudan. Le captif doit son travail à son maitre; mais le maitre est tenu à remplir certaines obligations vis-à-vis de son captif . La Case de l'oncle Tom et quelques romans ont faussé nos idées en France sur l'esclavage, tout au moins sur ce qu'il est au Soudan.

La liberté vaudrait certainement mieux pour le captif, cela n'est point douteux ; mais il n'est pas malheureux. La loi musulmane le protège, et c'est un capital que le maitre conserve avec soin.


types Bambaras,
dessin de bigot-valentin

Le maitre doit au captif le logement, la nourriture, les vêtements, et est contraint de lui accorder à certains jours de la semaine le droit de travailler pour lui. Le Coran défend les mauvais traitements; et, s'il est avéré qu'un maitre a maltraité son captif, le conseil des anciens qui fonctionne dans chaque village le lui retire. Le captif peut toujours se racheter. L'enfant né des oeuvres du maitre et d'une captive, ce qui arrive souvent, devient captif de case; il fait partie de la famille, ne peut dans aucun cas être échangé ou vendu, a certains droits à l'héritage de son père. Sa mère devient libre.

J'ai connu des captifs plus riches que leurs maîtres. Autour de nos postes nous avons créé des villages dits de liberté dans lesquels nous recueillons les captifs auxquels, pour une raison ou une autre, nous avons rendu la liberté. Nous y recueillons ceux qui s'y réfugient ; c'est un asile sacré et inviolable.

Il faut bien que la captivité soit douce, puisque j'ai vu, pendant la période des opérations militaires contre les Touaregs, des captifs rendus par nous à la liberté, par nous bien vêtus, bien traités, bien nourris, s'enfuir pour rejoindre leurs maîtres. Fatigués de les prendre et de tes reprendre, nous avons été obligés de les envoyer sous escorte à Ségou, et leur avons imposé ainsi la liberté. Les captifs et les troupeaux sont la richesse des peuplades du Soudan; elles se feront tuer pour les défendre.

Il serait impolitique, comme le dit certain gouverneur, dans un élan de générosité, de supprimer la captivité. Le décret qui proclamait cette suppression, fait peut-être pour la galerie, ne fut, Dieu merci ! pas exécuté ; mais ce décret, exploité par ceux qui nous étaient hostiles, ébranla et compromit l'influence française de Tombouctou à Kayes.

Lorsque Samory, ce grand chasseur d'esclaves, qui ne peut vivre et soutenir sa puissance que par la guerre, aura disparu, lorsque nous pourrons d'une façon effective faire la police de notre immense frontière et empêcher l'infiltration des captifs sur nos marchés du Soudan, la captivité s'éteindra toute seule lentement. Les tribus arabes de la région, qui vivent à la façon touareg, sont religieuses ou guerrières; ce sont Les Iguellad, dont la fraction la plus importante est celle des Kellantassars ;

Les Kel-N'Koumder, chef Djeddou ;

Les Aal-sidi-Ali, chef Mohamed Ahmed el Bo Kori.

Ces deux dernières tribus sont maraboutiques. Ces fractions principales se subdivisent en campements comprenant un nombre plus ou moins grand de tentes et portant des noms particuliers.

Ce sont les Iguellad en général, et les Kellantassars en particulier, qui, après Tacoubao, où ils avaient combattu, ont continué contre nous une résistance qu'encourageait notre inaction. Le marabout N'Gouna, qui commandait la fraction kellantassar da Nord, homme d'une grande intelligence, en était arrivé, grâce à quelques succès faciles sur les populations que nous ne protégions pas, à avoir un prestige qui lui permit, en juillet 1895, de réunir autour de lui plus de 800 guerriers. Pour le réduire, au début, il eût fallu une reconnaissance de quelques jours, si on l'eût permise. Il fallut, plus tard, une campagne de cinq mois vigoureusement menée par les officiers qui commandèrent les colonnes, pour purger le pays.

L'occupation de Sumpi et une marche de quelques jours autour du lac Faguibine, en plein pays kellantassar, où nous campâmes dans le cimetière des ancêtres, acheva de ruiner le prestige de N'Gouna, fort ébranlé depuis le jour où il n'avait plus été heureux.

Click for larger size (60 ko)
au bord du lac Daouna, dessin de Slom

N'Gouna fut dépossédé de son titre de chef. Nous l'avons enterré dans un trou dont il ne sortira plus, me disait son frère Alouda. Les Kellantassars soumis, je leur fis élire quatre chefs; plus il y en a mieux cela vaut. Le terrain de parcours des Kellantassars du Nord s'étend tout autour du lac Faguibine ; quelques fractions ont leurs tentes près des lacs Kabara et Tonde dans le cercle de Sumpi. Ils ont d'immenses troupeaux et de nombreux captifs qui peuplent quelques villages entre les lacs Gawati et Takadji.

Depuis l'occupation de Sumpi et la création dit poste de Raz-et-Ma, l'intérêt des Kellantassars est de vivre en paix avec nous.

Autrefois, les Kellantassars étaient tenus en tutelle par les Tenguérréguiffs. La victoire de Tacoubao et les échecs que subirent ensuite les Tenguéréguiffs les affaiblirent considérablement. Les Kellantassars en profitèrent pour secouer leur vasselage.

Trop faibles pour lutter, les Tenguéréguiffs laissèrent faire. S'ils n'ont pas aidé N'Gouna dans la lutte qu'il soutint contre nous, c'est qu'ils avaient peur de voir les Kellantassars les surpasser en renommée et qu'ils ne pardonnaient pas leur défection.

Les Kel-N'Kounder, les Kel-Aouza et les Aal-sidi-Ali sont des tribus religieuses. Elles ne prirent part à la lutte contre nous que par leurs prières, leurs subsides en vivres, et les renseignements qu'ils venaient chercher à Goundam ou à Tombouctou, pour aller les porter à Goum.

Click for larger size (70 ko)
Sédentaires à Kabara, dessin de J. Lavée

J'avais l'air de ne pas m'en douter, car j'aurais eu le mauvais rôle en sévissant contre ces gens qui venaient mendier en égrenant leur chapelet et me répétaient sans cesse que chez eux, comme armes, ils n'avaient même pas un couteau. Quelques jours avant mon départ définitif de Tombouctou, cette vieille canaille hypocrite de Djeddou, chef des Aal-sidi-Ali, qui nous avait trahis autant qu'il avait pu, vint me voir. A l'époque troublée, j'avais souvent sa visite et je lui racontais toujours ce que je voulais faire, sachant bien qu'en bon Arabe il prendrait la contre-partie pour la raconter à N'Gouna, qui par suite fut toujours mal renseigné. Djeddou me demanda un cadeau, un souvenir. Je ris encore de la tête qu'il fit lorsque, en lui remettant une paire de lunettes, je lui racontai toutes ses menées, en ne lui cachant pas le peu d'estime que m'inspirait sa personne.

La population sédentaire comprend : les Galibis, les Sonra, les Bambaras, etc…; j'aurai l'occasion d'en parler en étudiant les différentes zones de la région du Nord. Nous ne protégeons cette population d'une façon effective que depuis l'arrivée au Soudan du colonel de Trentinian comme gouverneur.

La population sédentaire a la longue habitude d'obéir passivement an plus fort. Notre domination, basée sur la justice et la bonté, sera regardée par elle comme un bienfait, si, continuant à la protéger contre les nomades, nous respectons sa religion, ses mœurs et ses coutumes. Le sédentaire est intéressant, parce que c'est lui qui produit.

L'occupation de Raz-el-Ma, à la pointe Ouest du lac Faguibine, un poste à la mare de Bankor, nous donnent nos coudées franches au Nord.

Les Tenguéréguiffs sont enserrés dans le triangle Goundam, Raz-el-Ma, Sumpi; les Kellantassars mis dans l'impossibilité de nuire. Un ou deux bateaux pontés sur te lac Faguibine pourront faire la police des lacs, permettront des déplacements de troupes rapides et assureront, en tout temps, le ravitaillement du poste de Raz-el-Ma par Goundam.

Raz-el-Ma est en outre une menace constante pour les Allouch's de Onalata, qui ne peuvent plus vivre sans notre permission. La contrebande devient difficile, et les sédentaires de l'Isa-Ber et du Bara-Isa pourront ensemencer, produire et se multiplier sans crainte des brigands et de l'esclavage. De ce côte- de nos possessions africaines le rêve du colonel de Trentinian sera une réalité. Le colonel m'ecrivait en octobre 1895: : « ... Peu à peu nous aurons tendu de Saint-Louis à Bakel, de Bakel à Nioro, Sokoto, Tombouctou, un immense réseau dont les mailles se resserrent rapidement depuis quelque temps; et, d'ici trois on quatre ans, personne ne pourra plus passer sans notre permission sur cette frontière de 1000 kilomètres. »...

« Sans opérations militaires, sans nous porter au delà de notre frontière, nous serons alors les maîtres absolus des peuples qui habitent le Sénégal, la rive gauche du Niger et le Maroc. »

Avant de partir du Soudan, le colonel a pu voir une partie de son programme réalisée. Celui-là fut un chef. A une haute intelligence il joignait une bienveillance que, ayant été pendant vingt-cinq ans dans l'infanterie de narine, je n'ai jamais rencontrée à un tel degré ailleurs. Je ne serai, j'en suis certain, démenti par aucun de ceux qui eurent. l'honneur de servir sous ses ordres.

La situation dont je viens de parler étant bien établie à l'Ouest et au Nord, nous pouvons regarder ce qu'il y aurait à faire du coté de l'Est. Lorsque le lieutenant de vaisseau Heurst partit de Tombouctou pour accomplir sa belle mission sur le Niger, je ne pus, à mon grand regret, Iui donner que de vagues renseignements sur les populations avec lesquelles il allait se trouver en contact.

Les peuplades de l'Est, si elles n'étaient pas, systématiquement sans doute, entrées en rapport avec nous, n'avaient jamais fait acle d'hostilité. Nous avions été trop occupés au Nord. On ne peut tout faire.

J'eus quelques renseignements par la suite; ils m'ont permis de fixer mes idées.

Nous aurions peu à gagner en entrant en lutte avec les nomades de l'Est, nombreux et guerriers. Nos effectifs au Soudan n'y suffiraient pas. Le Touareg est un musulman assez tiède, mais il peut surgir un marabout qui réveille son fanatisme. C'est une éventualité à envisager; et diminuer la garnison de Tombouctou serait une faute.

Là-bas, on n'est respecté que si l'on est fort. La mission Hourst a négocié et traité avec les populations riveraines du Niger; il est de bonne politique d'exécuter à la lettre ce qu'il a promis.

Je croie que dans quelques années, si nous sommes habiles, en restant honnêtes avec les Touaregs, nous serons, commercialement parlant, les maîtres du Niger, de Tombouctou à Say.

Ce serait un beau résultat, et le commerce français aura un champ immense à exploiter, si nos producteurs ont l'intelligence de fabriquer et d'exporter des produits en rapport avec les habitudes, les usages et les moeurs dos pays auxquels ils sont destinés.

Dans l'intérêt de notre pénétration dans l'Est, avant d'arriver aux Aoulliminden, il faudrait nous assurer le concours des Kountas.

Les Kountas, tribu maraboutique et guerrière, dominèrent autrefois Tombouctou.

Vaincus par les Touaregs, ils allèrent s'installer, une partie à l'Est, prés des Aoulliminden, l'autre partie au Sud-Est, sur la rive droite du fleuve, près des Iguadaren. Un petit nombre resta à Tombouctou et ne quitta la ville qu'au moment de l'occupation française. Ce fut à un Kounta, Bakay, qui lui avait donné l'hospitalité, que Lentz dut la vie.

Les Kountas qui vivent au Sud-Est ne sont pas heureux prés des Iguadaren. J'avais entamé des négociations pour les faire revenir autour de Tombouctou; mon départ m'empêcha de les poursuivre. D'après les renseignements que l'on me donna, les deux personnalités les plus marquantes des Kountas sont Abidin et Alouata; ce sont les deux frères, et ils commandent la tribu.

Abidin serait un guerrier remarquable; Alouata, un marabout distingué, lettré, intelligent et généreux. Ce serait surtout Alouata qui aurait hérité de la considération qu'on accorde dans la région Nord à sa famille et à sa race. Je crois que les Kountas pourraient être pour nous des auxiliaires précieux dans l'œuvre du developpement de notre influence vers l' Est. En utilisant le tempérament guerrier d'Abidin, ne pourrait-on pas former ce corps auxiliaire de police, rêvé par le colonel de Trentinian, pour surveiller notre vaste frontière, du Nord à l'Ouest ?

Avant de passer à la description du pays, il me reste à parler des sédentaires, sur lesquels je n'ai dit que fort peu de chose.

Sur le Niger et sur ses dérivés, de Korgha, à l'Est, jusqu'au lac Débo, les sédentaires, Galibis, Sonrat, Bambaras, Habès, etc..., occupent les rives. Ils cultivent les plaines limitrophes de l'eau, fécondées chaque année par les inondations. Leurs villages sont construits sur les éminences où les crues n'atteignent pas.

Il n'est pas rare de voir deux ou trois races dans le même village, ayant un chef particulier et vivant en fort bonne intelligence.

Les sédentaires sèment et récoltent: le mil, le maïs, le niébé (haricot du pays), le coton, le tabac, qui y viennent d'une façon remarquable. Le blé se cultive un peu autour de Tombouctou, et, sur une plus vaste échelle, dans la région du lac Daouna.

La zone inondée est encore, après le retrait des eaux, le point du pays où se trouvent les plus riches pâturages; aussi y rencontre-t-on de nombreux troupeaux de bœufs, et de moutons.

L'élevage du cheval se fait chez les Habés, dans le Fermagha, dans le Haoussa Kataoual.

Dans ce pays, riche entre tous, où il n'y a qu'à gratter le sol pour récolter, le sédentaire est pauvre. Cela tient à ce qu'il n'ose s'écarter de son village, de peur d'être fait captif par les Maures, et que, plus il en a, plus lui en prend le Touareg, En 1805, les villages de sédentaires établis entre Tombouctou et Goundam faillirent mourir par la famine. En butte aux incursions des Kellantassars et pas du tout protégés par nous, ils ne purent cultiver. Trois villages furent complètement razziés, de janvier à juillet et, dans l'un d'eux, Doutkiri-Bani, il ne resta que cinq habitants qui avaient pu, par la fuite, échapper à l'esclavage. Plusieurs furent tués, et les Maures Allouch's vendirent femmes ou enfants sur le marché de Oualata.

Entre Goundam et le lac Gawati, le sort des sédentaires fut plus heureux: Sobo, le chef des Tenguéréguiffs, moyennant un tribut, les couvrit de sa protection, et, grâce aux Touaregs, en pays français, ils vécurent relativement heureux.

Click for larger size (60 ko)
Touaregs IMMEDEDEREN, et leur chef , dessin de J. Lavée

Entre le lac Gawali et Sumpi se trouve le pays le plus riche de la région. Les villages de cette zone, inféodés aux Tenguéréguiffs, étaient insuffisamment protégés par eux des incursions des Kellantassars ou des Maures.

Aussi l'occupation de Sumpi, le 10 novembre 1895, fut-elle regardée par eux comme un bonheur. Notre drapeau à peine arboré, les sédentaires, qui nous connaissaient par le passage de la colonne Joffre, vinrent à nous sans arrière-pensée.

L'histoire du Soudan offre peu d'exemples d'un poste créé et édifié en si peu de temps, grâce au concours volontaire des habitants.

Le sédentaire, habitué depuis des siècles à subir la loi du plus fort, pratique une lache résignation.

Un bourdame (Touareg) armé de sa lance, de son javelot et de son poignard, mettra en fuite 100 Galibis armés comme lui.

La peur ne se raisonne pas.

Un jour, 3 Kellantassars s'étaient introduits dans un village, près de Tombouctou, et avaient pris tout ce qu'ils pouvaient emporter. Le village comptait plus de 150 hommes armés.

Le chef du village vint avec quelques notables, bien longtemps après, comme toujours, me rendre compte du méfait commis. Au cours du palabre, je leur, fis sentir combien avait été grande leur lacheté, et incommensurable leur sottise: le chef du village, un vieux à barbe blanche, me répondit : « Que veux-tu ! nous sommes des femmes. »

«  Avant que vous occupiez Tombouctou, me disait Alfa-Seidou, maire actuel de la ville, un Touareg arrivait ici, se faisait ouvrir la maison qu'il jugeait digne de le recevoir, en plantant sa lance dans la porte, s'installait, exigeait bonne chère et le reste. Lorsqu'il lui plaisait de partir, il s'en allait, et son hôte s'estimait heureux d'en étre parfois quitte à si bon compte. Se plaindre ! A qui ? Pourquoi ? C'était tout naturel ! » il faudra longtemps pour donner du nerf et du coeur à ces races avilies par une longue servitude, insensibles moralement, et qui ne savent plus pratiquer que le mensonge et l'hypocrisie.

Il est nécessaire, dans leur intérêt, de nous faire violence et d'être durs envers elles, jusqu'au jour où nous les aurons assez relevées pour qu'elles ne prennent pas la bonté pour de la faiblesse.

 

DESCRIPTION DU PAYS ENTRE TOMBOUCTOU, EL-OUADJI ET GOUNDAM. –

L'immense territoire qui embrasse la région Nord peut être classé eu deux zones

1' La zone cultivée et des pâturages, fertilisée chaque année par les inondations;

2' La zone sache, pays de sable, parsemée-de mimosas, d'euphorbes et de gommiers.

La première zone est une vaste plaine présentant, à l'époque des crues du Niger, l'aspect d'un marais herbeux duquel émergent quelques flots boisés, habités par les sédentaires du Kili et du Kissou. ces villages avaient, il y a deux ans, un aspect délabré. Les cases rondes en terre, couvertes d'un toit conique en paille, tombaient en ruine et donnaient l'impression du découragement et de la pauvreté: Les habitants de ces pauvres villages, hébétés par la peur du Touareg, ne respiraient en paix qu'à l'époque des inondations. Les inondations ont chaque année des limites variables. La limite extreme est marquée par une ligne de dunes ayant à peu près une direction Est-Ouest, au nord du marigot de Goundam. Au pied de ces dunes poussent quelques beaux arbres et des broussailles épaisses. C'est cette ceinture verte qui sépare la partie arable du désert.

Click for larger size (24 ko)
Sentinelles Touareg
dessin de Mme Paul Crampel

La deuxième zone s'étend à l'infini vers le Nord; l'herbe fait place aux crams-crams; les dunes succèdent aux dunes; la végétation. s'atrophie; les arbustes tordus et souffreteux deviennent plus petits, l'herbe brûlée par le soleil fait çà et là des taches grises sur le sable jaunâtre.

C'est le désert, dans lequel le voyageur n'entend plus que le bruit de ses pas, assourdi par le sable brûlant qui cède sous son poids et dont la réverbération sous le soleil lui brulle les yeux.

Vers l'Ouest, et à l'est de la mare de Bankore, on trouve quelques collines rocheuses et, entre les hautes dunes, des dépressions au fond argileux.

L'eau des pluies d'hivernage doit se conserver quelque temps dans ces cuvettes, comme l'indiquent le sol crevassé, une végétation particulière, et surtout les zarbas abandonnées des nomades, qui ont campé aux alentours avec leurs troupeaux.

Entre Tombouctou et Goundam, cette deuxième zone comprend une bande de terrain, longue de 40 kilomètres, sur une largeur de 90 kilomètres environ, où croit en abondance le gommier. C'est le terrain de parcours préféré des Immedederen, des Aal-sida-Ali, etc., etc. Le nomade ne campe jamais à côté de l'eau. I1 construit toujours ses zarbas à 5 ou 10 kilomètres, et habitue ses troupeaux à supporter la soif.

A 150 kilomètres au Nord, il existerait, dit-on, une route commerciale allant d'Aarouan à Oualata sur laquelle, à des distances variables, on trouverait des puits (?)

 

REGION DES LACS.- ENTRE GOUNDAM ET SUMPI.-

Cette partie étant la plus arrosée est la plus fertile et la plus peuplée. On y trouve les lacs Télé, Faguibino, Taakim, Daouna, Fati, Horo, Gawati, Takadji, Sumpi, Kabara, Tenda, et des mares.

Click for larger size (35 ko)
Case de Habé, dessin de Gotorbe

Les grands lacs Faguibine, Hero, Télé, Fati, Daouna, sont entourés par des dunes, ou des collines rocheuses couvertes d'euphorbes ou d'arbustes épineux. La végétation se ressent du voisinage de ces masses d'eau, et, en particulier du côté de Sumpi, on a l'impression des paysages du sud-est du Soudan. Près de Sumpi, on traverse de hautes futaies et des taillis, et le village est entouré au Sud d'une forêt de rôniers.

Entre les bassins des lacs, des collines ferrugineuses alternent avec les dunes et on voit de vastes dépressions. qui, après chaque hivernage, font de superbes pâturages, parcourus par les imrads des Tenguéréguiffs.

Les bords des grands lacs sont peu habités par les sédentaires, qui préférent le voisinage direct du Niger, où les terrains arables ont une, superficie plus grande et sont plus productifs. Les Tenguéréguiffs ont quelques villages de captifs près de Gawati et du Takadji. Quelques-uns de ces lacs, presque tous reconnus et fixés sur la carte par le lieutenant de vaisseau Hourst, méritent une mention particulière : le Faguibine, par sa grandeur et le phénomène auquel il doit sa formation; le lac Horo, par sa beauté, et le Daouna, par la richesse qu'il donne tous les ans, en s'asséchant, au vaste terrain qu'il recouvre. Lorsqu'on voit le Takadji, le Gawati et le Sumpi à la saison des hautes eaux, on a l'impression de grands lacs. Ce ne sont que des blancs d'eau.

A la saison sèche, l'eau se déverse dans le fleuve, laissant a découvert, sur une longueur de 15 kilomètres environ, le terrain qu'elle avait envahi.

On va à pied sec de Sumpi à Niodougou en trois quarts d'heure; il faut une journée en suivant la limite de l'inondation, pour faire le même trajet à la saison des hautes eaux.

A mesure que l'eau se retire, les habitants des villages de Mangourou, Tandidaro, Niodougou, Sumpi, etc., ensemencent

le terrain laissé à découvert.

Il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil sur la carte pour voir que tous ces lacs communiquent entre eux ou directement avec le fleuve.

Le lac Faguihino, qui a 110 kilomètres de long, présente sur son bord Nord le phénomène curieux d'une grande quantité de troncs d'arbres qui émergent de l'eau. Lors de la colonne contre les Kellantassars autour du Faguibine, en décembre 1805, la navigation, pour les chalands qui nous suivaient le long du bord, fut difficile et dangereuse.

Le vent soufflait du Sud, les vagues lacustres, courtes et fortes, rejetaient les chalands sur les trottes d'arbres. Je n'ai pu juger de l'espace occupé en profondeur par les arbres submergés; mais ils occupent en longueur plus de 40 kilomètres. Il y a eu évidemment envahissement par l'eau, et ceo phénomène s'est produit soit par affaissement du sol, soit par la rupture d'un seuil qui séparait cette plaine basse du fleuve. Il existe entre les rives est et ouest du lac Faguibine des différences profondes. La rive Est a l'aspect du bassin rocheux, aux eaux profondes, parfaitement limité. Sur la rive ouest, au contraire, on a l'impression, comme au Nord d'un vaste terrain inondé. A la saison sèche, les eaux du lac Faguibine se retirent fort peu. Taguilem et les quelques petits flots du lac ne seraient-ils pas les vestiges d'une barrière montagneuse dont la suppression par une cause quelconque aurait permis au lac Télé de s'étaler à l'Ouest ?

Les vieillards de Goundam racontent qu'il y a une soixantaine d'années, la partie occidentale du lac Faguibine n'existait pas et que l'île Taguilem faisait partie de la torre ferme.

Le lac Taakim, situé plus au Nord et qui a un développement de rives de plus de 30 kilomètres, doit sa naissance au Faguibine; il en est de même de la grande mare de Bankore. C'est aussi le lac Faguihino qui forme la Daouna, en déversant le trop-plein de ses eaux dans la dépression, par un marigot sinueux.

Si l'on rapproche le phénomène, qui s'est produit pour le Faguibine du phénomène inverse qui sembla s'être opéré à Tombouctou, on serait porté à croire que, dans cette partie du Soudan, il y aurait eu, comme en Scandinavie, ce qu'ont relevé les géologues: soulèvement d'un côté et affaissement de l'autre. Il faudrait déterminer l'axe suivant lequel ce mouvement de bascule s'est produit. Il paraît que dans l'Est, dans le pays des Aoulliminden, il s'est aussi formé de grands lacs.

Les formations de ces grandes masses d'eau ont causé une perturbation dans le régime du Niger. Ce beau fleuve, aux eaux profondes, il y a moins d'un siècle, a perdu en profondeur ce qu'il a gagné en s'étalant.

DAOUNA. –

Le pays qui entoure le lac Daouna est en entier, depuis la prise de Tombouctou, habité par les Touaregs Tenguéréguiffs. Les Kellantassars en revendiquent, mais timidement, la possession.

Le Daouna est formé, comme je l'ai dit, par le Faguibine. Le marigot qui réunit les deux lacs est situé à 35 kilomètres environ de Raz-el-Ma, et à six heures de marche du village de N'Bouna. Lorsque la dépression du Daouna a atteint son plein, Daouna et Faguibine présentent l'aspect de deux vases communiquants.

Click for larger size (35 ko)
Bambaras saumonos, dessin de Oulevay

Le Daouna a alors l'aspect d'un lac immense; mais, à la baisse des eaux, vers le milieu de la saison sèche, l'évaporation a fait son oeuvre, et le Daouna ne se compose plus que de deux immenses mares, Ouorabongo et Donkoré. Un fossé peu profond d'un kilomètre environ relie ces deux mares.

A la fin de la saison sèche, il n'y a plus d'eau que dans la mare d'Ouorabongo; elle est verdàtre et croupie ; les nomades n'en prennent plus qu'à son extrémité Ouest (Nitiné). C'est à ce moment que se concentrent en ce point les immenses troupeaux des Tonguérégniffs. Les terrains laissés à découvert par l'eau sont couverts de lougans où pousse le mil, le riz et surtout le blé.

La culture du blé se fait en majeure partie près du village de Dokouré, habité par des Galibis et des captifs. Un massif montagneux limite le Daouna au Nord-Est ; le reste de la dépression inondée a une ceinture de dunes assez élevées, qui sont doublées au Sud-Est par de petites collines ferrugineuses envahies par les euphorbes. Le village d'Azoutou, situé sur un monticule broussailleux, est un point stratégique pour une colonne appelée à opérer dans le Daouna. Azoutou est à l'est du lac, à cinq heures de marche environ, et à dix-huit de Bitagongo.

A l'époque des hautes eaux, la pointe ouest du Daouna est à douze heures de marche de Raz-el-Ma.

SOL - SOL INDUSTRIEL - PRODUITS DIVERS. –

Le sol arable se trouve à proximité des cours d'eau et comprend tous les terrains inondés pendant l'hivernage. Sa superficie est considérable.

On trouve de fort belle gomme et en abondance entre Goundam et Tombouctou; entre le lac Télé et le lac Horo. L'exportation ne peut guère s'en faire aujourd'hui. à cause de la difficulté des communications. Au commencement de 1800, lorsque j'eus décidé deux négociants de Tombouctou, Milade et Bachir, à nouer des relations commerciales avec Kayes, au lieu d'aller chercher des marchandises au Maroc, je leur donnai le conseil d'emporter un chargement de gomme sur leurs chameaux qui partaient à vide. Ils réalisèrent un beau bénéfice, car la gomme sur le marché de Tombouctou valait 0fr.10 le kilo, et à Kayes 1fr.25.

La liane caoutchouc se trouve en abondance dans les forêts qui bordent les cours d'eau, le long de l'Issa-Ber et du Bara-Issa, principalement du côté d'El-Ouadji et de Sumpi.

Les indigènes ne l'exploitent que fort peu et fort mal. Au lieu d'inciser les lianes, ils les coupent par tronçons, les exposent au feu, les font suer, recueillent le suc qu'elles rendent, et le précipitent au moyen de l'acide qu'ils retirent d'un fruit (le saba).

J'ai vu aussi employer ce moyen rudimentaire, qui détruit la liane pour quelques années, dans le Sud du Soudan, entre Kouroussa et Banko.

Le sel s'extrait à Taodénit, à deux jours de marche d'Aarouan, à dix jours de marche environ de Tombouctou. Le poids de la barre de sel varie entre 40 et 50 kilos, et son prix de 25 à 45 francs, suivant la saison ou l'abondance de cette denrée sur le marché. Ce sont principalement les caravanes des Bérabiches qui l'apportent et fournissent aux négociants, moyennant une redevance, leurs chameau pour le transport. Lorsque, en 1805, la barre de sel valait 35 fr. à Tombouctou, son prix était de 80 fr. à Sara féré, qui.n'est cependant pas très loin, et avec lequel, par le Niger, les communications sont faciles. Dans le Sud, j'ai vu le prix de la barre de sel varier entre 100 et 150 francs.

Click for larger size (40 ko)
Pêcheries de Saumonos, dessin de Slom

Au cours de mes pérégrinations, j'ai vu, dans certains villages, refuser des cauris, de la guinée, du tabac, en échange de denrées, pour un petit morceau de sel de bien moindre valeur. Il y aurait, rien que pour le commerce du sel, de beaux bénéfices à réaliser pour un négociant sérieux et intelligent. Il existe à fleur de, terre, près de Niodougun, un minerai de fer très riche. Les indigènes de ce village exploitent ce minerai au moyen de fourneaux rudimentaires, de forme conique, qu'ils chauffent avec du bois. Dans la région Nord, le fer est assez rare et a de la valeur. Il n'est guère employé qu'à la fabrication des lances, des poignards, des couteaux et des accessoires de sellerie. Parmi les forgerons, qui forment une caste à part, il y a de véritables artistes à Tombouctou. Le cuivre est très rare; aussi est-il recherché. II fallut sévir rigoureusement contre quelques-uns de nos tirailleurs qui vendaient leurs cartouches de fusil et menacer de la peine capitale les forgerons qui les achetaient pour avoir le cuivre. Plusieurs villages des bords du fleuve, dans le Kili et le Kissou, se livrent exclusivement à la pêche. Le poisson, ouvert et séché, fait l'objet d'un grand commerce.

Les ustensiles de ménáge sont en bois et en terre cuite. Il existe dans la région plusieurs villages où se fabrique la poterie, mais celle de Kabara est la plus renommée.

Le coton, le ricin, viennent presque sans culture. Le riz, le mil, le maïs, l'arachide, le tabac, le niébé, poussent partout.

La culture du blé pourrait être développée tant dans le Daouna que dans le Kili et le Kissou.

FAUNE. –

Il y a dans la région des troupeaux innombrables de moutons, de chèvres et de boeufs; c'est la fortune et la vie du nomade.

I1 faudrait introduire et favoriser l'élevage du mouton à laine du Alaeioa et du Mossi. II existe bien quelques spécimens de cette race, mais ils sont abâtardis par les croisements. L'âne, qui se reproduit très facilement, existe en grand nombre; c'est un animal précieux pour les transports autres que ceux qui se font dans le désert.

Le chameau ne peut vivre près du Niger qu'à une époque de l'année, tant à cause des mouches que des pâturages. Lorsque les caravanes doivent faire un séjour assez long à Tombouctou, elles envoient leurs chameaux au Nord, ou près du lac Faguibine.

Les chameaux venant du Maroc ou du M'Zab sont de plus forte taille que ceux des nomades de la région. L'élevage du cheval est surtout fait par les Habès et les Peulhs, dans le Haoussa-Kataoual, du côté de Sumpi et dans le Fermagha.

Les Maures Allouch's en élèvent aussi du côté de Oualata; mais généralement ils les achètent très jeunes à Sokoto.

Le cheval est de petite taille, très bien en forme, vigoureux et endurant. Le mulet est inconnu. Ceux qui servaient à l'artillerie étaient un sujet d'étonnement pour les indigènes.

L'autruche, le koba, se rencontrent par troupeaux; il y a plusieurs variétés de gazelles, d'antilopes; j'ai vu des girafes du côté de Sumpi. Le lièvre, le rat palmiste, etc., abondent. Tous ces animaux se tiennent de préférence dans les vastes plaines ondulées et peu boisées, situées entre le fleuve et la région des lacs.

On voit sur l'eau d'innombrables vols d'oies, de sarcelles, de marabouts, de pélicans, et de nombreuses variétés de canards. L'outarde, la perdrix, la pintade, l'alouette sont communes dans les terrains secs voisins de l'eau; la caille est rare.

Le lion, la panthère, l'hyène, le sanglier, le chat sauvage, le chacal se rencontrent un peu partout.

L'habitude qu'ont les indigènes de mettre chaque année le feu aux herbes sèches pour renouveler les pâturages détruit beaucoup de reptiles. Il en reste encore trop, parmi lesquels je citerai le serpent cracheur, le trigonocéphale, la vipère cornue, le boa et quelques couleuvres inoffensives.

Les cours d'eau sont très poissonneux, et les variétés de poissons nombreuses. Le Niger est infesté de caïmans, qui se tiennent de préférence dans les eaux profondes et sont, quelques-uns, d'une taille monstrueuse. Les hippopotames sont communs et parfois dangereux.

Il arrivé quelquefois que, pour une cause ou pour une autre, l'hippopotame attaque les pirogues et les chavire. En mars 1890, un hippopotame, que nous avions blessé, attaqua le chaland en aluminium de 30 tonnes qui nous transportait, et souleva l'avant à plus de 0m.60 hors de l'eau.

Conclusion : je crois en avoir assez dit dans cette notice pour permettre au lecteur de juger notre conquete. On ne peut douter, je crois, de l'avenir de ce riche pays au point de vue agricole, le jour où nous lui aurons donné la paix et la tranquillité absolues.

On ne petit douter non plus de l'avenir commercial de Tombouctou, le chiffre des recettes, qui a décuplé depuis deux ans, parle assez éloquemment.

Il faut continuer à désapprendre aux caravanes la route du Maroc en rendant sûre et facile celle qui mène à Kayes. Il faut continuer le chemin de fer au moins jusqu'au Niger; et alors nos commerçants, s'ils savent intelligemment produire, pourront, par le marché de Tombouctou, inonder l'Afrique de marchandises françaises. On a beaucoup fait, il reste beaucoup à faire; les quelques millions qu'on jettera là-bas ne seront pas perdus.

Le drapeau français pourra orgueilleusement flotter sur ce coin de terre arrosé par le sang de nos camarades. La France, fidèle à ses traditions et à son histoire, aura une fois de plus marché à la tète de la civilisation et de l'humanité, en faisant régner la justice parmi tous et en donnant au plus grand nombre le bien-être avec la liberté.

Ct A. Réjou.
Mars 1897.