Cliquer pour retour au Sommaire
Cliquer pour retour  liste des textes

pas de gravure sur Brazza

VOYAGES DANS L'OUEST AFRICAIN

PAR Vit. SAVORGNAN DE BRAZZA.

1875 - 1887. – TEXTES ET DESSINS INEDITS

 

I

PROJET D'UNE MISSION DANS L'OUEST AFRICAIN. - DÉPART.

En 1868 je me trouvais à l'École navale quand parut dans la Revue maritime et coloniale une relation de voyage de M. Aymès, lieutenant de vaisseau, commandant la canonnière le Pionnier, de la station navale du Gabon.

M. Aymés venait d'explorer les contrées du delta de l'Ogooué depuis le Fernan-Vaz et la baie de Nazareth jusqu'au pays des Inengas et des Galois. Cette lecture fit revivre aussitôt en moi tous les désirs que mon travail d'école avait momentanément écartés. Mes rêves d'enfance se précisèrent: je voyais un exemple de volonté exécutée; je me promis, moi aussi, la seule récompense que je souhaitais à mes études.

Sorti de l'école en 1870, je renouvelai la demande de naturalisation que j'avais formulée dès 1864, époque où je commençai rues études. En attendant, j'allais être envoyé d'office dans l'Atlantique sud, quand la déclaration de guerre vint momentanément, donner un nouveau cours à mes idées. Renonçant à la satisfaction immédiate du voyage que me promettait cette nomination d'aspirant, je mis tout en oeuvre pour faire partie de la grande campagne; j'ouvrais dès lors au ministère la liste de mes réclamations pressantes ; je parvins enfin à m'embarquer sur la frégate cuirassée la Revanche; je partis pour la mer du Nord aspirant de deuxième classe, sous les ordres du commandant Lejeune et de l'amiral Fourrichon.

La guerre terminée, passant sous le commandement de M. Halna du Fretay, je mis le pied en Afrique; nous veillons réprimer une insurrection des Kabyles. chaque jour, alors, notre compagnie de débarquement tiraillait dans cette vallée de la Souman d'où, maintenant villages paisibles, vignes et campagnes en pleine production écartent bien loin l'image de la guerre.

De retour en France, je subis mes examens d'aspirant de première classe. Mon âge ne me permettant pas encore de profiter de la loi qui donnait les lettres de naturalisation aux soldats de la guerre, je ne devais passer que plus tard dans les cadres régulier.

Cependant, libre de revenir à mon ancien désir, je voulus me diriger sur l'Afrique inconnue. L'amiral du Quillo, commandant la division navale de laquelle dépendaient le Gabon et les contrées explorées par Aymès, allait partir pour son voyage de surveillance du Sénégal, Gabon, Cap, Amérique du Sud. Je pus être adjoint à son état-major. Au mois de juillet 1872, la frégate la Vénus laissait tomber l'ancre en rade du Gabon.

Pendant la traversée, ma pensée aventureuse n'avait cessé de devancer le navire. Excité par les publications récentes de Livingstone, je voulais m'élancer aussi à la conquête du continent africain; les taches blanches de la carte m'attiraient d'autant plus que je les voyais presque border la côte. L'amiral du Quillo et le docteur Gagneron étaient du reste les mieux propres à m'entretenir dans mes projets.

Chaque fois qu'une invitation me retenait an salon du bord, les questions géographiques revenaient entre nous; l'Ogooué surtout, apportant majestueusement sous nos yeux le tribut de régions inconnues. provoquait la chaleur de nos discussions. Mon enthousiasme n'était cependant pas partagé de tous mes camarades, et l’ironie plaisante du commandant Duperré trouvait écho à mon endroit. Je me, rappelle notamment certaine caricature en deux tableaux, où je fournissais le principal personnage. On me voyait d'abord dans un costume que maintenant ne désavouerait pas Tamarin; je me buttais à un écriteau : " Roule barrée " ; derrière, la danse des Pahouins se déroulait autour d'une gigantesque marmite dont le blanc formait sans doute tout le contenu. Le second dessin me montrait dans un costume beaucoup plus primitif; et si maigre. due les Pahouins eux-mêmes, déconcertés, me faisaient la nique en me souhaitant bon voyage.

Nous aurons souvent l'occasion de revenir sur ces Pahouins et leur légendaire marmite : nous verrons que, si le voyageur n'a guère à redouter d'entrer avec eux en " relations culinaires ", il est du moins à peu près sûr de revenir dans l'état de maigreur où j'étais représenté : pour moi, je devais pleinement justifier la seconde partie des prédictions fantaisistes de mon ami Caradot.

Avec cet ami et M. Latour, qui dernièrement torpillait à Fou-tchéou, je profitai d'une permission de quelques jours pour aller une première fois à l'intérieur. Un canot nous remonta jusqu'à un certain village où nous laissâmes toute une provision d'aiguilles en échange de zagaies, d'arbalètes et de couteaux.

Lieu entendu, cette expédition ne fit que fortifier mon désir. J'écrivis, pendant le voyage même, un rapport très enthousiaste, sinon parfaitement juste, où je formulais comme conclusion la demande d'un nouveau départ dès mon retour en France.

Ce retour eut lieu au bout de deux ans. L'amiral de Montaignac était alors ministre.

J'avais eu l'honneur de faire sa connaissance à Rome. J'étais au collège, où je recueillais avec quelques bribes de latin et de grec une masse énorme d'ennui. La couverture arrachée des Cornélius Népos et des Cicéron déguisait lien souvent des livres de voyage; je promettais enfin de ne jamais bien connaître ni apprécier l'antiquité, quand le directeur de l'Observatoire, le père Secchi, qui souvent tolérait ma curiosité au milieu de ses instruments, me parla de l'amiral. Aussitôt je me précipitai chez ce dernier, seul, et le suppliai naïvement de me délivrer de mes persécuteurs en de mes parents l'autorisation de me faire marin

Le Souvenir de cette escapade d'écolier réfractaire ne fit point tort, à l'exaltation de l’ l'aspirant.

L'amiral ne s'étonna pas de mon fameux rapport; il envoya mon projet au Dépôt des rapports, cartes et plans; grâce à lui j'allais obtenir la mission que je désirais si ardemment.

Je venais d'avoir vingt et un ans; j étais enseigne et je recevais mes lettres de naturalisation tant désirées Qu'on juge de ma déception lorsque j'appris que ma qualité de Français m'enlevait le grade acquis par un service de six années. Luttant contre le découragement je n'avais qu' un moyen de caresser à nouveau rêves d'exploration. Je me remis au travail, je passai l'examen de capitaine au long cours; ce litre donnait droit à une nomination d'enseigne auxiliaire. Enfin je pus commencer mes préparatifs de voyage. Tout enfiévré j'entretenais déjà mes amis de ce départ projet , que j'eusse voulu immédiat, quand je fis une de mes connaissances les meilleures et les plus utiles

Au petit restaurant du quartier Latin qui nous réunissait et dont la salle enfumée était déjà rendue célèbre par la visite de nombreux explorateurs, on vint un jour me présenter un étudiant en médecine n'ayant plus qu'à couronner ses études par la thése . -Le docteur Ballay rue parut tout de suite en possession du feu le plus sacré, et l'on juge quels assauts de généreux enthousiasme se livrèrent dès lors dans salle.

L'intérêt qui s'attachait aux explorations africaines venait d'ailleurs d'être généralement réveillé. dés 1872 le marquis de Compiègne et M. Marche s'étaient engagés dans Ogooué pour tenter de résoudre au moins partie de ces mêmes questions géographiques qui me préoccupaient fort. Parvenus aux rapides des 0kandas ils en avaient franchi toute la première série jusqu’à, la rivière lvindo : là les hostilités des Pahouins leur avaient barré la route. - En 1874 ils rentraient avec l'honneur bien mérité d'avoir entamé et franchi le premier obstacle.

Leur retour aiguillonna mon désir. Grâce au rapport favorable de l'amiral du Quillo, et à la bienveillance de M. de Montaignac, à l'empressement de la Societé Géographique de Paris, et des ministères de l’Instruction publique, des Affaires étrangères et du Commerce, j'obtins l'autorisation officielle de départ I Le gouvernement m'autorisait de plus à emmener le docteur Ballay et M. Marche, ce dernier comme naturaliste. - Après être allé à Rouen, où j'achetai mes marchandises, je me rendis à Toulon, pour y surveiller les emballages.

Cependant il fallait songer au recrutement de mes hommes. Confiant l'achèvement des préparatifs à M. Ballay, nous partîmes pour le Sénégal (10 août 1875). Douze laptots (indigènes sénégalais s'engageant à servir pour un temps déterminé) devaient former notre escorte. J'eus l'aide de M. Gaspard Devès, commerçant de SaintLouis, et, après un choix aussi minutieux que possible, douze musulmans furent appelés à prêter serment. Ils jurèrent sur le Coran, les doigts croisés.

Quelque temps fut alors consacré à l'instruction militaire de mes laptots : je les exerçai au maniement du mousqueton Gras, qui n'était pas encore adopté dans l'armée et dont nous étions les premiers à nous servir. Enfin, MM. Ballay et Marche m'ayant rejoint avec les bagages, nous partîmes pour le Gabon.

(à suivre)

Update: 20.03.2006