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LE TOUR DU MONDE - Volume XXII -1870-2nd semestre - Pages 033-048

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Angcor Tom: La chaussée des géants, restaurée

VOYAGE D'EXPLORATION EN INDOCHINE [1]

TEXTE INÉDIT PAR DI. FRANCIS GARNIER, LIEUTENANT DE VAISSEAU,
ILLUSTRATIONS INÉDITES D' APRÈS LES DESSINS DE M. DELAPORTE, LIEUTENANT DE VAISSEAU.

1866-1667-1868

fin chapitre 1: Angkor Chapitre 3

II

Pnom Penh.- Départ du Cambodge, - Pnom Bachey. - Rapides de Somber. - Stung Treng.

Comme tous les villages annamites et cambodgiens, Compong Luong se compose d'une longue rangée de maisons parallèles au fleuve et bâties sur l'espèce de chaussée que forme la rive elle-même, et qui domine les terrains environnants. Seulement, alors que les cases annamites reposent directement sur le sol, les cases cambodgiennes sont élevées sur pilotis à un, deux, quelquefois trois mètres au-dessus. On pourrait croire, de prime abord, que cet usage doit son origine à la nécessité d'échapper aux inondations du fleuve, dont les crues atteignent en cet endroit dix à douze mètres. Mais comme-on retrouve le même usage dans l’intérieur des terres, en des lieux où les habitants n'ont pas à craindre d'être envahis par l'eau, il faut plutôt l'attribuer à un instinct de race, particulier à quelques peuples de l'Inde et de l'Indo-Chine, et son utilité réelle est de préserver le logement de l'humidité, des scorpions, des sangsues, voire des serpents et autres visiteurs désagréables.

Il n'était plus possible déjà de parcourir les environs de Compong Luong, en raison de la crue des eaux qui avait pris depuis notre départ des proportions considérables. Il n'y avait plus d'autre route fréquentable que la haute et large chaussée qui conduit à Oudong. Cette promenade même n'offrait plus grand intérêt, le roi du Cambodge et toute sa cour s'étant transportés depuis peu à Pnom Penh. En suivant cette chaussée, on laisse à gauche une colline au sommet de laquelle se trouve une vieille pagode en grand renom de sainteté et qui possède une statue colossale de Bouddha. A droite, et dans le village même de Compong Luong, est une pagode neuve où l'art cambodgien moderne a déployé toutes ses magnificences, pâle reflet de celles que déploient à Ban Kok les temples siamois.

La canonnière 32 nous attendait à Compong Luong: M. de Lagrée régla complètement avec son successeur tout ce qui était relatif aux magasins et au petit établissement français de ce village, et les deux canonnières appareillèrent ensemble le 5 juillet pour Pnom Penh, où nous allions prendre définitivement congé de Sa Majesté cambodgienne Norodom.

De Compong Luong à Pnom Penh, la rive droite du bras du lac ne présente qu'une suite ininterrompue de maisons et de villages. L'un des plus importants est celui de Pignalu, siège de la mission catholique qui fut fondée au Cambodge, en 1553, par les prêtres portugais Luis Cardoso et Jean Madera. Plusieurs évêques y ont été enterrés et, au dix-septième siècle; cette chrétienté servit de refuge à Paul d'Acosta, vicaire général de l'évêché de Malaca, après la prise de cette dernière ville par les Hollandais. Pignalu avait été en dernier lieu la résidence de Mgr Miche, évêque de Dansara, qui ne l'avait quitté que lors de sa promotion au siège épiscopal de Saïgon.

Vers midi, nous jetions l'ancre aux Quatre-Bras, un peu en amont de la pointe sur laquelle le roi Norodom se faisait construire une habitation à l'européenne. Rien de plus vivant que l'aspect que présente cette partie du fleuve. Par sa position au confluent du grand fleuve et du bras du Grand Lac, Pnom Penh est appelé sans aucun doute à un immense avenir commercial, si la domination française s'implante d'une façon durable et intelligente dans ces parages. Cette ville comptait, dit-on, cinquante mille habitants avant son incendie par les Siamois, en 1834, et elle avait été autrefois la capitale du pays : les rois du Cambodge y ont résidé au quinzième siècle. Elle s'appelait à cette époque Cho-do-mouc, dont les Portugais ont fait Churdumuco. Son nom actuel, qui veut dire « montagne pleine, » lui vient, suivant les uns, d'un monticule que surmonte un monument de forme pyramidale dont l'ancienneté est fort grande. La base de ce monument est carrée, et le cône légèrement évidé qu'elle supporte est orné de moulures horizontales d'un fort relief. Le commandant de Lagrée pensait que le monticule, qui a vingt-sept mètres de hauteur, était artificiel. Quant au monument lui-même, qui a trente-deux mètres de la base au sommet, c'est un de ces stoupas ou dagobas si communs dans les pays bouddhiques et qui sont censés contenir une relique de Cakyamouni. Suivant une autre tradition, cette pyramide aurait été érigée par une femme d'un haut rang et d'une grande piété, nommée Penh, d'où le nom de Pnom Penh. Jadis, disent les habitants, il y avait au sommet de cette pyramide un gros diamant, mais il fut volé par les Portugais. Il est plus vraisemblable, d'après un récit de voyage déjà cité dans le cours de ce travail, que le monument se terminait par une boule et une flèche dorées.

La population de Pnom Penh est une des plus mélangées de tout le delta du Cambodge. On y coudoie tour à tour des Annamites, des Cambodgiens, des Siamois, des Malais, des Indiens, des Chinois de toutes les provinces du Céleste-Empire. Ceux-ci constituent, là comme partout, l'élément le plus actif et le plus commerçant, sinon le plus nombreux; par rang d'importance viennent ensuite : les Annamites, qui fournissent tous les bateliers qu'emploient le trafic avec les provinces de la basse Cochinchine et la pêche du Grand Lac, et un grand nombre de petits boutiquiers ; les Malais, constitués en corporation puissante, et qui sont les principaux détenteurs des quelques marchandises européennes qui viennent faire concurrence aux importations analogues de Chine; enfin les indigènes. Sur le marché, les porcelaines, les faïences, la mercerie et la quincaillerie du Céleste-Empire s'étalent à côté de quelques indiennes, de quelques cotonnades anglaises et de la bouteille de vermouth ou de parfait-amour qui caractérise plus spécialement la part de l'importation française.

Nous complétâmes sur le marché de Pnom Penh notre provision d'objets d'échange ; nous fîmes surtout une emplette considérable de fils de laiton de toutes dimensions, les Chinois en relations commerciales avec le Laos ayant indiqué cet article au commandant de Lagrée comme l'un des plus estimés dans la partie de la vallée du fleuve que nous allions rencontrer immédiatement.

Le 6, nous fûmes présentés par M. de Lagrée à Sa Majesté cambodgienne qui nous fit le plus brillant accueil et voulut bien, à l'instar des divertissements usités jadis à la cour du grand roi, nous faire assister à un ballet donné par le corps entier de ses danseuses. J'admirai plus, pour nia part, l'originalité et l'élégance de leurs costumes et la richesse des tissus de soie brodés dont ils se composaient, que la grâce des entrechats ou l'expression de la pantomime des acteurs, quoique au point de vue de la couleur locale il y eût là pour moi quelque chose de caractéristique. J'avais assisté souvent déjà aux représentations théâtrales en Chine et en Cochinchine ; ce spectacle me parut fort diffèrent et procéder d'une tradition opposée. On se rapprochait évidemment ici de l'Inde. La danse, on le sait, est complètement étrangère à la race mongole et les Chinois ne s'accommodent guère que de représentations historiques où les héros et les guerriers de l'antiquité viennent déclamer sur la scène le récit de leurs exploits.

La récréation du ballet, à laquelle toute la cour parut prendre le plus vif plaisir, fut suivie d'une collation, à laquelle seuls nous prîmes part avec le roi.

Ce n'était pas sans les plus vifs regrets que celui-ci se séparait de son conseiller intime et de son tuteur politique, M. de Lagrée. L'horizon était gros d'orage : un cousin de Norodom, connu sous le nom de Pou Combo, était parvenu à s'échapper de Saïgon, où on lavait interné, et avait levé l'étendard de la révolte contre son parent. Les compétitions au trône entre les membres de la famille royale sont pour ainsi dire éternelles au Cambodge et ont été l'une des causes les plus puissantes de l'amoindrissement et de la décadence de ce royaume. Le père de Norodom, Ang Duong, avait eu les fortunes les plus diverses et son fils était né alors qu'il n'était point encore parvenu à s'asseoir sur le trône du Cambodge. Cette naissance en dehors de la condition royale était un des griefs les plus graves invoqués par les révoltés contre le roi actuel. Pou Combo avait su exploiter habilement les rancunes des Cambodgiens du district français de Tayninh contre l'autorité locale, et il avait réussi à massacrer dans un guet-apens l'infortuné capitaine Savin de Larclauze qui en était l'administrateur. Des troupes , immédiatement envoyées contre le rebelles avaient essuyé un échec qui avait coûté la vie au lieutenant-colonel Marchaisse; grâce au prestige de ce succès sur les Français, on pouvait craindre que le mouvement ne se propageât dans le Cambodge proprement dit, et que Pou Combo. ne tentât le passage du grand fleuve et l'attaque directe de la capitale du royaume.

Dans de telles circonstances, la connaissance que M. de Lagrée avait du caractère cambodgien, l'influence personnelle qu'il avait acquise sur les gouverneurs de province et les principaux personnages de la cour pouvaient être de l'utilité la plus grande, non seulement au roi Norodom, mais encore au gouverneur de la colonie qui avait toujours agi jusqu'à ce moment d'après les indications d'un officier dans le jugement duquel il avait la confiance la plus entière et la mieux justifiée. Mais il était trop tard pour remettre un voyage solennellement annoncé en France. Rien ne faisait encore prévoir que ce mouvement insurrectionnel dût atteindre des proportions sérieuses. Quelques mesures promptes et énergiques devaient probablement suffire à l'étouffer. La présence de canonnières françaises à Pnom Penh assurait d'ailleurs Norodom contre un coup de main., et ce n'avait pas été sans doute l'un des moindres motifs qui lavaient porté à abandonner sa, résidence d'Oudong.

Le Cosmao, de retour de Ban Kok, venait de mouiller à Compot, et l'or et les passeports siamois qu'il rapportait avaient été immédiatement expédiés à Pnom Penh. L'heure du départ allait sonner. Le roi fit tous ses efforts pour faire accepter à M. de La grée le cadeau d'une barre d'or, dernier témoignage de sa royale munificence. Il ne réussit pas. Ce n'était pas le premier, sujet d'étonnement que-lui donnaient les moeurs françaises, si différentes à cet égard des mœurs cambodgiennes.

Le 7 juillet, à midi, tous nos préparatifs étant entièrement terminés; la canonnière 27, sur laquelle se trouvaient tout le personnel et tout le matériel de l'expédition, et la canonnière 32, commandée par M. Pottier, appareillèrent en même temps de la rade de Pnom Penh. M. Pottier fit route avec nous pendant quelque temps pour témoigner jusqu'au dernier moment ses sympathies et sa déférence à son prédécesseur au Cambodge. A une certaine distance de la pointe de la Douane, les deux canonnières se séparèrent après un salut de quatre coups de canon fait par la canonnière 32. Les pavillons s'abaissèrent en signe de dernier adieu ; les deux équipages poussèrent en même temps les cris de Vive l'empereur ! Vive le commandant de Lagrée ! Quelques instants après nous voguions seuls sur l'immense fleuve.

Le lendemain matin, de très bonne heure, nous laissâmes sur notre gauche le groupe d'îles de Sutin au delà duquel se dessine la croupe de Pnom Bachey. C'est là que se trouvent les ruines d'une importante pagode et de quelques autres constructions khmers que M. de Lagrée avait longuement étudiées, et dont M. le lieutenant de vaisseau Lefèvre, qui l'avait accompagné, a dessiné les vues que l'on trouvera ici même. Je dois adresser à cet excellent ami tous mes remerciements pour l'empressement avec lequel il a bien voulu m'autoriser à les reproduire.

La pagode de Pnom Bachey se compose de quatre enceintes rectangulaires qui comprennent un sanctuaire central: l'enceinte extérieure n'est qu'un simple mur de trois mètres de hauteur qui mesure quatre cents mètres dans le sens est et ouest et deux cents dans le

sens nord et sud: la seconde enceinte, construite, comme la première, en pierre de Bien-Hoa; présente deux portes monumentales en grès sur chacune des faces est et ouest. La troisième enceinte est formée par une sorte de couloir à compartiments et n'est séparée que par un très  faible espace de la quatrième ci dernière enceinte. Celle-ci se compose d'une galerie voûtée à fenêtres intérieures. Sur le milieu des quatre races s'élèvent quatre portes monumentales en grès, toutes semblables, au-dessus de chacune desquelles s'élève une tour. Au centre de cette dernière enceinte est le sanctuaire central, sorte de tour à base carrée dont chaque face est précédée d'un avant-corps et. offrait jadis une statue de Bouddha à l'adoration des fidèles. Des pilastres très  ornementés, analogues à ceux d'Angcor Wat, nais moins beaux peut-être, encadrent les portes de ce sanctuaire et supportent un tympan richement sculpté qui masque la voûte de l'avant-corps. Ce tympan représente sur chaque face des scènes religieuses qui semblent se suivre et dérouler les diverses phases de l'existence de Cakyamouni. Comme il est d'usage dans les monuments khmers, les intervalles qui séparent les différentes enceintes sont remplis de constructions accessoires, bassins, autels, petites pagodes, qui accusent des époques différentes ou des restaurations successives.

D'après une inscription retrouvée dans ces ruines et traduite, à la prière de M. de Lagrée, par le chef des bonzes du Cambodge. Cette pagode daterait du dixième siècle. Comme je l'ai déjà dit, M. de Lagrée pensait (lue c'était là le groupe de ruines découvert par les Portugais en 1570. Ce n'est pas le lieu de discuter cette opinion que je ne partage point. Je renvoie les lecteurs qu'intéressent les détails archéologiques à la publication officielle du voyage. Ils y trouveront une description plus complète et plus technique de Pnom Bachey, due au commandant de Lagrée et dont les lignes qui précèdent ne sont qu'un résumé rapide.

Un peu au-dessous de Compong Thma (Port ou Rivage des Pierres) qui est le point où l'on aborde quand on veut visiter Pnom Bachey; j'ai dit que se trouvaient plusieurs îles, dont la principale est Co Satin ; ces îles sont fort importantes par leur production en coton et sont l'objet d'un important revenu pour le roi du Cambodge, qui prélève un fort impôt sur cette culture. Après un court arrêt à Peam Chelang, la canonnière 27 arriva le 9 juillet devant Cratieh, village cambodgien situé sur la rive gauche du fleuve. A son extrémité sud se trouve une résidence royale dans laquelle nous nous installâmes, en attendant que les barques demandées au gouverneur de la province de SambocSomber fussent prêtes pour la continuation de notre voyage. Nous nous trouvions près des rapides de Sonbor et à l'extrême limite des reconnaissances hydrographiques tentées sur le fleuve en bateau à vapeur. Le commandant de Lagrée eût désiré que M. Espagnat essayât de remonter un peu plus haut avec sa canonnière, afin que je pusse me rendre compte de l'aspect que présentait le Cambodge en cet endroit et des chances de passage qu'il pourrait offrir à cette époque de l'année à un navire à vapeur de faibles dimensions. Mais l'état des chaudières et de la coque de la canonnière 27, qui avait été montée à Tchéfou, en 1860, dès le début de la guerre de Chine, rendait cette expérience assez dangereuse et le commandant de Lagrée se rendit aux observations que M. Espagnat lui fit à ce sujet. Nous nous empressâmes de clore notre dernier courrier pour Saïgon et pour la France, et, le 11 juillet, la canonnière 27 nous quitta, nous laissant définitivement livrés à nos propres ressources.

Le commandant de Lagrée s'était informé avec soin des mouvements de Pou Combo et il avait appris que ce rebelle avait fait, à la tête de quatre cents hommes, une tentative pour s'établir dans une forteresse ruinée, ancienne- résidence des rois du Cambodge, située à peu de distance de la rive gauche du fleuve, mais qu'il avait été battu et refoulé du côté de Tayninli par le mandarin de Thbong Khmoun. De ce côté, il ne semblait donc pas qu'il pût y avoir des inquiétudes à concevoir sur nos communications à venir. Nous n'avions plus pour le moment qu'à nous préoccuper de l'organisation de notre navigation future et nous dûmes y employer quatre ou cinq journées. Les huit barques mises à notre disposition nécessitaient une installation toute particulière pour être à même de remonter les forts courants du fleuve. C'étaient de simples trônes d'arbres creusés, d'une longueur variant entre quinze et vingt-cinq mètres. Pour les rendre manoeuvrables, on doit appliquer autour de chacun d'eux un soufflage en bambou assez large pour qu'un homme puisse y circuler facilement. Ce soufflage forme à l'avant et à l'arrière deux plateformes qui prolongent et élargissent les extrémités de la pirogue, et dont l'une sert à l'installation de la barre. La partie creuse de la barque est recouverte d'un toit semi-circulaire, dont la carcasse est faite en bambou et dont les intervalles sont remplis par des nattes ou par des feuilles. Pendant que nos bateliers cambodgiens travaillaient activement à revêtir chaque barque dé cette sorte d'armature, nous achevions de disposer le matériel de l'expédition et de prendre toutes les précautions nécessaires pour le garantir autant que possible de toute avarie. Le travail devenait d'ailleurs la seule distraction possible au milieu de l'isolement complet où nous nous trouvions.

Cratieh est un petit village de quatre à cinq cents âmes où n'apparaît aucune espèce de mouvement comrcial. Les cases, proprement construites, se disséminent sur une grande longueur le long de la rive, s'entourant de quelques arbres fruitiers et de quelques petits jardins. Derrière l'étroite bande qu'elles occupent au sommet de la berge du fleuve, le terrain s'abaisse rapidement et l'on ne rencontre plus au delà que quelques pauvres cultures de riz éparpillées dans la plaine.

Rien ne donne une idée plus triste de l'incurie et de l'indolence du Cambodgien, que la vue de ces petits carrés de riz, perdus au milieu de fertiles terrains restés en friche alors que ni les bras ni les bestiaux ne manquent pour les cultiver, Ce qui est nécessaire à sa consommation, mais rien de plus, telle est la limite que le Cambodgien paraît presque partout donner à son travail. Aussi, au milieu d'éléments de richesse qui n'attendent qu'une main qui les féconde, au milieu du pays le plus admirablement favorisé de la nature, reste-t-il pauvre et misérable, repoussant par paresse ou par découragement le bien-être et la fortune qui lui tendent la main : triste résultat du système de gouvernement qui tue ce riche et malheureux pays. L'intermédiaire du mandarin en tout et pour tout, en faisant toujours à celui-ci la part du lion dans les bénéfices, a tué toute initiative. Le roi et quelques autres grands personnages paraissent être les seuls propriétaires et les seuls commerçants de tout le royaume. Les goûts dispendieux du roi, beaucoup accrus depuis son contact avec les Européens, laissent sa caisse toujours vide et il a été obligé d'affermer une à une toutes les branches de l'impôt ou du revenu public. Les Chinois, auxquels est concédée en général l' exploitation de ces monopoles, en tirent parti avec l'âpreté au gain qui caractérise leur race, et le malheureux contribuable est souvent tellement pressuré, qu'il n'a plus d'autre ressource que de se réfugier dans les forêts et de devenir voleur ou rebellé.

Sans doute le protectorat français ne doit s'immiscer dans les affaires intérieures du Cambodge qu'avec précautions et ménagements ; mais si l'on veut que ce protectorat ait pour notre commerce et notre influence les résultats qu'on est en droit d'en attendre, si l'on tient à ramener l'activité dans cette belle et fertile zone du Cambodge supérieur, il sera indispensable d'indiquer nettement, d'imposer même, au gouvernement cambodgien des réformes administratives. En l'état actuel des choses, l'appui des Français, en augmentant les 'forces de ce gouvernement, ne devient pour lui qu'un moyen d'exaction de plus, qu'un encouragement à augmenter ses exigences vis-à-vis des populations : au lieu d'être pour le pays une cause de développement et de progrès, notre protectorat en amène peu à peu l'épuisement et la ruine.

Le 13 juillet, nos barques étant enfin prêtes, nous procédâmes à l'embarquement et à l'arrimage à bord de chacune d'elles de tout notre matériel; le personnel fut à son tour réparti entre elles aussi également que possible et le pavillon français fut arboré sur celle qui portait le. chef de l'expédition. A midi, les pirogues débordèrent successivement et commencèrent leur long et pénible halage le long de la rive gauche du fleuve. L'équipage de ce genre de barques se compose, suivant leur dimension, de six à dix hommes appelés piqueurs. Chacun d'eux est armé d'un long bambou aux extrémités duquel se trouvent, d'un côté un croc en fer, de l'autre une petite fourche, selon que l'on veut tirer ou pousser à soi. Les piqueurs partent de la plate-forme avant, fixent leur bambou à un point quelconque de la rive, pierre ou branche d'arbre, et marchent vers l'arrière pour revenir ensuite par le bord opposé prendre un nouveau point d'appui ou de halage. Cette espèce de manège circulaire peut imprimer à la pirogue la vitesse d'un homme marchant au pas de course quand les piqueurs sont habiles et que la rive que l'on suit est droite et nette. Le patron doit porter toute son attention à maintenir la barque dans le sens du courant ou plutôt son avant légèrement incliné vers la rive ; s'il laissait le courant frapper l'avant du côté opposé, la barque viendrait en travers et il faudrait lui laisser faire le tour entier avant de songer à la ramener le long de la berge.

Nous ne fîmes que peu de chemin le 13 : après un court arrêt à Sombor, nous vînmes nous remiser pour la nuit à l'entrée du Peam Champi, petit affluent de la rive gauche. Nous nous trouvions là au commencement des rapides de Samboc-Sombor. La lisière d'un champ de maïs nous servit de dortoir : la nouveauté de la situation, les conversations prolongées fort avant dans la nuit, les moustiques, quelques grains de pluie firent passer une nuit blanche à la plupart d'entre nous. Le lendemain, à six heures du matin, après un déjeuner sommaire composé, comme à bord, de biscuit et de café, nos barques continuèrent l'ascension du fleuve.

Le courant était rapide ; les eaux avaient monté de cinq mètres environ et charriaient déjà des arbres, des branches, des amas de feuilles enlevés aux rives. Au lieu des têtes de roches qui parsèment cette partie du fleuve à l'époque des basses eaux, on n'apercevait sur l'immense fleuve que quelques lointains et rares bouquets d'arbres qui indiquaient la place des rochers submergés; à plus d'un mille de distance apparaissait la rive droite: Le long de la rive que nous suivions, un large espace semblait libre de tout obstacle et offrait un passage facile à un navire à vapeur doué d'une force suffisante pour refouler le courant. En définitive, ces rapides tant redoutés semblaient s'évanouir avec la crue des eaux, et la navigabilité du fleuve, qui était au début du voyage le point le plus important à constater, pouvait jusque-là s'affirmer sans crainte. A cinq heures du soir, nous étions arrivés à Sombor.

C'était le dernier point de quelque importance appartenant au Cambodge que nous devions rencontrer. Le gouverneur de la province de Samboc-Sombor y réside : il accueillit le' commandant de Lagrée avec tout le respect dû à son rang. Confortablement installés dans l'une des nombreuses cases qui composent la demeure de ce fonctionnaire, et bien à l'abri sous nos moustiquaires, nous passâmes une nuit meilleure que la précédente. L'excellent mandarin reçut de M. de Lagrée, en retour dé quelques cadeaux de volaille et de fruits, un revolver choisi dans notre stock d'objets d'échange. A ce prix, il eût volontiers prolongé une hospitalité dont ses contribuables faisaient tous les frais. Mais le temps pressait et nous ne pûmes donner à ses instances que la matinée du jour suivant. Vers 11 heures, nous nous remettions en route.

A partir de Sombor, le lit du fleuve s'encombre d'une multitude d'îles qui l'élargissent démesurément et qui ne permettent pas d'embrasser toute son étendue et de juger de sa configuration, tout en variant davantage ses aspects successifs. La zone que nous traversions était à peu près complètement inhabitée et couverte de forêts magnifiques. Les essences les plus communes parmi celles que nous rencontrions étaient le yao dont j'ai déjà parlé, le ban-lang qui fournit au batelage d'excellents avirons, le Cam-xe [8] qui donne un beau bois d'ébénisterie.

Le premier de ces trois arbres, qui est le plus remarquable par sa grosseur et son élévation , était le seul qui parût exploité. Des excavations en forme de niche, creusées par le feu, étaient pratiquées dans la plupart des troncs et servaient de réservoir à l'huile de bois que cette espèce produit en quantité considérable. Quelques-unes de ces excavations étaient recouvertes avec soin de larges feuilles pour empêcher l'introduction de l'eau de pluie.

Le 16 juillet nous nous trouvions en présence de véritables rapides : les rives nettes el: bien dessinées des îles qui avaient encadré jusque là le bras du fleuve que nous suivions s'effacèrent tout d'un coup. Le Cambodge se couvrit d'innombrables bouquets d'arbres à demi submergés; ses eaux limoneuses roulaient avec impétuosité dans mille canaux dont il était impossible de saisir l'inextricable réseau. D'énormes blocs de grès se dressaient le long de la rive gauche que nous suivions et indiquaient que des bancs de la même roche traversaient la rivière et la barraient dans toute sa largeur. A une assez grande distance de la rive, les bambous des piqueurs trouvaient le fond à moins de trois mètres, et nos barques n'avançaient qu'avec le plus grand effort contre un courant qui , en certains endroits resserrés, atteignait une vitesse de cinq milles à l'heure. L'avenir de ces relations commerciales rapides que la veille encore je me plaisais à rêver sur cet immense fleuve, route naturelle de la Chine à Saïgon, me sembla dès ce moment gravement compromis.

Les pluies et les orages contribuèrent encore à rendre notre marche plus lente et notre voyage plus pénible. Nous avions les plus grandes peines à trouver le soir un gîte sûr pour nos barques , et les crues subites des petites rivières à l'embouchure desquelles nous cherchions un abri nous mirent plusieurs fois en danger d'être emportés pendant. notre sommeil et jetés à l'improviste au milieu du courant du grand fleuve. Nous couchions maintenant dans nos pirogues, dont le toit nous garantissait nui peu de la pluie; mais il ne fallait pas que l'orage durât bien longtemps pour percer (le part en part les nattes et les feuilles qui le composaient. La température ne rendait point ces douches bien pénibles à supporter, et on se résignait assez facilement à ne pas dormir en contemplant l'illumination fantastique et véritablement grandiose que les éclairs incessants entretenaient sous les sombres arceaux de la forêt, et en écoutant le bruit éclatant du tonnerre , répercuté par tous ses échos, se mêler au grondement sourd et continu des eaux du fleuve.

Le 19 juillet, nous sortions de cette zone de rapides. Nous nous trouvions à la limite' du Cambodge et du Laos, sur la rive gauche du fleuve que nous suivions toujours. Sur la rive droite, un peu en aval de ce point, se trouvait un rapide terrible, celui de Preatapang, que les bateliers donnaient comme. le passage le plus dangereux de toute cette partie du fleuve. M. de Lagrée m'engagea à essayer de le reconnaître, et je partis à cet effet dans une petite pirogue. Arrivé au milieu du fleuve, le long d'une île d'où l'on découvre une assez longue perspective en aval, mes rameurs me montrèrent du doigt la direction de Preatapang.

Ce fut tout ce que j'en obtins : malgré toutes mes instances, ils me ramenèrent à la rive d'où nous étions partis et qu'avait continué de suivre le reste de l'expédition. Nous convînmes, M. de Lagrée et moi, que ce lie serait que partie remise, et que, dès notre arrivée à la prochaine étape, je tenterais une reconnaissance de la rive droite du fleuve jusqu'à Somber, point où nous avions cessé d'apercevoir cette rive.

Le 20 juillet, le cours du fleuve qui s'était infléchi à l'ouest dans le passage des rapides, était revenu exactement au nord, et, pour la première fois l'horizon nous montrait dans cette direction quelques ondulations de terrain. Le fleuve était redevenu calme et d une apparence magnifique; sur la rive gauche se montraient les premières habitations laotiennes. Le 21 au matin, nous apercevions le large confluent du Se Cou-, ou rivière d'Attopeu et nous doublions la pointe de Stung Treng, chef-lieu de province situé sur la rive gauche de cette rivière , à peu de distance de son embouchure. Nous allions rencontrer là le premier fonctionnaire dépendant de Siam avec qui nous eussions encore eu affaire.

Dès les premiers pourparlers , ce gouverneur. qui était laotien, se montra d'une froideur et d' une défiance qui nous firent fort mal augurer de nos relations futures avec les autorités siamoises. Nous devions congédier à Stung Treng nos barques et nos équipages cambodgiens, qui ne pouvaient s'éloigner davantage de leur point de départ , réunir d'autres moyens de transport . compléter la reconnaissance hydrographique de la partie du fleuve parcourue jusque-là. Tout cela demandait du temps et le concours des habitants du pays. Il importait donc de rompre la glace qui, dès le début du voyage, menaçait de compromettre la bonne entente si nécessaire à la réussite, sans cependant se départir de la dignité nécessaire au prestige du pavillon et aux intérêts que nous voulions servir. Après avoir fait une première visite au gouverneur pour lui demander un abri et des vivres pour l'expédition, M. de Lagrée, ne voyant pas se réaliser les promesses faites . me renvoya au Muong (c'est au Laos le nom de la résidence des gouverneurs de province et le titre des gouverneurs eux-mêmes) pour renouveler ses demandes et manifester tout son mécontentement. Il v avait plus de timidité et de crainte que de mauvais vouloir dans la conduite du pauvre fonctionnaire. Après quelques pourparlers, il finit par avouer franchement que le pays était très  indisposé contre les Français, parce que la récente visite d'un négociant de cette nation, le sieur L... , avait donné la plus mauvaise opinion de leur manière de faire :, que, par cette raison , il serait difficile de se procurer des vivres et des moyens de transport, tant cet étranger avait usé de violence et de mauvaise foi dans les relations qu'il avait essayé de nouer avec les indigènes; enfin, que nos armes et, notre nombre, relativement considérable, n'étaient point de nature à rassurer des populations naturellement douces et craintives. Le commandant: de Lagrée promit d'examiner ces plaintes , assura que la conduite des hommes de l'expédition serait de nature à dissiper toutes les préventions des Laotiens, obtint à son tour l'assurance du gouverneur que celui-ci ne se croyait en aucune façon le droit d'entraver la marche de la mission française, et, cette assurance reçue, exhiha les passeports de Siam. Il fit sentir en même temps que si l'on continuait à montrer devant ses justes demandes la même inertie, le même manque d'empressement, il s'établirait lui-même à Stung Treng sans le consentement de qui que ce soit et en référerait au gouverneur de la Cochinchine française.

Ce mélange de douceur et de fermeté, qui était le fond du caractère de M. de Lagrée , et à l'aide duquel il est parvenu dans la suite à vaincre tant d'obstacles, réussit parfaitement Le gouverneur vint peu après lui rendre sa visite en personne et s'excuser de sa conduite en alléguant son ignorance des usages. Ses cadeaux, qui avaient été d'abord refusés par le commandant de Lagrée, furent acceptés, et il reçut à son tour en échange quelques objets français. On se mit immédiatement à nous construire une case, et nous nous installâmes en attendant dans le sala, sorte de maison commune que l'on trouve dans tous les villages laotiens, où le jour on délibère des affaires publiques, et où, la nuit, se tiennent quelques gardiens qui annoncent les veilles et protègent les habitants contre les déprédations des tigres et des autres rôdeurs nocturnes.

Nous pouvions dès ce moment renvoyer nos barques et nos rameurs cambodgiens, ces derniers au nombre de cinquante, tous fort impatients de retourner chez eux, l'époque du repiquage des riz étant arrivée et réclamant tous leurs soins. Quoique le roi du Cambodge eût donné l'ordre de nous conduire à Stung Treng sans aucune rémunération, en prélevant ce voyage sur les corvées qui lui étaient dues à titre d'impôt par les villages frontières, M. de Lagrée ne voulut pas avoir déplacé pour rien ces pauvres gens et fit remettre à chacun d'eux quatre ligatures (environ quatre francs de notre monnaie) et le riz nécessaire pour rejoindre leurs villages. Cette générosité avait également pour but de rassurer les Laotiens, devant qui elle était faite, sur le payement de leurs services à venir. En même temps, M. de Lagrée retint une petite pirogue et les deux bateliers cambodgiens les plus hardis et réputés connaître le mieux le fleuve, et les décida à prix d'argent à nie reconduire à Sombor, en suivant la rive droite ou telle autre route que je leur indiquerai. Comme je l'ai déjà dit plus haut, la nature même de notre navigation jusqu'à Stung Treng avait rendu impossible toute reconnaissance hydrographique sérieuse, et l'objet de cette seconde excursion faite avec le courant en pleine eau, était surtout d'essayer de constater l'existence d'un chenal navigable au milieu de tout ce dédale d'îles, de roches et de rapides.

Je m'embarquai donc, moi quatrième, dans la frêle pirogue : en outre des deux Cambodgiens, j'emmenais un matelot français nommé Renaud, à qui un long séjour au Cambodge avait donné une certaine connaissance de la langue, et qui devait me servir à la fois de sondeur et d'interprète. Nous partîmes de Stung Treng le 24 juillet, à midi et demi. La légère barque; emportée par le courant, était gouvernée avec une merveilleuse adresse par les deux rameurs, armés chacun d'une courte pagaye et accroupis aux extrémités. Renaud et moi étions assis au centre, lui sondant de temps à autre, moi relevant rapidement la route suivie avec ma boussole et notant au crayon les différentes particularités qu'offrait le fleuve. Nous eûmes bientôt gagné la rive droite, et nous entrâmes dans le bras étroit et sinueux que le groupe d'îles de Salante dessine le long de cette rive. A la tombée de la nuit, nous étions déjà arrivés-, grâce à la vitesse du courant, à la tête de la zone des rapides ; je fis faire halte et nous cherchâmes sur la berge le gîte pour la nuit que ne pouvait nous offrir l'étroite embarcation. Nous nous trouvions sur un territoire cambodgien dépendant de la grande province de Compong Soai, et au centre d'une exploitation forestière. Tout autour de nous gisaient d'énormes arbres abattus, dans le flanc desquels ori avait commencé à creuser des pirogues ; de forts coins en bois, enfoncés de distance en distance, maintenaient entrouverte la plaie béante pratiquée à coups de hache dans le coeur de l'arbre et allaient servir à l'élargir démesurément. Les bûcherons avaient déjà abandonné leur travail; mais nous trouvâmes les restes d'un feu allumé autour duquel nous amoncelâmes de nouveau combustible pour la nuit. Non loin de là s'élevait une petite case perchée sur quatre hauts piquets à plus de trois mètres au-dessus du. sol, et à laquelle conduisait une grossière échelle. Cette espèce d'observatoire ou de mirador que l'on trouve dans toutes les parties de forêt exploitées, et qui sert d'abri et de lieu de veille contre les bêtes féroces, fut transformée en dortoir. Bercé par les oscillations que le vent imprimait parfois à notre domicile , et par le concert des mille bruits dont résonnait l'atmosphère de la forêt, je m' endormis bien vite, en compagnie de Renaud et de l'un de nies bateliers ; l'autre s'était allongé dans la petite pirogue qu'il remplissait tout entière, pour veiller pendant la nuit à la sécurité de notre unique véhicule.

A six heures du matin, nous nous remîmes en route. Le bras étroit que nous avions suivi la veille s'élargissait brusquement jusqu'à atteindre un kilomètre et demi de large; le courant s'accélérait en même temps. La profondeur du fleuve, que j'avais trouvée supérieure à trente mètres au départ de Stung Treng, n'était plus ici que de quinze mètres. Sur notre gauche était la grande île de Prea, qui masquait l'autre rive. mous n'aperçûmes celle-ci qu'après avoir dépassé la pointe sud de l'île, et j'estime qu'en ce point la largeur du bras unique que forme le Cambodge atteint cinq kilomètres ; puis le fleuve se couvrit de nouveau d'îles de . toutes dimensions, et le bruit lointain du rapide de Preatapang arriva à nos oreilles. La rive droite s'infléchissait légèrement vers l'ouest, et dans ce léger renflement venaient se placer une série d'îles longues, effilées comme des navires et dont les l'ormes aiguës divisaient sans effort le courant devenu de plus en plus rapide. Mes bateliers voulurent à ce moment prendre le large et essayer de traverser le fleuve pour rejoindre la rive gauche; mais je m'opposai à leur dessein et je leur manifestai mon intention de suivre de très près la rive droite, qui me paraissait, d'après la configuration générale du fleuve, devoir offrir en cet endroit la profondeur la plus grande. Mon désir fut accueilli par les dénégations les plus énergiques. Il y avait, dirent-ils, folie à tenter ce passage ; l'eau bouillonnait, le courant était de foudre, la barque y serait infailliblement submergée. Je leur objectai qu'ils s'étaient engagés à me conduire au passage même de Preatapang, que c'était dans ce but précis qu'ils avaient été engagés à Stung Treng et qu'ils avaient reçu une rémunération exceptionnelle, qu'à ce moment ils n'avaient point considéré la chose comme impossible et que je pouvais juger moi-même qu'elle ne l'était pas avec une barque aussi légère et aussi facilement manœuvrable. Enfin je leur promis de doubler le prix convenu. Après s'être consultés un instant, ils m'assurèrent qu'ils nie feraient voir Preatapang, mais ils continuèrent à s'éloigner de la côte. Je m'aperçus bien vite que leur intention était de passer au milieu du fleuve en laissant le rapide et l'île même de ce nom sur notre droite. Bien décidé à ne pas échouer comme la première fois dans la reconnaissance de ce fameux passage , j'ordonnai à Renaud de faire mine de s'emparer de la pagaye de l'arrière, en même temps que je signifiai de nouveau aux bateliers, la main sur mon revolver, de suivre la route que j'indiquai. Ils obéirent. Un instant après nous nous engagions entre la rive droite et la série des îles longues et étroites dont j'ai parlé. Là, le courant atteignait une vitesse irrésistible de six à sept milles à l'heure, et il était trop tard pour retourner en arrière. Si je n'avais été préoccupé par l'examen de la partie du fleuve que j'avais sous les yeux, l'air de comique angoisse de mes deux rameurs m'eût fait rire. Je voyais de reste, à leur contenance, que s'il y avait danger à franchir ce terrible passage, il n'y avait pas mort certaine, et je m'aperçus avec plaisir qu'ils prenaient toutes leurs dispositions pour manoeuvrer la pirogue avec énergie et promptitude. La menace de nous emparer des pagayes avait fait son effet ; ils préféraient se confier à leur habileté et à leur connaissance des lieux pour se sauver eux-mêmes que de remettre leurs destinées à l'audace ignorante d'un Européen.

Je vis bientôt ce qui formait le rapide. Après avoir longtemps couru presque exactement nord et sud, la rive droite du fleuve s'infléchit brusquement à l'est et vient présenter à l'eau une barrière perpendiculaire. En amont, sur l'autre rive, une pointe avancée renvoie dans ce coude toutes les eaux du fleuve qui la frappent et s'y réfléchissent, de sorte que la masse entière des eaux du Cambodge vient s'engouffrer avec la rapidité et le bruit du tonnerre dans les quatre ou cinq canaux que forment les îles à base de grès qui se profilent le long de la rive droite. Irritées de la barrière soudaine qu'elles rencontrent, les ondes boueuses attaquent la berge avec furie, l'escaladent,. entrent dans la forêt, écument autour de chaque arbre, de chaque roche et ne laissent debout dans leur course furieuse que les plus grands arbres et les plus lourdes masses de pierre. Les débris s'amoncellent sur leur passage ; la berge est nivelée, et, s'élevant au milieu d'une vaste mer d'une blancheur éclatante; pleine de tourbillons et d'épaves, quelques géants de la forêt, quelques roches noirâtres résistent encore, pendant que de hautes colonnes d'écume rejaillissent et retombent sans cesse sur leurs cimes.

C'était là que nous arrivions avec la rapidité de la flèche. Il était de la plus haute importance de ne pas être entraîné par les eaux dans la forêt, où nous nous serions brisés, en mille pièces, et de contourner la pointe en suivant la partie la plus profonde du chenal. Nous y réussîmes en partie. Ce ne fut d'ailleurs pour moi qu'une vision, qu'un éclair. Le bruit était étourdissant , le spectacle fascinait le regard. Ces masses d'eau, tordues dans tous les sens, courant avec une vitesse que je ne puis estimer à moins de dix ou onze milles à l'heure et entraînant au milieu des roches et des arbres notre légère barque perdue et tournoyante dans leur écume, auraient donné le vertige à l'oeil le moins troublé. Renaud eut le sang-froid et l'adresse de jeter, à mon signal, un coup de sonde qui accusa dix mètres; ce fut tout. Un instant après, nous frôlions un tronc d'arbre le long duquel l'eau s'élevait à plusieurs mètres de hauteur. Mes bateliers, courbés sur leurs pagayes, pâles de frayeur, mais conservant un coup d'oeil prompt et juste, réussirent à ne point s'y briser. Peu à peu la vitesse vertigineuse du courant diminua : nous entrâmes en eau plus calme; la rive se dessina de nouveau; nies bateliers essuyèrent la sueur qui ruisselait de leurs fronts. Nous accostâmes pour les laisser se reposer de leur émotion et des violents efforts qu'ils avaient dû faire. Je remontai à pied le long de la berge pour essayer de prendre quelques relèvements et compléter la trop sommaire notion que je venais d'avoir de cette partie du fleuve : si la profondeur de l'eau paraissait suffisante pour laisser passer un navire, la force du courant enlevait tout espoir que ce passage pût jamais être tenté, et le chenal, s'il existait, ne devait plus être cherché de ce côté, mais plus probablement au milieu des îles qui occupent la partie centrale du lit du fleuve.

En continuant la descente du fleuve le long de la rive droite, je trouvai encore quelques passages assez rapides, mais aucun qui présentât le moindre danger. Le même ,jour, à deux heures et demie, j'arrivais à Som-bor, ayant parcouru en douze heures, grâce à la rapidité du courant, la distance que nous venions de mettre sis jours à franchir, en remontant le fleuve ! Je trouvai à Sombor une barque cambodgienne chargée de caisses que nous avions dû laisser à Cratieh, faute de moyens de transport suffisants, et qui allait rejoindre l'expédition à Stung Treng ; j'abandonnai ma petite pirogue trop incommode pour un long trajet, je récompensai généreusement mes deux pilotes., et, après avoir pris définitivement congé d'eux et du gouverneur de Sombor, chez lequel je passai une nuit, je repartis avec cette barque retardataire. Ce fut avec la plus vive satisfaction que je m'aperçus, pendant le trajet, qu'elle contenait des caisses de biscuits : j'étais parti sans provisions, et je n'avais pu acheter à ombor des vivres en quantité suffisante. Ce biscuit et un peu d'eaude-vie me permirent de ne point recourir absolument aux boulettes de riz des bateliers. Le 30 juillet, j'étais de retour, sans autre incident, à Stung Treng.

Tout s'y passait le plus tranquillement du monde. Le commandant de Lagrée en était parti, la veille, pour faire une excursion dans le Se Cong. Le logement de l'expédition était complètement achevé et plaisamment situé à l'embouchure d'un petit arroyo, sur la berge même de la rivière. Il n'était séparé des maisons du village que par le sentier qui en forme la rue principale. La population s'était bien vite accoutumée à la petite expédition ; les approvisionnements et les achats de toute nature se faisaient avec la plus grande facilité:. Les environs offraient d'agréables promenades et de fructueuses parties de chasse ; on y rencontrait même comme une réminiscence des ruines d'Angcor : à la pointe même de la rivière et du grand fleuve, au milieu de la solitude d'un petit bois, sont des restes fort remarquables de tours en briques de l'époque khmer, que M. Delaporte a dessinés avec soin. Les bases de ces tours sont divisées en deux compartiments, dont chacun forme un petit sanctuaire rectangulaire. En dedans de l'enceinte qui enclôt ces tours, sont des restes d'édicules, comme dans les monuments du Cambodge. Les encadrements des portes sont en grès : mais si les briques employées sont d'une grande beauté et d'une grande perfection de cuisson et de forme, la pierre est plus grossière, plus mal jointe ; l'ornementation est d'un goût plus lourd.

 Il semble résulter de la relation du voyage d'une mission hollandaise, celle de Gérard van Wusthof; qui en 1641 remonta le fleuve du Cambodge jusqu'à Vien Chang [9] , que ces ruines étaient autrefois le lieu d'une résidence royale, et que la domination cambodgienne, à Stung Treng, ne remonte pas à une époque bien éloignée. « Le 17 août, (lit cette relation, nous passâmes la nuit à Baetrong (ce qui précède permet d'identifier cette localité avec Stung Treng), près d'une église en pierre, ruinée de vétusté, où les Louwen (Laotiens) faisaient des cérémonies et des sacrifices. Des cierges brûlaient dans cette église sur les autels de deux idoles. Il y a cinquante ans environ, les rois du Cambodge résidaient en cet endroit; mais, obligés de reculer devant les attaques incessantes des Louwen , ils abandonnèrent cette église à elle-même dans la solitude d'un bocage , et descendirent au lieu où ils résident actuellement. » D'après la même relation, il y avait encore, à l'époque du passage des Hollandais, des Cambodgiens établis jusque dans le haut de la vallée du Se Gong. Aujourd'hui il n'y en a plus un seul.

Le village même de Stung Treng peut contenir environ huit cents habitants, tous laotiens. La province dont il est le chef-lieu s'étend tout entière sur la rive gauche du Cambodge. Stung Treng est l'intermédiaire commercial entre Pnom Penh et Attopeu, centre assez considérable, situé dans le haut de la rivière, et le dernier point qui à l'est relève de Ban Kok. Attopeu est le lieu d'une production de poudre d'or autrefois importante, aujourd'hui presque nulle. De nombreuses tribus sauvages, dont quelques-unes, les Proons, sont réputées très cruelles, habitent les régions montagneuses qui circonscrivent la vallée du Se Cong, et surtout la zone comprise entre cet affluent du grand fleuve et la grande chaîne de Cochinchine.

Le commerce est entre les mains de quelques Chinois, la plupart originaires du Fo-kien, arrivés là par la Cochinchine. Les produits qu'ils apportent sont : de la noix d'arec, des étoffes de soie, des cotonnades, du sucre, du sel, divers articles de mercerie et de quincaillerie. Ils remportent à Pnom Penh de la cardamome, de l'ortie de Chine, de la cire, de la laque, de l'ivoire, des peaux et des cornes de cerf et de rhinocéros, des plumes de paon et quelques objets de vannerie et de boissellerie artistement fabriqués par les sauvages, Tous ces échanges se font en nature, et il faut une saison entière pour transformer de la sorte le chargement d'une barque. Ce n'est pas que la monnaie soit inconnue dans le pays : le tical siamois, qui est la monnaie officielle , et la piastre mexicaine, y ont cours ; mais ils ne s'y trouvent qu'en quantité excessivement faible. Comme monnaie divisionnaire, on se sert à Stung Treng de petites barres de fer aplaties de forme lozangique, de trois centimètres de largeur au milieu, sur moins d'un centimètre d'épaisseur et sur quatorze ou quinze centimètres de long. Elles pèsent environ deux cents grammes et l'on en donne dix pour un tical, cette monnaie singulière et incommode, qui attribue au fer une valeur huit ou neuf fois supérieure à celle qu'il a dans les pays civilisés, vient de la province cambodgienne de Tonly Repou. Pour une de ces barres de fer, les habitants donnent ordinairement deux poules. Un peu plus haut dans la vallée du Cambodge, à Bassac et à Oubon, on se sert comme monnaie divisionnaire de petit saumons de cuivre de la grosseur du petit doigt et d'une longueur de 6 à 7 centimètres, appelés lais. On en donne 24 pour un tical.

Comme on peut le pressentir aisément, le commerce dont je viens de parler ne se fait que dans des proportions excessivement restreintes. Les Laotiens de cette zone ne sont guères plus producteurs que les Cambodgiens, et ce que j'ai dit plus haut de ces derniers peut s'appliquer également à leurs voisins de Stung Treng. Sans l'intervention de l'élément chinois, ces contrées éloignées mourraient bientôt à toute relation extérieure. Malheureusement, le régime douanier déplorable auquel -est soumis le Cambodge est un puissant obstacle aux efforts des laborieux émigrants que le Céleste-Empire fournit à toutes ces régions. Dès notre arrivée à Stung Treng, quelques-uns des Chinois qui y résidaient adressèrent à ce sujet de vives plaintes à M. de Lagrée : l'augmentation des droits de douane à Pnom Penh, pour toutes les marchandises venant du Laos, était devenue telle, dirent-ils, que cette route commerciale cependant si directe, et relativement si facile, se trouvait trop onéreuse et qu'il allait falloir y renoncer pour prendre celle de Ban Kok. Outre la dîme prélevée sur tous les produits, le fermier récemment installé par le roi exigeait encore des cadeaux en nature qui élevaient le total des droits perçus à vingt pour cent environ de la valeur des marchandises !

Si l'on se rappelle que le Cambodge couvre complétement au nord-ouest la frontière de nos possessions de Cochinchine et qu'il est le lieu de transit obligatoire de toutes les marchandises qui, de la vallée du fleuve, veulent se diriger vers Saïgon, on comprendra quelle importance il y aurait pour cette dernière ville à faire disparaître de pareilles entraves commerciales. On a cru beaucoup faire en supprimant toute douane entre le Cambodge lui-même et notre colonie. C'est surtout entre le Cambodge et la zone extérieure qu'il conviendrait de prendre une mesure analogue. A côté de ce commerce, qui est peu florissant, le Se Cong est la route d'un autre genre d'échanges

moins avouable, mais plus actif et plus avantageux, qu'il appartiendrait à l'influence française de faire disparaître. Je veux parler de la vente des esclaves. Pour un peu de laiton ou de poudre, pour quelques verroteries, les chefs des tribus sauvages de cette zone consentent à livrer des adolescents, souvent même des familles entières, que les Chinois vont vendre ensuite sur le marché, aujourd'hui français, de Pnom Penh. Quoique la condition de ces esclaves au milieu des Laotiens ou des Cambodgiens ne soit point comparable à ce qu'était jadis celle des nègres dans les colonies européennes, qu'ils jouissent même souvent d'un bien-être plus grand qu'à l'état de liberté, ce commerce n'en a pas moins les plus déplorables conséquences pour la race au détriment de laquelle il s'exerce : la guerre entre toutes les tribus presque à l'état de permanence, des enlèvements à main armée et d'indignes violences de la part des marchands qu'attire chaque année ce trafic lucratif. Je fus témoin, quelques mois après, de l'arrivée à Stung Treng d'un convoi d'esclaves , et je ne pus m'empêcher d'être profondément ému de ce spectacle. Si les hommes paraissaient en général assez indifférents à leur sort, les femmes serraient convulsivement autour d'elles leurs enfants en bas âge, les cachaient dans leurs bras, et leurs regards trahissaient une angoisse poignante chaque fois qu'un curieux s'approchait pour les examiner.

Un esclave qui a coûté à Attopeu cent ou cent cinquante francs en marchandises, se revend à Pnom Penh cinq cents francs environ.

Le 5 août, M. de Lagrée était de retour de son excursion. Il avait remonté la branche la plus ouest du Se Cong qui, à très  peu de distance de Stung Treng, se divise en trois bras principaux. L'un de ces bras vient du sud et traverse le pays habité par les sauvages 'Radé; les deux autres sont parallèles et descendent du nord-est. M. de Lagrée s'était arrêté à Sieng Pang, chef-lieu d'une petite province laotienne, intermédiaire entre Stung Treng et Attopou, et située à vingt lieues environ du premier de ces deux points. Il pensait que cette partie de la rivière pourrait être très  facilement rendue navigable à l'aide de quelques travaux. A la première bifurcation du Se Cong, il avait rencontré quelques ruines analogues à celles qui se trouvent à la pointe de Stung Treng.

Dès son retour, il demanda au gouverneur les barques et les hommes que les lettres de Ban Kok ordonnaient de nous fournir en échange d'une rémunération suffisante. Ces barques devaient nous conduire jusqu'aux cataractes de Khon; là, un transbordement devait avoir lieu, et des barques de la province suivante devaient venir nous chercher. Ces cataractes de Khan nous étaient signalées comme le plus grand obstacle à la navigabilité du fleuve et nous étions impatients d'en juger de visu.

Pendant que le gouverneur expédiait des ordres aux différents villages pour réunir les moyens de transport qui nous étaient nécessaires, M. de Lagrée essayait par tous les moyens d'attirer à lui les anciens du pays, pour en obtenir tous les renseignements possibles sur la partie de la vallée du fleuve vers laquelle nous nous dirigions. Il dressait aussi une espèce de carte qu'il appelait en riant la carte (le l'avenir, et à l'aide de laquelle il réglait. nos étapes, calculait la quantité de vivres qu'il était indispensable d'emporter avec soi, tachait en un mot de pourvoir à toutes les éventualités. à tous les besoins, avec une sollicitude minutieuse et un sens pratique que l'on rencontre bien rarement à un degré aussi développé chez un chef d'expédition. Il s'informait également avec soin de tout ce qui se rapportait à l'histoire, à l'administration, à la politique du pays. La curiosité, les petits cadeaux qu'il faisait à ses visiteurs attiraient au campement une affluence assez grande. A l'exemple du gouverneur; toutes  les autorités subalternes du Muong s'y rendirent. Le chef des bonzes de l'endroit ne crut pas déroger à son sacré caractère et à la vénération attachée à sa robe jaune, en allant saluer à son tour le commandant français. Les indications vagues, les renseignements souvent contradictoires que celui-ci recueillait dans ses conversations avec les indigènes témoignaient souvent d'une grande ignorance, quelquefois d'une défiance extrême de leur part; mais, en pays inconnu, les moindres données ont une importance énorme. Leur discussion fournissait un élément à nos causeries et un stimulant à nos imaginations. Malgré les pluies qui étaient torrentielles et produisaient parfois en une nuit des crues de plus d'un mètre, tout le monde avait hâte de sortir du repos dont le plus grand nombre jouissait depuis plus de deux semaines. La santé générale de l'expédition paraissait assez bonne M. Thorel qui, à la suite de l'excursion d'Angcor, avait été atteint d'une dysenterie assez grave, s'était remis à peu près complètement, après nous avoir donné à Cratieli les plus vives inquiétudes. Seul, depuis mon retour de Sombor, je me sentais assez sérieusement indisposé: et M. Delaporte avait dû me remplacer dans mes diverses fonctions. Au milieu des préparatifs de départ, cette indisposition se transforma tout à coup en maladie grave, et à partir de ce moment je perds tout souvenir de ce qui s'est passé pendant une douzaine de jours.

F. GARNIER.
(La suite à la prochaine livaison.)


[1] Ce voyage, entrepris par ordre du gouvernement français et dirigé par M. le capitaine de frégate Doudart de Lagrée, a été couronné par les Sociétés de Géographie de Paris et de Londres. La première, dans sa séance du 30 avril 1869, a partagé sa grande médaille d'or entre les deux chefs successifs de l'expédition, MM. de Lagrée et Garnier; la seconde, dans sa séance du 23 mai 1870, vient de décerner à M. Garnier sa patron's medal, ou médaille de la reine Victoria.    E. C.

[8] Toutes ces essences, inconnues en Europe, n'ont pas d'appellations équivalentes en langue vulgaire et je leur donne le nom annamite sous lequel elles commencent à être connues dans notre colonie de Cochinchine. C'est sous cette forme seulement que ce renseignement peut avoir chance d'être utile à quelques lecteurs.

[9] Voyage lointain aux royaumes de Cambodge et Laouren par les Néerlandais et ce qui s'y est passé jusqu'en 1644 (Harlem, 1669), petite brochure en langue flamande qui a été traduite pour la première fois en français in extenso, sur ma demande, par MI. Paul Volkei, directeur de l'Institut allemand de Paris. Les extraits que j'en donne ici, de même que les citations françaises de l'espagnol Ribadeneyra contenues dans les livraisons précédentes, sont complètement inédits.