MéKong et SéMoun sur GoogleMap
ce voyage sur GoogleMap
Télécharger le texte Part II - 210ko
Cliquer pour retour  liste des textes
Cliquer pour retour au Sommaire

LE TOUR DU MONDE - Volume XXII -1870-2nd semestre - Pages 049-096

Télécharger : 180 ko
Angcor Tom: Baion, ou monument des quarante-deux Tours restauré

VOYAGE D'EXPLORATION EN INDOCHINE.

TEXTE INÉDIT PAR M. FRANCIS GARNIER, LIEUTENANT DE VAISSEAU'.
ILLUSTRATIONS INI DITES D'APRÈS LES DESSINS DE M. DELAPORTE. LIEUTENANT DE VAISSEAU.

1866-1867-1868

Chapitre 2 suite chapitre 3

III

Les cataractes de Khong. - Île de Khong. - Arrivée et séjour à Bassac.

Le premier souvenir un peu net que je retrouve dans ma mémoire, après cette obscure période de cauchemars et de fantastiques évocations du passé dont se compose le délire, est un calme et riant paysage des tropiques. Sur les bords d'une rivière étroite et torrentueuse, non loin d'une cascade brillante que les rayons du soleil enveloppent d'une poussière diamantée, se trouvent disséminées quelques cases. Au delà, derrière un rideau de cocotiers, s'étendent de larges rizières dont la surface ondoyante jaunit déjà, verte étendue que des talus étroits et réguliers encadrent de filets blancs. Quelques barques stationnent devant les maisons et une trentaine d'indigènes vont et viennent, transportant des caisses et des ballots. Au milieu d'eux, les surveillant et les dirigeant, je reconnais la plupart de mes compagnons de voyage qui m'adressent un sourire ou une parole d'encouragement. On me porte dans un hamac et j'éprouve une singulière sensation de plaisir à me sentir vivre, balancé entre les bras de robustes porteurs. J'ouvre de toutes mes forces mes poumons à l'air chaud et vivifiant qui se joue à travers la cime des palmiers et allonge leurs ombres insaisissables devant moi; mais la force me manque pour tout autre mouvement. Je ne vis encore que par la pensée et le regard.

C'était le 18 août, jour de notre arrivée dans l'île de Khong, au pied même des cataractes. Nous étions partis de Stung Treng depuis quatre jours, à un moment où l'on désespérait de me sauver. M. Joubert et M. Thorel, qui m'avaient soigné pendant toute ma maladie avec le plus grand dévouement, avaient pensé qu'un changement d'air ne pouvait que m'être favorable. Le jour même du départ, je m'étais jeté à l'eau malgré le soldat qui était chargé de me garder à vue, et ce bain, pris dans un accès de délire, sans que j'eusse moimême la moindre conscience de ce que je faisais, avait produit une réaction salutaire devant laquelle le typhus dont j'étais atteint avait cédé. Je n'avais plus maintenant qu'à me résigner à la longue convalescence qui. suit toujours une maladie de ce genre.

Que MM. Joubert et Thorel reçoivent ici tous mes remercîments pour leurs soins empressés.

C'est à Khong, si le lecteur s'en souvient, que de nouvelles barques, envoyées de Khong, chef-lieu de province situé à quatre ou cinq lieues plus haut dans l'île de ce nom, devaient venir nous prendre. Les communications étant assez lentes à cette époque de l'année, et la préparation des barques toujours longue, nous dûmes séjourner environ une semaine dans le sala du village sis à l'extrémité nord de l'île de Khong. Ce temps fut employé par M. de Lagrée et M. Delaporte à diverses reconnaissances. le dessin qui précède représente ce dernier franchissant le petit bras qui séparé l'île de Khong de l'une des chutés les plus importantes, celle de Salaphe. J'explorai moi-même avec soin cette région quelque temps après, et je vais essayer d'en donner une idée. Cette partie du cours du. Cambodge présenté une physionomie unique, et il serait impossible, je crois, de trouver quelque chose d'analogue dans la description de tous les autres grands fleuves du globe.

Après avoir cheminé depuis Stung Treng entre une multitude d'îles qui empêchent presque toujours d'apercevoir en même temps les deux rivés, on arrivé, en remontant le fleuve, dans un immense et magnifique bassin qui a environ une lieue et demie dans sa plus grande dimension et une quarantaine de mètres de profondeur. Il est limité au nord par un amas compacté d'îles, au milieu desquelles surgissent pour la première fois quelques collines. C'est au travers de ces îles et par vingt canaux différents que les eaux du fleuve, quelque temps retenues dans les sinuosités de leurs rives, se précipitent dans le tranquille bassin où elles viennent se confondre et s'apaiser. A l'extrémité ouest de ce bassin et sur la rivé droite, s'élève un groupé de montagnes. On sent que c'est là le point de départ de l'arête rocheuse qui est venue si malencontreusement barrer le cours du fleuve. En traversant le bassin, on aperçoit successivement, à l'entrée de chacun des bras (lui s'y déversent, des chutés d'eau, différentes d'aspect et de hauteur. qui ferment l'horizon de leur mobile rideau d'écumé. Les eaux ne tombent point cependant partout en cascade. Dans quelques bras longs et sinueux, elles ont aplani l'obstacle et coulent en torrent. Ce sont là des chenaux dont profitent les indigènes pour faire passer leurs barques complètement allégées. Ces passages varient avec les saisons et quelques-uns restent complètement à sec pendant plusieurs mois de l'année. Les deux canaux les plus importants et les cataractes les plus belles se trouvent dans les deux bras extrêmes du fleuve, le bras de Salaphe et celui de Papheng. Là on voit des chutés d'eau de plus de quinze mètres de hauteur verticale et d'une longueur qui atteint parfois un kilomètre. La ligné des cataractes s'étend, décomposée en plusieurs tronçons, sur une longueur totale de douze à treize kilomètres. En amont, le fleuve se rétrécit un instant jusqu'à ne plus atteindre que la moitié de cette dimension ; puis il s'épanouit de nouveau sur l'immense plateau de roches qui précède les chutes, en se perdant au milieu d'îles sans nombre, et en embrassant entre ses deux rives un espace de près  cinq lieues. Tout, dans ce gigantesque paysage, respire une forcé et revêt des proportions écrasantes. Cette grandeur n'exclut pas la grâce: la végétation, qui recouvré partout le rocher et vient se suspendre jusqu'au-dessus des chutes, adoucit l'effrayant aspect de certaines parties du tableau par d'heureux et saisissants contrastes. Au pied des cataractes viennent s'ébattre d'énormes poissons analogues aux souffleurs, et, dans les parties plus tranquilles, des pélicans et autres oiseaux aquatiques se laissent nonchalamment emporter par le courant.

Parmi les îles des cataractes, deux seulement sont habitées, l'île de Khong et celle de Sdam. Toutes les autres sont recouvertes d'une épaisse forêt. Au-dessus, au contraire, les bords du fleuve et lés îles sont trèspéuplés et très cultivés. L'île de Sitandong ou de Khong est 'la plus considérable de tout le groupe; elle a donné son nom à la province. La ligné continué de palmiers, de maisons, de jardins que présentent ses rivés est du plus riant aspect. De petites chaînes de collines la traversent dans toute sa largeur et forment autant de réservoirs naturels d'où l'eau de pluie se répand partout en petits ruisseaux, distribués avec intelligence dans toutes les plantations, le Muong se trouve sur la côté est de l'île. Nous y arrivâmes le 26 août, après avoir quitté l'île de Khong la veille. Un logement nous était déjà préparé sur le bord de l'eau presque vis-à-vis la résidence du gouverneur.

Celui-ci, bon et jovial vieillard de quatre vingts ans, nous accueillit avec les marqués de sympathie et de curiosité les plus vives: il était complètement sourd, et pour le ténirau courant de la conversation, un serviteur devait écrire sans relâche sur un tableau qu'on lui mettait sous les yeux. Sa bienveillance et son empressement à satisfaire toutes nos demandes ne se démentirent pas un instant. A Khong, nous n'étions annoncés par aucun antécédent fâcheux pour la considération des Européens: la tranquillité et la richesse de cette province, assez éloignée des frontières pour ne ressentir jamais les contre-coups des guerres voisines, rendaient la population plus confiante qu'à Stung Treng, où l'on était exposé souvent aux incursions des sauvages et des rebelles annamites ou cambodgiens. Notre générosité, la douceur de nos allures, la régularité de la conduite des hommes de l'escorte justifièrent et augmentèrent cette confiance. Les habitants se montrèrent plus qu'empressés et nous importunèrent souvent par leur curiosité de toute heure et de toute circonstance. Les moindres objets européens, apportés comme cadeaux ou comme objets d'échangé, excitaient la plus vive admiration et les plus grandes convoitises. Le gouverneur, rendu l'heureux possesseur de quelques-uns d'entre eux, disait que bien certainement Bouddha avait dû naître en France et non dans un pays aussi dénué et aussi barbare que le sien. Il nous envoya un boeuf en retour, ce qui nous causa un plaisir infini, pareille aubaine ne nous étant point arrivée depuis notre clépart de Pnom Penh.

La position de Khong en fait un centre commercial assez important et les échanges y paraissent plus actifs qu'à Stung Treng. Les principaux négociants sont des Chinois fixés dans le pays depuis longtemps et mariés à des indigènes. Aux denrées déjà signalées à Stung Treng, il faut ajouter la soie que l'île de Sitandong produit. en quantités relativement considérables. Khong est en relation avec les tribus sauvages de l'est par une route qui part de la rive gauche du fleuve et qui paraît assez fréquentée. A la hauteur de Khong, et sur la rive droite, s'étend la province cambodgienne de Tonly Repou, tombée aujourd'hui au pouvoir des Siamois. Elle doit son nom à une jolie petite rivière, dont la vallée était autrefois riche et peuplée; depuis sa séparation du Cambodge, elle a été désertée en partie et les montagnes qui la limitent sont le lieu de refuge de bandes de voleurs. Le commandant de Lagrée alla visiter, pendant notre séjour à Khong, un ou deux villages qui dépendent de cette province et remonta pendant quelques milles la rivière Repou, que les Laotiens appellent Se Lompou [1]. Il revint convaincu de l'importance qu'il y aurait, pour le Cambodge et pour le commerce de notre colonie de Cochinchine, de revendiquer la possession d'un territoire dont Siam s'est emparé par une véritable trahison. Sous le roi Ang Cham, prédécesseur d'Ang Duong, père du roi de Cambodge actuel, le Déchu Ming, grand mandarin de Compong Soai, se révolta contre son souverain légitime ; poursuivi par les troupes royales, auxquelles s'étaient joints les Annamites, il se réfugia dans la province de Tonly Repou qui relevait de son gouvernement. N'espérant pas pouvoir y tenir longtemps, il implora le secours du roi de Siam et lui offrit de lui livrer, non seulement cette province, niais encore celle de Muluprey, située plus à l'ouest. Siam accepta l'offre, lui donna le commandement de ces deux provinces que les Cambodgiens n'osèrent plus revendiquer, et la scission fut consommée en fait sans avoir cependant jamais été proclamée ou reconnue de part et d'autre d'une façon officielle.

Si l'on veut que le commerce par la vallée du Mékong prenne l'extension qui est dans la nature des choses, il faut que le pavillon français flotte sur la rive droite du fleuve, au-dessus des cataractes, pour protéger le transbordement des marchandises qui remontent ou qui descendent le fleuve, faciliter les travaux pouvant améliorer le passage et agrandir le cercle de l'influence civilisatrice, qui seule peut faire atteindre à ces riches contrées le développement dont elles sont susceptibles.

La position du groupe d'îles que commande Khong lui assurera, dès que le pays se trouvera en possession de communications commerciales plus faciles et moins onéreuses, une prospérité analogue à celle que les districts les plus favorisés du delta du Cambodge ont acquise sous la domination française. Malheureusement, à Khong comme à Stung Treng, nous avons recueilli de la part des commerçants chinois les mêmes plaintes sur les exigences et les rigueurs de la douane cambodgienne de Pnom Penh.

Dans le sud de l'île de Khong, M. de Lagrée a trouvé quelques vestiges peu importants, mais non méconnaissables, de constructions khmers. Le pays, plus accidenté, plus pittoresque que la monotone et plate étendue que nous avions traversée jusque-là, invitait, malgré les pluies, aux excursions et aux promenades. Vis-à-vis notre campement, sur la rive gauche du fictive, 's'élevaient des hauteurs boisées: habitués aux plaines sans limites de la Cochinchine et du Cambodge, nous nous imaginions retrouver là de véritables montagnes. La complaisance des habitants dont nous commencions à balbutier un peu la langue rendait nos déplacements plus faciles: nous nous sentions plus libres dans nos mouvements, plus indépendants qu'au début du voyage, et chacun mettait plus d'activité, et plus de plaisir à ses recherches.

On se rappelle sans doute qu'avant de nous engager définitivement dans la partie supérieure de la vallée du fleuve, nous devions recevoir du gouverneur de la colonie les passeports et les instruments qui nous manquaient encore. Il fallait choisir un point de stationnement commode et agréable pour attendre le retour de la saison sèche au commencement de laquelle on devait expédier de Pnom Penh les objets attendus. M. de Lagrée avait hésité un instant entre Khong et Bassac, chef-lieu de la province qui confine immédiatement au nord la province de Khong, et qui se trouve sur le fleuve à un peu plus de vingt lieues de ce dernier point. Après quelques jours passés à Khong, le chef de l'expédition fixa son choix sur Bassac, dont l'importance politique lui partit plus grande et où il pensa qu'il serait plus facile d'obtenir des renseignements sur le haut du pays.

Le 6 septembre, nous nous remîmes en route pour cette nouvelle destination. Au-dessus de l'île de Khong, le fleuve réunit toutes ses eaux en un seul bras; pour la première fois depuis Somber, il n'occupe plus qu'une largeur de douze, à quinze cents mètres et son lit se trouve débarrassé des rochers et des bouquets d'arbres qui l'obstruaient. Ses rives, très peuplées et très cultivées, offrent partout des lieux de halte commodes et bien approvisionnés. Il fallut au début réprimer vigoureusement les tentatives de vol et de pillage de nos bateliers laotiens; l'honneur de nous conduire leur accordait, disaient-ils, le privilège de l'impunité. Nous eûmes toutes les peines du monde à leur faire comprendre que nos usages répugnaient à de telles libertés, mais nous apprîmes que chaque fois qu'un mandarin siamois traversait le pays, les hommes de son escorte et les bateliers qui l'accompagnaient s'arrogeaient le droit de prendre dans les villages tout ce qui se trouvait à leur convenance. Il fallut user de menaces pour convaincre nos indigènes que nous n'acceptions pas cette assimilation.

De Khong à Bassac, la direction du Cambodge est exactement le nord. Des deux côtés de ses rives, les collines, que nous avions commencé à rencontrer à Khong, s'élèvent graduellement en chaînes régulières et composent des horizons plus variés. Au fond de la longue perspective que nous offrait le cours du fleuve, se dessinait un groupe lointain de montagnes qui, chaque jour, prenait au-dessus de l'horizon des proportions plus considérables. Au bout de cinq jours de marche, nous, commencions à parcourir immense arc de cercle que décrit le fleuve au pied de ces montagnes, et le lendemain, 11 septembre, à neuf heures du matin, nous prenions terre encore une fois à Bassac.

Bassac est situé sur la rive droite du Mekong, au pied d'un imposant massif montagneux qui est le trait géographique le plus saillant de tout le Laos inférieur. Ce massif, à cheval sur le fleuve, occupe sur la rive gauche un immense espace à peu près circulaire et se prolonge sur la rive droite par deux ou trois sommets remarquables. L'un d'eux, appelé Phou Bassac par les indigènes, d'une forme conique très élancée, s'élève à une faible distance à l'ouest du village et jette de Lou, côtés des contreforts puissants. Au nord de Bassac et sur les bords mêmes du fleuve, un plateau à arêtes très vives et coupé à pic sur sa face sud - ce que nous devions apprendre plus tard à nos dépens - est le point de départ d'une chaîne d'un fort relief qui longe la rive droite. Elle se termine par un pic, Phou Molong (phou signifie montagne en laotien), qui est le plus important de tout ce groupe et dont la cime peut se voir, par un temps clair, de la pointe nord de l'île de Khong, c'est-à-dire d'une distance de vingt-cinq lieues.

Vis-à-vis Bassac, le Cambodge est divisé en deux bras très inégaux par une grande île, Don Deng, qui ne ménage le long de la rive gauche qu'un canal de quatre cents mètres de large et laisse les eaux du fleuve se déployer devant Bassac sur une largeur de plus de deux kilomètres. Dans l' est-nord-est, les sommets volcaniques de la partie du massif montagneux située sur la rive gauche dentellent l'horizon, et à l'angle le plus sud de ce massif s'avance une haute montagne ronde que nous avions surnommée le Teten en raison de sa forme et à laquelle j'ai donné depuis le nom de pic de Lagrée.

La beauté du fleuve, le cadre puissant de montagnes au milieu duquel il déroule ses paysages grandioses, font de Bassac l'une des situations les plus remarquables et les plus pittoresques de la vallée du Cambodge. Elle est aussi l'une des plus heureusement choisies au point de vue politique et commercial. Le voisinage de Phou Bassac tempère singulièrement les ardeurs du climat; quoique l'on soit à peine sous le quinzième degré de latitude nord, on retrouve ici pendant quelques matinées de janvier les températures de douze à quatorze degrés, si vivifiantes pour des Européens anémiés par un long séjour sous les tropiques; au fort de l'été, la chaleur n'est jamais aussi insupportable qu'elle l'est en Cochinchine et dans quelques autres endroits de la vallée du fleuve situés plus au nord. L'immense nappe d'eau qui s'étend devant le village rafraîchit l'atmosphère et produit des jeux réguliers de brise qui le renouvellent constamment. Cette position exceptionnelle désigne Bassac comme l'un des points du Laos inférieur où l'influence française doit désirer de s'implanter le plus solidement.

Les pluies diluviennes qui nous accueillirent à notre arrivée nous empêchèrent de goûter tout d'abord les charmes et les avantages de notre nouveau séjour. Le gouverneur de Bassac nous avait donné pour résidence le vaste sala construit sur la berge vis-à-vis sa demeure. Nous y fûmes claquemurés par le temps pendant une dizaine de jours. Notre seule distraction était de contempler les eaux jaunâtres du fleuve, chaque jour plus rapides et plus hautes, charrier des arbres énormes, parfois même des îlots arrachés à ses rives. Tout autour de notre habitation, des Laotiens à figure stupéfaite restaient des heures entières à nous regarder à travers le treillage en bambous (lui en formait les murs, et nous fournissaient un genre de spectacle moins grandiose el, aussi monotone que le premier.

Enfin, vers le 20 septembre, les pluies cessèrent, J'avais hâte, en ma qualité de géographe, de fixer la position du point où nous étions arrivés, et je profitai pour cela du premier rayon de soleil. Je laisse à penser si la curiosité des badauds en redoubla. Mes calculs achevés et débarrassé de ce souci scientifique, je pus faire plus ample connaissance avec le pays et nu, joindre aux excursions qu'organisaient avec entrain mes compagnons de voyage.

Nous n'avions d'autres prédécesseurs européens à Bassac que les voyageurs hollandais du dix-septième siècle. Leur relation peu connue et fort incomplète ne contient aucune observation sérieuse sur les mœurs des habitants et l'histoire de la contrée. Depuis ce voyage jusqu'à celui de Mouhot, les quelques descriptions que l'on possède sur les régions indochinoises sont remplies de tant de faits erronés et d'assertions contradictoires qu'il ne sera pas inutile, avant de continuer ce récit, d'esquisser rapidement l'aspect général de la population nouvelle, au milieu de laquelle nous devions vivre pendant de longs mois. Le lecteur, brusquement arraché du milieu des ruines d'une antique civilisation, et rapidement conduit, d'île eu île, de cataracte en cataracte, dans le coeur d'un pays inconnu et presque sauvage, doit être un peu hors d'haleine et ne sera pas fâché de se reposer un peu. Après ces quelques données sur la nation laotienne, il lui sera plus facile de comprendre et de partager les impressions du voyageur.

La race laotienne est d'origine mongole et ne s'est avancée que graduellement du nord au sud le long de la vallée du Cambodge. Les vagues souvenirs que l'on peut recueillir encore s'accordent à la faire venir de la partie orientale du plateau du Tibet. Elle se serait établie tout d'abord dans l'État de Xieng Mai, un des royaumes laotiens qui apparaissent les premiers clans l'histoire, vers le septième ou le huitième siècle avant notre ère. Concentrée pendant longtemps dans cette région, elle aurait réussi à former, sur les frontières mêmes de la Chine; Lui puissant royaume dont on retrouve quelques mentions dans les annales chinoises. l'en avant notre ère' un rameau considérable de cette souche d'émigrants s'en détacha pour s'avancer dans le sud par la vallée du Ménam. C'est la nation siamoise actuelle. La langue laotienne et la langue siamoise diffèrent encore aujourd'hui tellement peu entre elles que les deux peuples se comprennent sans difficulté. Les traditions siamoises reportent dans l'intérieur du Laos toutes Leurs origines ; c'est la terre sainte où se sont accomplis tous les prodiges et d'où est venu l'enseignement religieux. Les Siamois eux-mêmes ne s'appellent que les Petits Thay ( Thay signifie homme libre) alors qu'ils donnent le nom de Grands Thay à tous les Laotiens du Xieng Mai et de la partie du Laos plus septentrionale qui dépend aujourd'hui de la Birmanie. Sur l'étymologie du mot Laos lui-même on ne peut hasarder (lue des conjectures, et j'ignore si c'est une appellation indigène ou étrangère. Dans le Laos inférieur, les habitants se nomment eux-mêmes Léo; c'est également ainsi qu'ils sont désignés par les Annamites. Jose de Barros. qui est le premier auteur où l'on rencontre le mot Laos, semble tenir ce nom des Siamois. Dans la relation de Gérard van Wusthof. le Cambodge est appelé le fleuve Laouse et le royaume de Vien Chang le pays de Laouven ou de Louwen en. Dans tous les cas. le nom de Laotien semble s'appliquer plus spécialement à lu branche (le cette race qui occupe la vallée du Cambodge, et le non de Thay est réservé aux Laotiens du nord. Cette division des Laotiens en deux grandes tribus est adoptée à la fois par les Siamois et les Birmans; c'est surtout à la première de ces deux tribus que s'appliqueront les notions que l'on trouvera plus loin sur les institutions du Laos.

Alors que les Siamois réussissaient à fonder aux embouchures du Ménam un empire qui est aujourd'hui le plus florissant de toute l'Indochine, le rameau laotien qui nous occupe rencontrait les difficultés les plus grandes à s'établir sur les rives du Cambodge; il eut à combattre longtemps contre les populations autochtones. Divisé sous un grand nombre de chefs, ses luttes intestines ne contribuèrent pas peu à arrêter son développement et à l'assujettir pendant de longues périodes aux royaumes voisins. C'est probablement une principauté laotienne qu'il faut reconnaître dans le royaume de Lam-ap dont les annales tong-kinoises retracent les longues guerres avec les Annamites, vers les quatrième et cinquième siècles de notre ère. A plusieurs reprises, la domination chinoise s'étendit sur ces contrées, et ce fût autant pour la fuir que pour chercher, en se rapprochant de la mer, les débouchés et les relations extérieures qui leur manquaient, que les Laotiens continuèrent à s'avancer vers le sud. La décadence de l'empire khmer leur permit de fonder, vers le treizième siècle, un puissant royaume, celui de Lantschang ou de Vienchang, qui s'étendit bientôt des cataractes de Khong au vingtième degré de latitude nord et toucha un instant aux portes d'Ajuthia, capitale du royaume de Siam. Une révolution chassa du trône, vers 1528, le roi conquérant et habile qui avait su réunir sous sa domination tout le faisceau des tribus laotiennes, et ses successeurs ne purent se maintenir à ce degré de puissance. A ce moment se placent des luttes acharnées avec les Gueos, gent cruelle et anthropophage, qui habitaient les montagnes et que les Laotiens lie purent soumettre qu'avec le concours des Siamois. Au dix-septième siècle, le royaume de Vienchang brilla d'un nouvel éclat et fut souvent heureux dans ses guerres avec le Cambodge; ce fut à cette époque que sa capitale fut visitée par Gérard van Wusthof et qu'un jésuite, le P. Jean-Marie Léria, parvint à s'établir pendant quelque temps dans le pays pour y prêcher la religion chrétienne. Les impressions de ce missionnaire se trouvent consignées dans Marini et dans Martini. Peu après, la puissance du royaume laotien déclina: il se fractionna de nouveau. Bassac, qui n’était, lors du passage de Wusthof, en 1641. qu'un simple poste frontière, devint, en 1712, la capitale d’une petite principauté, en même temps qu'au nord de Vienchang s'en élevait une autre, celle de Luang Prabang. Les Siamois et les; Annamites se hâtèrent de profiter de ces divisions et commencèrent à se disputer la suprématie de la vallée du fleuve. Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, Siam avait réussi à faire reconnaître sa suzeraineté à tout le Laos, à l'exception du royaume de Bassac (fui resta encore complètement indépendant. La prise d'Ajuthia par les Birmans, en 1767, fit juger aux populations soumises le moment favorable pour secouer le joug ; nais la révolte, un instant victorieuse, ne tarda pas à être comprimée et Bassac fut entraîné dans le désastre commun. En 1826, les princes de Vienchang essayèrent de nouveau de proclamer l'indépendance du Laos; mais la répression fut prompte et terrible: le roi de Vienchang fut vaincu, livré par les Annamites chez lesquels il s'était réfugié, et mourut en prison à Ban Kok.

Depuis cette époque, toute velléité d'indépendance semble avoir disparu chez les Laotiens. Partagés en un grand nombre de provinces dont tous les gouverneurs relèvent directement de Ban Kok, ils paraissent résignés à une domination dont la moindre impatience leur a coûté de si sanglantes et de si cruelles représailles. Cette résignation n'est sans doute que momentanée, et le gouvernement de Siam se sent obligé à de certains ménagements vis-à-vis des vaincus. C'est ainsi qu'il a conservé à la tète des provinces laotiennes des chefs issus des grandes familles du pays et qu'il a laissé le titre de roi aux descendants de race royale. A Bassac même, nous avions affaire à un roi.

Il est difficile de croire que cette domination (le Siam, si lourde à porter malgré les précautions dont elle use, doive être la destinée définitive de cette race intelligente et douce à laquelle il n'a manqué, pour arriver à une civilisation plus complète, que des circonstances géographiques plus favorables à son expansion extérieure et des communications plus fréquentes avec les nations n'était son teint plus pale qui le rapproche beaucoup du Chinois, on serait tenté de lui attribuer une assez forte infusion de sang hindou. Il a la tête rasée et ne conserve, comme les Siamois, qu'un rond de cheveux longs de trois ou quatre centimètres sur le sommet de la tête. Il sait se draper avec goût, et porter les plus belles étoffes avec aisance et dignité. Il choisit toujours les couleurs les plus voyantes et 1e coup d'Oeil d'une assemblée nombreuse où ces vives nuances du costume tranchent sur le teint cuivré des acteurs est parfois d'un effet saisissant. Le costume se compose, pour les gens du commun, d'une simple pièce de cotonnade appelée langouti, passée entre les jambes et autour de la ceinture; pour les gens d'un certain rang, le langouti est en soie et on y ajoute souvent une petite veste boutonnée droit sur la poitrine, à manches très étroites, et une autre pièce d'étoffe, également en soie, que l'on porte soit en guise de ceinture, soit en écharpe autour du cou. La coiffure et la chaussure sont choses presque hors d'usage au Laos ; seuls les voisines. Alors que chez les Cambodgiens tout ressort a disparu, toute vitalité semble éteinte, il existe chez les Laotiens des germes nombreux de développement et de progrès qui n'attendent qu'une féconde impulsion. Leur esprit est curieux, leur religion tolérante. Chez leurs voisins du sud, au contraire, une apathie profonde, un stupide, dédain pour toute chose nouvelle, un fanatisme religieux presque incompatible avec les dogmes bouddhiques, sont des signes non équivoques d'irrémédiable décrépitude. Les premiers peuvent renaître à l'activité et à la richesse, au milieu des contrées admirables qu'ils habitent, sous l'influence civilisatrice de la France ; les seconds semblent n'être qu'une barrière aux progrès de cette influence dans l'intérieur de I'IndoChine.

Le Laotien est en général bien fait et vigoureux. Sa physionomie offre un singulier mélange de finesse et d'apathie, de bienveillance et de timidité. Il a les yeux moins bridés, les pommettes moins saillantes, le nez plus droit que les autres peuples d'origine mongole et gens de peine et les bateliers, quand ils travaillent ou quand ils rament sous un soleil ardent, se couvrent la tète d'un immense chapeau de paille presque plat qui ressemble à un parasol. Les personnages d'un rang élevé portent, quand ils sont en grande toilette, des espèces de pantoufles ou de mules qui paraissent les gêner beaucoup et qu'ils quittent dès qu'ils en trouvent l'occasion.

La plupart des Laotiens sont tatoués sur le ventre ou sur les jambes; cette Habitude tend à disparaître dans le sud du Laos et c'est pour cela que ses habitants sont désignés dans certaines relations sous le nom de Laotiens à ventre blanc, par opposition aux Laotiens du nord (fui sont complètement tatoués entre la ceinture et la cheville et que l'on appelle Laotiens à ventre noir. Je ne crois pas que cet usage ait été spontané chez la nation laotienne. L'auteur portugais que j'ai déjà cité, Jose de Barros, parle des horribles peintures qui couvraient. presque complètement le corps des sauvages Gueos, contre lesquels les Laotiens ont été en lutte au quinzième et au seizième siècle. Ne serait-ce pas là l'origine de la coutume adoptée par ces derniers? Les Gueos me paraissent être les ancêtres des sauvages à type océanien que l'on rencontre dans les régions montagneuses de l'Indochine, et j'ai été frappé de l'analogie d'aspect et de dessin que présentent les tatouages du Laos, comparés à ceux des habitants des Marquises et d'autres îles de la Polynésie. Je livre en passant ce renseignement et cette hypothèse aux ethnographes.

Les femmes laotiennes ne sont guère plus vêtues que leurs maris. Le langouti, au lieu d'être relevé entre les deux jambes, est simplement serré à la ceinture et tombe un peu au-dessus des genoux de manière à former une sorte de jupon court et collant. En général, une seconde pièce d'étoffe se drape sur la poitrine et se rejette sur l'une ou l'autre épaule sans grand souci de cacher les seins. Les cheveux, qui sont toujours d'un noir magnifique, sont portés dans toute leur intégrité et relevés en chignon sur le sommet de la tête. Une bandelette en étoffe ou en paille tressée, large (le deux travers de doigt, les retient et les entoure; ce petit diadème est orné souvent de quelques fleurs. Toutes les femmes portent au cou, aux bras et aux jambes des cercles d'or, d'argent ou de cuivre, entassés parfois en assez grand nombre les uns au dessus des autres. Les plus pauvres se contentent de cordons de coton ou de soie auxquels sont suspendus, surtout chez les enfants, de petites amulettes données par les prêtres comme talismans contre les sortilèges ou comme remèdes contre les maladies. Les hommes faits dédaignent ces ornements et n'estiment que les bagues à pierres brillantes que l'on achète fort cher aux colporteurs qui viennent de Ban Kok. Les gens riches en ont les doigts chargés. Les boucles d'oreilles sont aussi d'un usage assez répandu. Mentionnons encore parmi les accessoires du costume l'énorme cigarette, roulée en forme de tronc de cône dans un fragment séché de feuille de bananier et posée sur l'oreille comme la plume d'un scribe. Il faut plusieurs séances pour la fumer entièrement.

N'en déplaise à mes lectrices, beaucoup de femmes laotiennes m'ont paru gracieuses et mêmes jolies. Était-ce l'effet d'une longue absence de France et d'un séjour prolongé en Cochinchine, où les femmes annamites s'éloignent davantage du type de beauté qui est convenu chez les Européens? Sans aucun doute, et le goût avait dû se dépraver chez moi.

La polygamie n'existe pas, à proprement parler, dans les moeurs. Les gens riches seuls ont plusieurs femmes et encore en est-il toujours une parmi elles qualifiée de légitime. La pureté des alliances est une condition indispensable pour établir la succession aux diverses charges. Une femme qui ne serait pas noble et princesse ne saurait au Laos donner à un roi un fils apte à qui succéder.

Quant au régime civil de la famille, il semble être réglé à peu de nuances près par la loi chinoise qui domine dans toute la péninsule, à Siam comme au Tong-king. Les moeurs sont assez libres et la fidélité conjugale tient souvent à bien peu de chose. L'adultère se punit d'une simple amende et l'opinion est pleine d'indulgence pour les faiblesses de l'humaine nature. Le célibat des prêtres, dont l'inobservance au Cambodge entraîne la mort, se garde au Laos beaucoup moins rigoureusement. Quand, ce qui arrive quelquefois; un coupable est signalé dans les rang sacerdotaux, on se contente de lui administrer quelques coups de rotin et de le défroquer comme indigne.

Comme à Siam et au Cambodge, l'esclavage existe au Laos: on devient esclave pour dette, par confiscation judiciaire, pour éviter la mendicité; mais cette catégorie d'esclaves est excessivement restreinte. L'immense majorité de ces malheureux se recrute, comme je l'ai déjà dit; chez les tribus sauvages de lest. Ifs sont employés à la culture et aux travaux domestiques, et ils sont traités avec la plus grande douceur. Ils vivent même souvent si intimement et si familièrement avec leurs maîtres que; sans leurs cheveux qu'ils conservent longs et leur physionomie particulière. on aurait de la peine à les reconnaître au milieu d un intérieur laotien.

Les Laotiens sont fort paresseux, et quand ils ne sont pas assez riches pour posséder des esclaves, ils laissent volontiers aux femmes la plus grande partie de la besogne journalière; en outre des travaux intérieurs de la maison, celles-ci pilent le riz, travaillent aux champs, pagayent dans les pirogues. La chasse et la pèche sont à peu près les seules occupations réservées exclusivement au sexe fort.

Il serait oiseux de décrire ici tous les engins dont on se sert pour attraper le poisson, principal aliment; après le riz, de toutes les populations riveraines du Mékong et que le fleuve fournit en quantité presque inépuisable. Ce sont, en général, de vastes tubes en bambou et en rotin, ayant un ou plusieurs cols en entonnoir dont les pointes repoussent le poisson une fois qu'il est entré. On fixe solidement ces appareils, en présentant leur ouverture au courant, à un arbre de la rive, ou bien on les immerge complètement à l'aide de grosses pierres. On va les visiter ou les relever toits les deux ou trois jours. On se sert encore d'un ingénieux petit système de flotteurs qui supportent une rangée d'hameçons et réalisent la pêche à la ligne en supprimant le pêcheur. Il est des genres de pêche plus actifs que ceux-là: la pêche au tramail, au filet, au harpon, à l'épervier, tous exercices dans lesquels les indigènes acquièrent dès l'enfance une adresse remarquable. La chasse est plutôt le partage de, sauvages que des Laotiens et ceux-ci sont loin de tirer parti des ressources giboyeuses de la contrée. Quelquefois on se réunit en troupe nombreuse pour une battue dan, la forêt et l'on réussit à abattre un cerf ou deux; mais ces sortes de divertissements sont plus bruyants qu'utiles. Les fosses et les divers autres pièges que les Laotiens savent construire, sont à ce point de vue d'une efficacité plus grande que leurs fusils à pierre et leurs chasses à courre.

Les ustensiles domestiques sont nombreux: il en est d'un usage général que l'on trouve dans la maison du plus pauvre comme dans celle du plus riche. Tel est le plateau à bétel qui contient les feuilles fraîches de cette plante, les noix d'avec, l'étui à chaux et le tabac, ensemble des condiments indispensables à la formation de la chique, qui est en usage chez tous les peuples de l'Indochine, et qui leur fait ces dents noires et ces lèvres sanguinolentes, dont le premier aspect est si repoussant. Un petit bâton sert à étendre la chaux sur la feuille 'de bétel ; des ciseaux à ressort, toujours bien aiguisés, aident à découper l'arec en rondelles minces. Parfois on met dans un tube en bronze tous ces divers ingrédients, et une fille respectueuse les broie longuement avec un pilon en fer, avant de les présenter au vieillard, chef de la famille, dont les dents branlantes se refusent à ce service. Sur un autre plateau en métal, s'étalent les cigarettes, qui jouent le rôle le plus important dans l'hospitalité laotienne. Un crachoir est toujours mis à la portée des chiqueurs et des fumeurs. Les gens aisés offrent après la cigarette une tasse de thé, et les théières, les crachoirs, les boîtes à bétel ou à chaux sont en argent ou même en or chez les grands personnages.

Les ustensiles de table sont à peu près tous empruntés aux Chinois ; ils sont moins nombreux et plus simples. On range sur un grand plateau en cuivre ou en bois tous les bols en faïence ou en porcelaine qui contiennent le poisson, les viandes et les condiments. Des bols un peu plus grands ou de petits paniers en bambou, de formes souvent élégantes, sont placés, remplis de riz, à côté de chacun des convives. Ceux-ci puisent tour à tour avec leurs baguettes dans les différents bols du plateau et composent avec toutes les sauces un savant mélange auquel une boulette de riz vient servir de lien. On ne boit guère en mangeant. Ce n'est qu'après le repas que chacun va puiser un bol d'eau dans la jarre voisine et que se succèdent - si la réunion est nombreuse et l'hôte généreux - les libations d'eau-de-vie de riz et de thé. Les femmes mangent à part. Le chef de la famille mange ordinairement seul.

Le système de gouvernement et d'administration des provinces laotiennes est à peu près le même (lue celui qui est en vigueur à Ban Kok et dans le Cambodge. Le gouverneur de la province, quand il a le titre de roi comme à Bassac, prend le nom de Kiao-Muong (maître du Muong): il a sous qui trois grands dignitaires, l'Opalat, qui est quelque chose d'analogue au second roi à Siam, le Latsvong et le Latsbout. Ces fonctions ne sont qu'honorifiques, et comme à l'époque de l'indépendance du Laos, elles sont remplies par des princes de sang royal. C'est Ban Kok qui désigne toujours les titulaires de ces dignités.

Le gouverneur nomme directement aux premières charges administratives do la province, qui sont au nombre de trois: le Muong Sen, le Muong Kiao, le Muong Khang. Ces trois mandarins sont appelés aussi mandarin de droite, mandarin de gauche et mandarin du milieu, et c'est devant leur tribunal que viennent se porter toutes les affaires. On peut toujours appeler de leur décision au gouverneur et même appeler à Ban Kok du jugement de ce dernier; niais il est rare que le peuple use de ce droit onéreux, qui n'est à la portée que des grands seigneurs du pays.

Comme en Chine et en Cochinchine, les pénalités corporelles, échelonnées en une série ingénieusement croissante, forment un code où le bâton se retrouve à chaque ligne. On n'a pas au Laos des idées trop exagérées sur la dignité humaine, et quelques coups de bambou ou de rotin ne font rien perdre dans la considération publique. Les plus hauts mandarins comme les plus humbles travailleurs sont journellement exposés à en recevoir, et ce supplice est en général l'accompagnement obligé de l'interrogatoire des prévenus.

L'endroit frappé est le haut des reins ; en Cochinchine et au Cambodge, on frappe au contraire sur la partie charnue qui les termine. Le sang jaillit dès les premiers coups et il arrive quelquefois que le coupable succombe à ce supplice, si la colère du juge le prolonge trop longtemps. La cangue, les fers, la prison; l'exposition publique, les amendes, l'exil, l'esclavage, complètent la série des peines en usage. Le supplice capital est fort rare et la plupart des gouverneurs ne peuvent condamner à mort sans en référer à Ban Kok.

Tout en affectant des formes cérémonieuses aussi exagérées que celles que l'on trouve à Siam. et en Chine, l'étiquette laotienne est au fond très paternelle, presque familière. En présence du gouverneur, qu'il ait ou non le titre de roi, les assistants accroupis contre le sol, tout en se prosternant très bas chaque fois qu'ils lui adressent la parole, ne se gênent nullement pour rire, fumer, causer bruyamment et troubler l'audience. Le dernier venu prend la parole avec autant de hardiesse que le premier mandarin, et chacun est sûr d'être écouté du grand chef, accessible toujours et à tous. C'est là sans doute l'un des vestiges de l'ancienne organisation de la race laotienne en tribus ou en clans à chefs électifs, et le plus ou moins de popularité des gouverneurs est un indice consulté avec soin par Ban Kok, lorsqu'il y a lieu de pourvoir à une place vacante.

Malgré cette simplicité d'allures, les distinctions de rang et de naissance sont scrupuleusement observées au Laos. Il y a des lois somptuaires qui interdisent le port de certaines étoffes ou de certains bijoux aux gens du commun. La maison des princes se compose d'un nombre d'officiers déterminé; quand ils sortent, les personnes qui composent leur suite, les ustensiles d'or ou d'argent que l'on porte derrière eux, la forme même du parasol qui les abrite sont fixés avec soin et indiquent au public les titres ou les fonctions dont ils sont revêtus.

Ce sont les prêtres ou bonzes qui forment au Laos la classe la plus instruite: ils sont les, dépositaires de toutes les traditions religieuses, historiques ou littéraires. Malheureusement la destruction des livres, réitérée à chaque révolution ou à chaque guerre, a singulièrement diminué cet héritage entre leurs mains, et les renseignements que l'on peut tirer des plus éclairés d'entre eux, se réduisent à bien peu de chose. Le sens historique manque complètement à la race laotienne; son imagination se complaît en des fables grossières, en des légendes merveilleuses, sans date et sans portée, dont il est impossible d'apprécier le côté réel. Tous les faits qui se rapportent à son établissement dans le pays sont oubliés depuis longtemps et, l'étonnement des Laotiens est grand que l’on songe à s’informer de choses que leurs vieillards n'ont point vues. Il semble que le passé ne saurait leur apporter que des souvenirs importuns et qu'ils ne peuvent en retirer aucun enseignement. Comme au Cambodge., la religion est le bouddhisme réglementé par Ceylan, île vénérée dans toute l'IndoChine sous le nom de Lanka. Les livres saints sont écrits en pali avec explications en langue vulgaire; les caractères en sont gravés au poinçon sur des feuilles de palmier découpées en étroites lanières et réunies en cahier. Ces cahiers sont très souvent dorés sur tranche. Aux doctrines bouddhiques, le Laotien mélange d'anciennes croyances aux démons et aux génies de toutes sortes.

Les bonzes sont excessivement nombreux au Laos, et le plus petit hameau possède toujours au moins deux pagodes. A Bassac, il y en a seize. Chaque matin, vers huit heures, on voit passer dans le sentier du village de longues files de ministres de Bouddha, vêtus de robes jaunes et la tête complètement rasée, tenant sous le bras gauche le panier aux offrandes. Ils ne s'arrêtent ni ne demandent ; mais les habitants, surtout les femmes, les guettent au passage et déposent respectueusement dans le panier le riz destiné à leur nourriture, et qu'ils n'auront le droit de manger qu'après le coucher du soleil.

Les bonzes sont chargés de l'éducation des enfants, et un certain nombre de ceux-ci, que l'on appelle néns, vivent avec eux. Ils sont vêtus de la même robe jaune et sont formés de bonne heure aux cérémonies du culte. Les voeux des bonzes sont loin d'être perpétuels et la robe jaune peut se quitter aussi facilement qu'elle se prend. Il est même d'un bon effet, pour les gens du monde, de se faire ordonner prêtres à une certaine époque de leur vie et de se consacrer pendant quelque temps au service d'une pagode. Les princes se conforment à cet usage, le plus souvent par politique, quelquefois par piété sincère. Dans tous les cas, il est rare qu'un grand personnage, sur la fin de sa carrière, ne fasse, en expiation de ses péchés, élever un temple à Bouddha. Mais ces monuments, résultats d'un vœu personnel, ou emploi d'une grande fortune acquise par des concussions, sont le plus souvent délaissés par les fils du constructeur ; l'activité de la végétation tropicale les couvre bientôt de mousse, de plantes grimpantes, d'arbres robustes qui leur donnent, au bout d'une quarantaine d'années à peine, un aspect fort trompeur de vétusté. Il y a au Laos presque autant de pagodes dans cet état que de pagodes neuves ou bien entretenues.

Le terrain d'une pagode est toujours une aire nivelée avec soin, de forme généralement rectangulaire. Au centre s'élève le temple, dont les murailles sont en briques, au moins dans leur partie inférieure. Le toit est supporté par plusieurs rangées de colonnes. Le sanctuaire se compose d'un autel en briques, sur lequel repose la statue, qui est de dimensions souvent très considérables. Elle est ordinairement en bois, quelquefois en briques recouvertes d'une épaisse couche de chaux, quelquefois en bronze. Elle est toujours dorée. A gauche et en avant de l'autel est placée dans les grandes pagodes une sorte de banc ou de chaire. C'est là que le chef des bonzes vient lire les livres saints à l'assemblée des fidèles. A côté du temple s'élèvent les habitations des bonzes. Derrière la pagode, on trouve des pyramides en briques ou de simples colonnes de bois verticales qui indiquent le lieu de la sépulture du fondateur de la pagode, ou de quelque personnage remarquable par son rang ou sa sainteté. Il y a, en outre, presque toujours, dans l'intérieur de l'enceinte, une sorte de clocher en bois, supporté par quatre piquets, qui contient soit une cloche, soit un tambour, ou tout autre instrument en bois creux destiné à annoncer les cérémonies.

Celles-ci sont des plus simples et parfois des plus touchantes. Les fidèles viennent isolément au temple déposer sur l'autel un peu de riz, des fleurs, faire brûler des bougies ou quelques fils de coton imbibés d'huile, pour appeler la bénédiction de Bouddha sur leur famille ou sur leurs champs ; d'autres fois ils apportent une offrande de viande ou de fruits pour un parent ou un ami en voyage. Le bonze appelé récite une prière à l'intention qu'on lui indique, soit en langue vulgaire, soit en pali; cette dernière prière passe pour bien meilleure, mais ne se récite qu'autant que le cadeau est considérable.

Les bonzes eux-mêmes se réunissent régulièrement pour prier, et trois fois par jour ils récitent deux à deux devant l'autel une sorte de prière qui rappelle la confession: le plus jeune énumère ses fautes ; le plus âgé lui répond: « Je n'ai rien à te reprocher mon frère, car moi aussi j'ai péché. » Aux premiers temps du bouddhisme, disent les vieillards, cette prière était d'or, aujourd'hui elle est de plomb.

Les autres prières qui se disent dans le courant du jour sont le plus souvent des extraits de légendes des vies antérieures de Bouddha. Chaque pagode a son histoire préférée. Une prière très fréquente et très longue est celle qui consiste à demander que la paix subsiste entre tous les animaux qui vivent sur la. terre. Quelquefois on récite de longues litanies où l'on invoque tous les personnages sacrés, d'autrefois un chapelet partagé en dizaines, que chaque bonze porte à la ceinture. Il se compose de petites prières répétées chacune dix fois. En voici un exemple: « Aujourd'hui j'ai mangé du riz ; ce riz n'est pas le mien. Que ceux qui m'en ont fait l'aumône voient leurs veux accomplis et soient heureux. » - Autre: « J'ai des habits; ils ne m'appartiennent pas, etc. » - On sait que d'après la loi bouddhique les bonzes ne peuvent rien posséder et doivent tenir de l'aumône leurs vêtements et leur nourriture.

Dans l'intérieur de leurs habitations, les bonzes s'exercent à la lecture et à la copie des livres sacrés. Ces lectures, faites à haute voix et psalmodiées sur un espèce de rythme monotone, se prolongent souvent le soir assez tard, et alors que tout autre bruit a cessé, se font entendre d'une extrémité à l'autre du village.

En outre de ces pratiques journalières, il est, à certaines époques fixes du mois et de l'année, à la nouvelle et à la pleine lune, au renouvellement des saisons, à la fin de l'inondation, à la fin de la récolte, des fêtes générales auxquelles toute la population prend part. On construit des autels portatifs en feuillage et en bambou, sur lesquels on porte en procession les fruits et les autres offrandes destinées à la pagode. Des banderoles, des oriflammes de toutes les couleurs, dont quelques-unes sont en soie artistement brodée, précèdent ou accompagnent le cortège ; d'autres se déploient à l'extrémité de mâts de pavillon plantés sur les différents points de son parcours ; le temple lui-même en est entièrement décoré. Bien de plus riant et de plus champêtre que l'aspect des villages ces jours-là: partout des fleurs, des arcs de verdure, des habits de fête ; le bruit du tam-tam et des pétards témoigne incessamment de l'allégresse publique. Malheureusement quand vient le soir, grâce à des libations trop fréquentes d'eau-de-vie de riz, la fête se transforme souvent en une orgie bruyante.

L'influence des bonzes est fort grande au Laos. Toutefois cette influence et le pouvoir civil vivent côte à .côte en fort bonne intelligence, et aucun des deux ne songe à empiéter sur les droits de son voisin. La neutralité du clergé bouddhique, dans toutes les questions politiques, parait absolue ; peut-être au fond n'est-elle qu'apparente, et sera-ce un jour d'une pagode du Laos que partira un nouvel appel à l'indépendance et à la révolte contre Siam.

J'entends quelques-uns de mes lecteurs me demander ce qu'il faut penser du bouddhisme en lui-même, comme croyance religieuse, et s'il mérite les attaques ou les louanges dont il a été tour à tour l'objet. J'avoue que je n'oserai prendre trop ouvertement son parti et le défendre contre l'accusation d'athéisme et de croyance au néant qui lui a souvent été adressée. L'idée d'un être suprême, souverain créateur et dominateur de l'univers, est: bien difficile à dégager nettement des croyances des populations bouddhiques. A vrai dire, je ne pense pas qu'elle existe. Elle ne trouve, du reste, aucune place dans leur cosmogonie religieuse, et cet être suprême n'aurait à jouer que le râle le plus inerte et le plus passif dans la distribution des récompenses et des peines. Pour un bouddhiste, le châtiment consiste à vivre, à voir se renouveler indéfiniment par la transmigration les soucis et les douleurs de l'être; la récompense n'est que la cessation de cet état de choses, l'absorption de l'âme dans une sorte de milieu indéfinissable, le Nireupan ou lo Nirvana. Cette transformation définitive, but suprême de tous les efforts des bouddhistes, est-elle, comme on l'a dit, l'anéantissement absolu, la destruction sans retour de la personnalité, du moi? Je ne le trais pas, surtout si l'on veut bien se placer au point de vue des populations elles-mêmes et non à celui de certains métaphysiciens abstraits, tenus à déduire avec rigueur de certaines prémisses des conséquences fatales et inévitables. Les masses ne sont point d'une logique aussi rigoureuse, et si les doctrines qu'elles professent contiennent en germe une aussi épouvantable conclusion, elles sont loin d'en avoir conscience et se promettent, au contraire, un résultat bien différent. Ce qui attire et séduit surtout leur imagination, c'est cette possibilité donnée à tous d'arriver par la pratique de la vertu à l'état surnaturel de Bouddha [2] , dernier terme de la série des transmigrations et qui précède immédiatement l'entrée dans le Nirvana, séjour de l'éternel repos. L'homme devenu Bouddha possède le don des miracles et signale cette suprême période de son séjour sur la terre par des merveilles innombrables. Comme dans la croyance chrétienne, la mort d'un juste n'est considérée que comme une délivrance. C'est la fin d'une longue et pénible étape. C'est un pas de plus fait vers la perfection, vers le terme définitif du voyage. On se hâte de brûler le corps, siége périssable de tant d'infirmités et de souffrances.

Le bûcher est dressé au milieu de la plaine, surmonté d'un dais de verdure et de fleurs. Les prêtres, les parents, revêtus de leurs plus beaux habits, s'y rendent en procession, et l'on y met solennellement le feu. La piété filiale recueille les cendres de cette mortelle dépouille et les ensevelit dans le jardin de la maison, ou sur le territoire d'une pagode. Il n'y a guère que les pauvres gens, ou les voyageurs qui mettront loin de leur famille, à qui l'on ne fasse pas au Laos ces funérailles ardentes. Ils sont simplement couchés dans une bière et ensevelis à une faible profondeur dans le terrain en friche le plus voisin.

En résumé, une morale excessivement pure, empreinte d'une profonde mansuétude et d'une immense charité, qui de l'homme s'étend à tous les êtres vivants; caractérise les préceptes du bouddhisme. C’est à son élévation, à l'austérité forte et saine de ses enseignements, et non à la prétendue insalubrité du climat qu'il faut attribuer la résistance (tue rencontrent les missions catholiques ou protestantes à Siam et au Laos, où cette doctrine s'est conservée plus pure et plus fervente qu'ailleurs.

Quand on oublie l'étouffant régime que Siam fait peser sur le pays, aucune région ne présente des aspects aussi calmes, aussi riants, aussi heureux, que celle dont je viens d'esquisser rapidement la situation politique, matérielle et morale. Une généreuse et luxuriante nature semble avoir inspiré à tous ceux qui l'habitent les moeurs les plus douces et les plus paisibles; nulle passion turbulente ou cruelle ne vient troubler la rêveuse nonchalance des habitants ces charmants paysages que caresse de ses plus beaux rayons le soleil des tropiques respirent partout une tranquillité, une innocence singulières. Toutes les rumeurs, tout le fracas du monde civilisé, viennent s'éteindre et mourir aux portes de cette contrée dont rien ne réussit à troubler le profond silence et le souvenir qu'on en garde, une fois qu'on est rentré dans l'agitation du dehors, est si lointain, si étrange; qu'il semble appartenir à une autre planète, à une autre existence et qu'il fait involontairement songer à la métempsycose.

Je reprends maintenant mon récit un instant interrompu. Les eaux du fleuve avaient atteint le 20 septembre leur hauteur maximum, et inondaient toute la campagne par le lit de deux petits ruisseaux, dont le cours circonscrit au nord et au sud le territoire de Bassac. Au pied même du plateau qui s'élève au nord et tout le long de la petite chaîne qui le relie à Phou Bassac, se trouve une assez forte dépression de terrain, qui, à ce moment, était transformée en un lac couvert d'îlots de verdure. Pour sortir du village, il fallait prendre une pirogue et voguer au milieu des arbres pendant plus d'un kilomètre. On mettait pied à terre au bas des premières pentes de la montagne, où de nombreux troupeaux de boeufs et de buffles paissaient librement en attendant la fin de l'inondation.

Nous fîmes une première excursion au plateau. M. Delaporte, M. Thorel et moi, dès les premiers jours de beau temps. Nous avions la ferme résolution l'en accomplir l'escalade, et ce devait être là un premier exploit destiné à nous encourager à l'ascension future des montagnes de l'Himalaya et du Tibet. Nous gravîmes assez facilement le premier tiers de la hauteur, en suivant les sentiers tracés par les troupeaux qui abandonnent la prairie pendant la chaleur du jour et viennent, se réfugier à l'ombre des grands arbres. Peu à peu les sentiers disparurent, la forêt se hérissa de bambous et de lianes au milieu desquels la hache de M. Thorel ne réussissait que difficilement à nous frayer un passage. Nous arrivâmes ainsi devant une haute muraille rougeâtre, formée par une roche à pic de trente à quarante mètres de hauteur le long de laquelle trois ou quatre petites cascades retombaient en pluie fine.

F. GARNIER.
(La suite à la prochaine livaison.)


[1] . Tonby en cambodgien, Se en Laotien veulent dire rivière.

[2] on sait que Bouddha n'est qu'un qualificatif et non pas un none propre. Ce mot signifie en pali sagesse, et s'est substitué peu à peu, dans le langage ordinaire, au nom do Cakya mouni (solitaire de takya) ou de Sommonacodom, qui sont les appellations indienne et siamoise du fondateur du bouddhisme.