Cliquer pour retour  liste des textes
cliquer pour les gravures d'accompagnement
cliquer pour télécharger le texte WORD en .doc
cliquer pour la 2nde partie

VOYAGE A L’ILE DE LA REUNION
(ÎLE BOURBON)

PAR M. L. SIMONIN

.1861. - TEXTE ET DESSINS INÉDITS

I
SAINT - DENIS

.De Paris à Saint-Denis. - Premier aspect de la ville. - Le boulevard Doret. - La végétation des tropiques. - Le ruisseau des noirs. - La rivière de Saint-Denis. -Les danses de la place Candide. - La statue de Labourdonnais et la rue de Paris. - Le jardin du roi. - M. Richard. - La feuille de grenade et la fleur de bismuth. -M. Prudhomme, empailleur et voltairien.

De Paris à Saint-Denis, le chemin le plus court n'est pas toujours le plus agréable, et tandis que les uns prennent le chemin de fer du Nord, je pris celui de Paris à Lyon et. à la Méditerranée qui me conduisit jusqu'à Marseille. Il est vrai que tout chemin mène à Rome, et qu'aussi, il faut le dire, le Saint-Denis où je me dirigeais n'est pas cette sous-préfecture de la Seine, dernière demeure de nos rois, mais bien la capitale de file Bourbon aujourd'hui la Réunion. J'allais aux îles comme on dit à Paris quand on s'embarque pour les colonies lointaines.je partis de Marseille, le 28 février 1861, sur le paquebot anglais Valetta II y avait à bord toute une cargaison humaine en route vers Malte et l’Egypte. Le i chemin de fer inter-maritime nous transporta d'Alexandrie au Caire et du Caire à Suez. De Suez à Aden, sur la côte d'Arabie, d'Aden aux Seychelles, archipel jadis français, de là à file Maurice, notre ancienne île de France, dont la capitale s'appelle toujours Port-Louis et enfin de Port-Louis â Saint-Denis le vapeur anglais Nepaul nous promena comme l'eût fait une locomotive, et le 28 mars au matin, je descendis sain et sauf dans la capitale de l'ile de la Réunion.

En moins d'un mois, j'avais fait à peu près trois mille lieues ; je trouvais qu'il était temps de se reposer. Les Anglais peuvent avoir du confort chez eux, mais ils n'en ont guère sur leurs navires, et mes compagnons (le route, pendant tout le temps de la traversée, appelèrent comme moi de tous leurs voeux le jour désiré où des vapeurs français transporteront enfin les passagers de la mer des Indes.

Saint-Denis s'offrit à moi, coquette et parée, comme en un jour de fête. Les pluies qui venaient de tomber à torrents pendant les mois précédents, avaient singulièrement ranimé la végétation, sans toutefois rafraîchir l'air. J'étais passé (l'un hémisphère à l'autre, et en échange du froid glacial de Paris, je trouvais, en quelques jours à peine, toute la chaleur des tropiques. C'était là un de ces contrastes subits auxquels mes précédents voyages, d'un bout à l'autre de l'Amérique, m'avaient habitué, mais ce que je n'avais point vu encore, c'était une nature aussi resplendissante et surtout une ville aussi gracieuse que celle qui se déroulait à mes yeux.

Pendant que le domestique lascar, Indien à la peau noire et tout vêtu de blanc, auquel je laissai le soin de mes bagages, se dirigeait vers l'hôtel d'Europe, je me promenai tranquillement par les rues. La fraîcheur du matin régnait encore, et les jardins, qui bordaient l'un et l'autre côté des trottoirs, répandaient autour de moi une ombre bienfaisante.

A travers la grille fermant les jardins sur la rue, le barreau, comme l'appellent les créoles, on apercevait la varangue, galerie ouverte autour de la maison. Un lustre de cristal qu'on allume le soir, et de vastes fauteuils de rotin où l'on se berce nonchalamment, forment l'ameublement du gracieux péristyle.

Cependant mon Indien était arrivé à l'hôtel où je ne tardai pas à le rejoindre. Je fis prévenir de mon arrivée l'excellent M. E. Crémazy, auquel j'étais recommandé, et il consentit à me donner une partie de son temps. Je visitai en sa compagnie les quartiers de la ville que je n'avais point encore parcourus : les rues sont larges, bien tracées et se croisent d'équerre. Autour de la ville est une promenade circulaire, le boulevard Doret, que de nombreuses voitures sillonnent dans l'après-midi. Dès que les rayons du soleil s'inclinent obliques à l'horizon, dès que la chaleur de la journée commence à disparaître, c'est là qu'après la sieste les dames viennent étaler leurs étincelantes toilettes. C'est là qu'on aperçoit aussi dans tout leur luxe les pittoresques costumes des domestiques venus de l'Inde. Les noirs, émancipés en 1$48, ont pour la plupart refusé de servir leurs anciens maîtres, et les Malabars, les Lascars, les Bengalis, les Télinguas, en un mot toutes les races de l'Inde, ont été mises à contribution pour remplacer les esclaves africains.

Le boulevard Doret est le bois de Boulogne de SaintDenis, et il est remarquable par quelques habitations princières élevées dans son voisinage. C'est là aussi que se déroule dans toute sa majesté et son éternelle verdure

la végétation (les tropiques. De la voiture découverte dans laquelle j'étais placé , je pus à mon aise , par de simples coups d'ail donnés à droite et à gauche, me livrer à une véritable étude de botanique coloniale. Les cannes à sucre dressent dans les champs leur tige svelte, surmontée souvent d'une aigrette, et dans les jardins se trouvent à la fois réunis le bananier aux grappes pendantes, le cocotier au tronc élancé, le badamier aux formes originales, le manguier au feuillage touffu, l'évi ou arbre de Cythère, le pignon d'Inde à la noix huileuse, l'arbre à pain originaire de Taïti, le vacoa dont on tresse les feuilles en nattes et en paniers, le papayer au tronc sans branches en forme de colonne, et qui porte pour chapiteau une couronne de melons verts.

A tous ces arbres, si caractéristiques (le la végétation des tropiques et si nouveaux pour l'Européen, se mêlent l'avocatier, dont la poire rappelle le beurre, le letchi importé de Chine, le mangoustan aux fruits parfumés, le flamboyant aux fleurs étincelantes, le goyavier, parent du cognassier d'Europe, le figuier des Banians, venu de l'Inde, le jacquier au port majestueux. Çà et là un plant de café, un muscadier, un giroflier rappellent les cultures des grandes habitations de l'ile, et sur les flancs des coteaux le tamarinier et le bois noir, avec le filao, ce pin des tropiques, manient leurs sombres ombrages. Dans les jardins, les rosiers de toute espèce, les lianes aux fleurs multicolores, l'arbre du voyageur, ouvrant ses feuilles en éventail et retenant l'eau entra leurs plis, la vanille grimpante, l'hibiscus ponceau, le grenadier, l'ananas, l'aloès s'unissent aux arbres déjà décrits. Tous ces végétaux différents, mêlant leurs fleurs et leur feuillage, font de la promenade de Saint-Denis une sorte de paradis terrestre, et de tous les abords des maisons de la ville un lieu vraiment enchanteur. En consultant mes souvenirs, je ne pouvais retrouver d'autre exemple d'une aussi resplendissante nature que dans les verdoyants et pittoresques jardins de la Havane.

Le ruisseau des Noirs, que traverse le boulevard Doret, offre aussi un curieux spectacle. Tous les domestiques de Saint-Denis viennent. dans l'après-midi y chercher l'eau fraîche pour le repas du soir. Indiens et nègres se trouvent là mêlés, chacun remplissant un petit baril qu'il emporte ensuite sur sa tête. Mais bien souvent, avec le calme que ces serviteurs à la peau de bistre oit d'ébène mettent dans leur marche, l'eau arrive presque chaude et le maître s'emporte contre le domestique nonchalant, qui recommence le lendemain. Les alcarazas, les gargoulettes au ventre poreux doivent suffire, selon lui, à maintenir l'eau fraîche au logis, et il ne voit pas trop pourquoi il hâterait sa marche rêveuse.

Autour de la source où se remplissent barils et carafes est caché, au milieu de frais bosquets, un amas de cahutes en paille et en bambous. C'est un village de noirs, anciens esclaves, qui y jouissent dans un doux farniente des agréments de la liberté. Depuis que la révolution de 1848 l'a émancipé, le noir ne veut plus travailler pour personne, si ce n'est pour lui-méme; il se pare orgueilleusement du titre de citoyen, le seul sous lequel il consente qu'on le désigne, et l'état qu'il ambitionne de préférence est celui de petit propriétaire. Un cochon qu'il élève péniblement, quelques maigres poules qu'il ira bientôt vendre au marché, rôdent tout le jour aux abords de sa case. Devant la porte s'étend un petit jardin planté de légumes où poussent dans leurs carrés respectifs l'ambrevade, sorte de pois en forme d'arbuste; le maïs, dont les noirs mangent les épis; le chouchou, dont le fruit rappelle le concombre; le giraumon, parent de la courge; le bétel aux feuilles poivrées, que mâchent les Indiens. A ces plantes et faisant avec elles bon voisinage, se mêlent l'oignon et le poireau, qui sont de toutes les latitudes; la brède ou morelle, dont tous les créoles mangent les feuilles mêlées au riz; l'arrow-root dont le tubercule donne une poudre qui remplace l'amidon; le manioc, aux racines farineuses; la patate, sueur de la pomme de terre ; le haricot, rival de celui de Soissons; enfin la verte série des salades. Tous ces végétaux portent dans la colonie le nom assez pittoresque de vivres, appellation qui pourra paraître curieuse à nos lecteurs; mais on n'y regarde pas de si près à Bourbon, où, sans consulter M. Boiste et l'Académie , on nomme tout simplement sucriers les colons qui fabriquent le sucre.

Dans les potagers des Malabars on retrouve parmi les vivres le riz, le safran, le piment, mêlés aux plantes précédentes. Les terrains sont plus vastes et le système de culture plus intelligent. On voit que les fils du Gange sont jardiniers par habitude et par amour de l'art. Les enfants de l'Afrique, au contraire, semblent ne vénérer le dieu des jardins qu'en manière de passe-temps.

Laissant derrière moi le ruisseau des Noirs et son village de bambous, je rentrai à Saint-Denis par le chemin (lui côtoie la rivière s'étendant à l'est de la ville. Là le paysage change d'aspect. Le cours d'eau, profondément encaissé, va se jeter à la mer que l'on aperçoit devant soi. Les navires ancrés au large se balançaient au souffle de la brise. Il n'y a pas de port à Saint-Denis, pas même une rade hospitalière, et au moindre coup de vent, au plus léger signal d'ouragan ou de raz de marée, un coup de canon retentit, et chaque capitaine lève l'ancre au plus vite. Mais à la fin de mars le mauvais temps est passé, et les navires que je distinguais sur la mer semblaient se bercer dans uni douce quiétude et se reposer des émotions de l'hivernage. A ma droite, la chaîne basaltique du cap Bernard, qui va mourir au loin sur les eaux, s'élevait comme un mur gigantesque. C'est à peine si lui petit plateau restait libre, celui de l'Hippodrome, où ont lieu au mois d'août des courses de chevaux qui mettent toute la colonie en émoi. Sur les flancs de la montagne, dont le sommet est couronné par nue vigie, se développe, comme in ruban sinueux, la route de Saint-Denis à Saint-Paul. Vers le rivage s'étend nue immense bâtisse, les casernes. De l'autre côté de la rivière sont (le nombreuses habitations, et en remontant le courant, on entre dans une énorme fissure béante ouverte au milieu de ce sol volcanique. Les remparts (c'est le nom qu'on donne aux rochers et aux montagnes à pic du pays) surplombent à droite et à gauche, et des colonnes de basalte, souvent courbées à leur sommet, rappellent les anciennes convulsions géologiques qui ont accompagné l'apparition (le file au-dessus de l'Océan. De ces bouleversements grandioses, de ces violentes commotions nul être n'a été le témoin, mais il en reste des traces toujours vivantes. Elles nous permettent de remonter à la source des faits, et d'assister au moins par la pensée à la formation successive de notre globe.

Comme je me livrais à ces réflexions, j'arrivai en face du bassin de refuge ou barachois, et des ponts en fer et en charpente jetés sur la mer, pour embarquer et débarquer les voyageurs et les marchandises. Après vient le mât des signaux, où l'on annonce les navires. Tel est l'aspect du port de Saint-Denis. Continuant à suivre le rivage, je passai devant les batteries, et débouchai sur une nouvelle promenade plantée de magnifiques filaos. C'est là que les noirs, le dimanche, se livrent à leurs danses échevelées, au son du bobre, de la cayarnbe et du lamtarn. Ces instruments primitifs, aussi simples à manier que faciles à établir, égayent l'enfant de l'Afrique qui, excité par leur bruit, se permet les contorsions les plus licencieuses avec le tacite assentiment de l'agent de police, témoin de tous ces ébats. J'ai vu ainsi sur la place Candide, à l'ombre de filaos séculaires, non loin des vagues clin venaient mourir sur la grève, nègres de zanzibar, à la taille élancée, au type caucasien, Cafres à la figure sillonnée de hideux tatouages, Malgaches à la chevelure tressée, à la peau bistrée, Mozambiques au nez plissé en grains de maïs, et noirs du Cap à la face slupide, se livrer séparément à leurs danses nationales. Les groupes étaient nombreux et tous les danseurs se tortillaient comme autant de diables. Les uns portaient des plumes dans les cheveux, les autres des grelots au tour (les jambes et des reins. Beaucoup accompagnaient de cris étranges le bruit non moins discordant de la musique, mais tout le inonde était content, et les balancés et chassés-croisés de cet infernal quadrille africain qu'on appelle le sega se succédaient sans cesse ni trêve. Quelques soldats de la garnison, quelques mulâtres, véritables gentlemen qui refusaient de danser, de nombreuses bonnes d'enfants composaient la foule des curieux. Je m'étais glissé parmi les spectateurs et je regardais tout à mon aise ce bal si nouveau pour moi. La partie bien pensante des créoles est absente de ces jeux, soit qu'ils n'y trouvent rien de bien intéressant, soit plutôt parce qu'on néglige à la Réunion toute espèce d'étude de mœurs.

Ce n'était pas d'ailleurs par le côté simplement pittoresque que le séjour de Saint-Denis me plaisait. J'aimais aussi à parcourir la ville, dont quelques points méritent de fixer l'attention. C'est la place du Gouvernement, et à côté l'hôtel du Gouverneur, veuf du chef de la colonie, qui s'est retiré dans les hauts, à SaintFrançois, au fond d'une paisible et fraîche demeure.

La statue de la Bourdonnais, érigée eu face de l'hôtel, semble y être posée à dessein, au lieu et place du gouverneur absent. Cette statue est là aussi comme un hommage tardif rendu au plus habile administrateur et à l'un des plus courageux marins de nos anciennes colonies de l'Inde. Injustement calomnié sous Louis XV, qui ne sut pas le défendre , la Bourdonnais fut enfermé trois ans à la Bastille, et mourut de chagrin d'avoir été si mal récompensé. Les habitants actuels de file Bourbon et ceux de file Maurice, chacun de leur côté, se sont montrés plus reconnaissants, et moins oublieux que le roi de France. A Port-Louis comme à Saint-Denis, on a élevé à la Bourdonnais une statue en bronze; les créoles de la Réunion ont, de plus, doté la fille du célèbre et malheureux amiral.

En quittant l'hôtel du Gouvernement, je remontais la rue (le Paris, où la cathédrale, l'hôpital militaire, l'hôtel de ville apparaissent successivement. Plus haut, dans une rue latérale , est le marché on bazar avec sa population d'Indiennes au type souvent gracieux, aux formes toujours élégantes.

La rue de Paris sa termine par le jardin botanique ou jardin du roi, comme on l'appelle encore. Je le visitai en compagnie du directeur de l'établissement, M. Richard. Toutes les plantes s'y trouvent rangées par familles, et l'étude en est aussi facile qu'agréable. Le bon M. Richard a été directeur, sous le premier Empire, des pépinières de Saint-Cloud. Il a ensuite établi les pépinières coloniales de Cayenne et du Sénégal, où il a fondé Richard-Toll. Il partit pour le Sénégal sur le navire qui allait de conserve avec la Méduse. Une jeune femme, qu'il a plus tard épousée, se trouvait ellemême sur le fameux navire, et elle est à cette heure une des dernières personnes qui aient survécu au terrible naufrage. Envoyé à la Réunion, M. Richard y a introduit des espèces tropicales nouvelles, entre autres le palmier de Cayenne. Notre botaniste est un de ces vieux savants qui ont beaucoup vu et surtout beaucoup retenu. Sa conversation est pleine de verve, et je dois à ce charmant conteur nombre d'anecdotes dont quelques-unes trouvent ici leur place.

Quelques créoles supposent que le jardin de l'État n'a été établi que pour eux, pour leur donner des salades quand il n'y en a pas au marché et qu'ils ont de nombreux convives à traiter; pour leur fournir aussi toute sorte de plantes nouvelles, celles même qu'il leur plait de créer. Or, un jour un de ces messieurs envoie demander à M. Richard de la feuille de grenade. Le botaniste devine une erreur et délivre de la feuille de grenadier.

" Vous n'y entendez rien, écrit le colon, et ce n'est pas la peine que le gouvernement envoie un directeur scientifique au jardin du roi s'il connaît si peu son métier; mon domestique chie je vous renvoie avec ce billet vous apprendra, monsieur, à connaître la feuille de grenade.

- Je n'ai pas de leçons à recevoir de vos gens, répondit tranquillement M. Richard, et quant à la feuille de grenade, apprenez, monsieur le créole, que les grenades ne produisent pas plus de feuilles que les cl ufs de poules ne donnent des plumes. "

Le colon se tint pour battu et ne revint pas à la charge. Mais, quelques jours après, deux belles dames , en quête de fleurs nouvelles , envoyaient demander des fleurs de soufre et des fleurs de bismuth. Le directeur du jardin botanique leur répondit qu'il n'en tenait pas, mais qu'ils pouvaient sûrement s'adresser à leur pharmacien. " Tout ceci prouve, me disait ce ])on M. Richard, que le livre de la nature n'est pas encore ouvert pour beaucoup de nos colons, et que dans la splendide végétation qui les environne, ils ne voient encore due des fleurs et, des feuilles. "

A côté du jardin botanique est le muséum d'histoire naturelle, que l'excellent M. Morel, avocat, a su rendre digne de la colonie. Oubliant quelquefois Tribonien et Cujas pour Buffon et Cuviez, il a employé ses heures de loisir à devenir un naturaliste distingué, surtout un ichthyologue du plus grand mérite. Sa collection de poissons est une des plus belles qu'on puisse voir; mais ne le disons pas trop haut, et que ce bruit surtout ne parvienne pas au muséum de Paris, jusqu'aux oreilles de M. Valenciennes 1 M. Morel pourrait bien m'accuser d'avoir trop parlé.

Le préparateur du muséum de Saint-Denis est M. Prudhomme, grand empailleur de poissons, dont il achète les espèces rares et déguste préalablement la chair, le tout aux frais de l'État. M. Prudhomme est un ancien comédien, d'assez de talent. Il a, dans le temps, donné la réplique à Talma, et il le rappelle avec un juste orgueil. Il est doré d'une noble figure , ombragée d'une belle barbe blanche, et malgré ses soixante-dix ans il a encore très-bonne prestance. Il se sent même parfois, dit-il, de vifs retours de sa verve passée'. Il a, à la Réunion, dans la comédie et l'opéra-comique, conquis les applaudissements du public, et ne s'est fait siffler qu'une fois pour avoir voulu, dans une pièce allégorique, représenter un fleuve dans un costume trop primitif. M. Prudhomme, en sa qualité d'ancien tragédien sans doute, est un voltairien renforcé, et quand l'évêque de Saint-Denis visite le muséum, il affecte de l'appeler " monsieur , o mais monseigneur je lui pardonne, car ce péché tout véniel est peut-être le seul que commette notre naturaliste. Ses chers poissons occupent tous ses moments, et il veille en même temps à l'entretien du muséum, dont il conserve les collections avec un soin tout paternel..

II
SAINT-PAUL

La barque et les rameurs de Désiré. - Les premiers temps de la colonie. - La Possession. - Marché en plein vent. - Les oiseaux indigènes. - Ma case. -Pleïade de poëtes. - Célimène. - Le docteur indou Ganacapoulé. - Le père Ponphily. - Le Bernica. - Blafatte. - Aurère.

Au commencement du mois d'avril, je dis adieu à Saint-Denis pour me rendre à Saint-Paul, l'ancienne capitale de file. Le batelier mulâtre Désiré m'offrit sa barque et ses six rameurs, et je préférai la voie de mer, au moins jusqu'à la Possession, à la voie de terre, beaucoup plus pittoresque, il est vrai, mais beaucoup trop longue et trop coûteuse.

Le matin, dès l'aube , pendant que la brise était encore favorable, je sautai dans la barque. Désiré se mit au gouvernail, les rameurs s'assirent sur leurs bancs et nous gagnâmes le large. La voile nous aida pendant les deux tiers de la route, après quoi il fallut rainer. Les noirs et les Indiens du bord rivalisaient d'ardeur, et, se levant debout, appuyaient de toutes leurs forces sur la rame en se laissant retomber. Nous nagions à toute vitesse, quand apparut derrière nous un autre bateau. Alors vous eussiez vu les hommes de l'un et l'autre bord se défier réciproquement, jeter au vent leurs habits et ramer tout nus avec un simple langouti autour des reins. La sueur dégouttait de leurs membres, et j'avoue que les noirs, nues voisins, ne répandaient pas une bien agréable odeur. Des cris sans nom sortaient de toutes les bouches, et plusieurs des rameurs, pour s'exciter, frappaient violemment du pied, en se levant sur leurs rames, les flancs du navire qui oscillait sous le coup. Enfin, nous arrivâmes les premiers à la Possession, mais seulement d'une demi-longueur, pour parler le langage des courses; car pendant que Désiré et ses hommes, comme jadis les Grecs sur le rivage de Troie, tiraient la barque sur la plage, la vague qui montait apporta le bateau de nos concurrents et le déposa, en se retirant, sur les galets. Les uns et les autres nous pûmes dire que nous touchâmes le but en même temps, et l'amour-propre fut de part et d'autre satisfait. Tout alla pour le mieux sur le meilleur des rivages possibles, comme aurait 1)u s'écrier le docteur Pangloss, s'il eût été de la traversée. Le maire de la Possession, qui nous suivait sur la barque rivale, fut aussi, sans doute, de cet avis, car il ne nous accusa point d'avoir, manquant aux règles de la préséance, mis le pied avant lui sur son domaine administratif.

Du cap Bernard à la Possession , une montagne de roches basaltiques se dresse à pic sur la mer; elle affecte sur les parties mises à nu les formes les plus bizarres, et çà et là des filets d'eau viennent tomber en cascades écumantes, produisant un effet des plus gracieux. Au pied de la ravine de la Grande-Chaloupe est le lazaret pour les immigrants de l'Inde. La (;avine à malheur tire son nom d'un meurtre qui y fut commis et non loin est la Roche à Martin, an milieu de l'eau. Martin nègre pêcheur, y avait, établi ses pénates et y jetait sa ligne du matin au soir. Un jour que la mer montait furieuse, il ne put s'enfuir assez vite, et le flot l'emporta lui et ses poissons. Telle est la légende que vous racontent les bateliers de Désiré, quand le temps est beau et que nul concurrent ne les serre de près.

Le village de la Possession, où j'étais débarqué, est de création assez récente, mais c'est en même temps un des points de la colonie les plus anciennement habités. On sait que l'île de la Réunion, découverte au commencement du seizième siècle par les Portugais, fut visitée en 1513 par le navigateur Mascarenhas dont elle prit plus tard le nom. Elle avait, parait-il, porté d'abord celui de Sainte-Apollonie. Les Portugais n'occupèrent jamais cette île, et se bornèrent à y déposer quelques chèvres qui multiplièrent, et que l'on retrouve encore aujourd'hui dans les cabris sauvages de l'intérieur.

Les Français qui s'étaient établis sur la côte orientale de Madagascar, au commencement du dix-septième siècle, occupèrent l'île Mascareigne dont les Portugais ne voulurent point. En 1649 , M. de Flacourt ayant remplacé M. de Pronis, directeur de la Compagnie française de l'Orient, qui précéda la Compagnie des Indes, renouvela solennellement la prise de possession de la nouvelle colonie. La cérémonie eut lieu à l'endroit appelé depuis la Possession, et le nom de Mascareigne fut changé en celui de Bourbon. M. de Flacourt, en habile courtisan, avoue dans ses mémoires qu'il ne sut " trouver de nom qui pût mieux cadrer à la bonté et. fertilité de cette île, et qui lui appartînt mieux que celui-là. "

Le village de la Possession est très animé. C'est le point central de tous les transports par mer vers Saint-Denis. C'est là que se rencontrent , le soir, tous les voyageurs venant de Saint-Paul; c'est de là aussi que tous les produits de .jardinage et de basse-cour, apportés par les noirs et les Indiens, sont expédiés vers la capitale de file.

Comme je sortais du village, je traversai un marché en plein vent sur le bord de la route. Quelques pauvres négresses y étalaient sur un mouchoir des tas d'oranges et de bananes , des pistaches de terre ou arachides grillées, des mangues au goût de térébenthine, des noix de cocos dont on boit sur place l'eau fraîche et sucrée, des attes à la peau verte et écailleuse et dont l'intérieur est rempli d'une crème odorante. Çà et là on voyait aussi des monceaux de ces jolis petits citrons verts et ,juteux, particuliers aux Seychelles et à Bourbon, et qu'on nomme des citrons-galets. Tout cela était exposé sans façon, et sans que les marchandes daignassent faire la moindre avance aux passants. Les unes se laissaient aller à la douce nonchalance créole, c'est-à-dire ne pensaient à rien; les autres renouaient négligemment leur madras autour de leur tête et s'inquiétaient peu de leur éventaire; celle-ci, horresco referens! fumait la pipe, celle-là dormait, cette autre enfin dégustait une tasse de ce café aromatique et quintessencié qu'on ne boit qu'à Bourbon. Une d'elles, qui reconnut mon compagnon de route, dont elle avait jadis été l'esclave, se dérangea cependant, vint au-devant de nous, et, s'exprimant dans ce patois créole si naïf et si doux, la seule langue que parle à la Réunion le bas peuple : " Bonzou, not' mait', vous l'allez bien ? z'affTairs ici l'aller mal; mi ça va, si d'aller pas mieux. "

Eu quittant la Possession, une belle route, d'abord ombragée de tamariniers , de bois noirs et de flamboyants, ces beaux arbres aux fleurs étincelantes indigènes de Madagascar, me conduisit jusqu'à la limite de mon voyage. Je traversai la Plaine des Galets, puis la rivière de ce nom. Bientôt, au sortir d'une allée de filaos , l'étang de Saint-Paul, la ville cachée dans ses jardins, enfin cette magnifique et paisible baie qui étend sa gracieuse courbure jusqu'à la pointe Lahoussaye, m'apparurent tout à la fois. Quelques champs de cannas, et à côté quelques sucreries se montrent dans la plaine. Développés sur une courbe à peu près parallèle à celle de la baie, les remparts du Bernica élèvent leurs masses de basalte à des hauteurs de plus de mille pieds. Sur le flanc de ces montagnes croissent diverses essences tropicales, entre autres le bois de fer, le bois d'ébène et le bois de natte, rival de l'acajou. Sous leurs frais ombrages vivent les oiseaux indigènes : l'oiseau blanc, l'oiseau vert, le tectec, la grive, le merle et la caille de Bourbon, enfin l'oiseau gracieux de la vierge, si peu timide qu'il se laisserait prendre à la main. Le martin au bec jaune, ou merle des Philippines, importé dans la colonie, se rapproche davantage des habitations, et on le voit souvent, au milieu des champs de cannes ou sur les chemins, faisant aux sauterelles une guerre acharnée. Les martins détestent la solitude et vont fraternellement par compagnies.

Saint-Paul, où je venais d'arriver, a été, avec la Possession, le premier lieu habité de la colonie, ainsi que de vieilles cartes en font foi.

Cette ville est restée aussi la capitale de Bourbon jusqu'en 1733 , époque où la Bourdonnais transporta le siége de l'administration à Saint-Denis, qu'il trouvait plus rapproché de file de France.

Je passai à Saint-Paul tout le mois d'avril, et j'eus le temps d'étudier à loisir ce pittoresque quartier. (A Bourbon comme à Maurice , l'expression de quartier remplace celle de commune ou de canton. L'ile Bourbon est divisée en onze quartiers.) Partout je reçus le plus amical accueil : ma qualité d'Européen était, du reste, nu titre de recommandation.

Une case, au milieu d'un jardin, que je louai aux abords de la ville, devint mon habitation favorite. Elle me rappelait, sauf les dimensions et le nombre des appartements, pour lesquels elle était mieux partagée, la cabane californienne que j'avais occupée deux ans auparavant. L'aspect des lieux aussi était différent; et au lieu de tristes maquis, j'avais autour de moi de verdoyants bosquets, où le latanier et le palmier, le grenadier et la vigne mariaient gracieusement leurs feuillages. Quant à la vie, elle était, à peu près la même : vie d'isolement et de calme. Là, comme en Californie, je retrouvai le fauteuil de rotin où l'on s'étend nonchalamment. Je prenais une posture de nabab, j'étais roi sous ma varangue, humant l'odorant café du cru, que Julien, mon mulâtre fidèle, m'apportait tout fumant. Le manille suivait le café, et devant les nuages vaporeux qui s'envolaient autour de moi, je me laissais aller à de doux rêves, je donnais libre carrière à la folle du logis. Le soir, le ciel était beau, les étoiles scintillaient au firmament; il n'y avait aucun bruit dans l'air. Mais parfois la voix d'un noir qui passait sur la route, sa lanterne à la main, rompait le silence, et j'entendais aussi mon voisin, Moutousamy l'Indou , adresser à Bramah, en chantant, ses plus ferventes prières. Parfois aussi le bruit monotone du tam-tam, ce tambour de l'Inde, arrivait jusqu'à moi d'une cabane voisine, donnant toujours les mêmes notes, et rappelant aux Malabars, accroupis autour du joueur, les chants de leur lointaine patrie. Poétiques souvenirs qui, revenant aujourd'hui à ma mémoire, me donnent le regret de jours passés trop vite, et expliquent tout le charrue et toute la douce volupté de l'existence créole.

Dans l'intérieur de ma case quelques insectes de mauvais augure, des scorpions et des cent-pieds, m'inquiétèrent les premiers jours; ruais je linis par m'y habituer.
Saint-Paul, où j'avais ainsi planté, pour plusieurs semaines, ma tente de voyageur, est la patrie de Parny, appelé par ses admirateurs le Tibulle français. C'est aussi à Saint-Paul qu'est né Dayot, un autre poëte ignoré en France, mais très estimé à la Réunion. Accablé de maladies et d'infirmités (dès sa naissance, il ne connut de ce monde que la douleur. Elle lui arracha un jour ces deux vers dans la pièce le Mutilé

Et vous qui demandez si l'âme est immortelle,
Et ma part de bonheur, dites, où donc est-elle?

Bertin l'élégiaque, le contemporain et l'ami de Parny, et qu'on a comparé à Properce, est aussi né à l'île Bourbon; enfin, deux poëtes contemporains, aujourd'hui à Paris, M. la Caussade et M. Leconte Delisle tiennent un rang distingué dans la pléiade créole. Ile heureuse que celle qui ne produit pas seulement le café, la vanille et le sucre, mais qui se livre encore au culte des muses, île que les Grecs, s'ils l'avaient connue, auraient chantée à l'égal de leurs fortunés rivages, et dont ils eussent fait sortir tout un peuple de dieux pour célébrer sa fécondité!

Pourquoi, clans cette nomenclature de poëtes, oublierais-je Célimène, la Muse des Trois Bassins, comme on l'a nommée à Saint-Paul ? Célimène improvise et chante à la fois ses vers en s'accompagnant sur la guitare. Elle est, dit-elle, quelque peu descendante de Parny, mais c'est la satire et non l'élégie qu'elle cultive.

Elle déchire à belles dents celui qui s'attaque à elle, et sa répartie est prompte en prose comme en vers. Elle a épousé un blanc de vieille roche, le gendarme Gaudieux, venu, avec son régiment, de France dans les colonies; et comme quelqu'un lui reprochait un jour d'être de sang mêlé : " Je suis mulâtresse, c'est vrai, répondit-elle; mais mon mari est de race blanche, et il est de règle que le cheval ennoblit la jument. " Célimène a chez elle un album où tous les visiteurs, et parmi eux les personnages les plus connus de la colonie, ont inscrit leur nom. Quelques-uns ont ajouté à leur signature une citation en prose ou en vers; trais les poésies de la muse créole, où les rimes se croisent comme elles peuvent, et où les licences de tous genres étonnent à chaque ligne le lecteur, tiennent encore la principale place dans ce curieux recueil.

Une grande partie des vers de Célimène sont en langue créole et ne peuvent avoir de charmes que pour des oreilles coloniales; d'autres poésies, en français, sont d'un genre si léger, qu'elles ne sauraient trouver place ici. Que le lecteur, comme spécimen, veuille donc bien se contenter de ces cinq vers qu'elle m'adressa, un jour en réponse au cadeau que je lui avais fait d'un curieux échantillon de lave volcanique

Je te remercie, mon cher voisin,
De la roche que tu m'as envoyée;
Je vais bien la conserver
On ne jette pas tous les matins
D'aussi jolies pierres dans mon jardin.

Voilà le genre : ni césure, ni élision, ni alternance régulière de rimes, et rimes seulement pour l'oreille; en un mot, aucune règle, mais assez d'esprit; et c'est ce qui a fait de Célimène l'un des poëtes populaires les plus originaux de la colonie bourbonnaise.

Célimène n'est pas le seul type curieux qu'il m'a été donné de connaître à Saint-Paul. Je dois aussi une mention au docteur indien Canacapoulé, que la nature libérale a doté de six doigts à chaque main. Il traite tous ses malades par le mercure, et croit avoir trouvé un moyen de solidifier à la température ordinaire ce liquide si mobile, qui ne se congèle qu'à trente-neuf degrés audessous de la glace. Mais Canacapoulé a une foi de brahmane; au besoin il use de subterfuge et prétend avoir solidifié le vif-argent quand il en a fait une pâte avec les simples au milieu desquelles il le broie. Q Bon blanc, vous, me disait-il, quand j'essayais de le suivre dans ses digressions chimiques ou médicales, vous, bon blanc. " C'est à peu près tout ce qu'il savait de français, et comme je n'en savais pas autant de langue tamule ou d'indoustani, nos conversations s'arrêtaient là, ou se complétaient par des signes énergiques, afin d'être bien compris.

Pourquoi ne pas donner aussi une place, dans cette galerie de portraits, an créole Pomphily, ancien douanier à Saint-Paul, aujourd'hui directeur de la poste. En souvenir des nombreux navires qu'il a dans le temps visités et inspectés il a disposé dans son bureau une strie de ficelles courant sur des poulies, véritables câbles en miniature. C'est par ce moyen qu'il ouvre et ferme les portes et fenêtres du temple postal, et qu'il fait descendre ou enlève les placards indiquant au public que le courrier est arrivé, ou que le bureau sera ouvert à deux heures. Le père Ponphily, le parfait postier, comme on l'appelle, professe une haute estime pour tous les Européens. Il a fait fi des préjugés créoles, en épousant une mulâtresse, et cite avec orgueil ses aïeux, les Malouins, qui ont colonisé le globe. Les habitants de Saint-Paul prétendent qu'il est un peu fastidieux; en retour, il est pour tout le inonde d'une complaisance à l'épreuve, porte dans son service la rigidité et l'amour de la discipline d'un ex-douanier, et proclame partout son respect profond pour son grand chef, le gouverneur de la colonie. Au besoin il rendrait au baron Darricau les mêmes honneurs que les Indiens de l'Amérique du Nord rendaient jadis à Bas de Cuir.

Les lieux méritent, à Saint-Paul, d'être étudiés comme les hommes. C'est près de la ville qu'est le Bernica, aux eaux limpides, aux bassins profonds, encaissés entre deux remparts à pic. Le dernier bassin, qui est aussi le plus grand, ressemble à un ancien cratère.

En remontant la rivière des Galets, on arrive à des sites non moins grandioses et non moins imposants que celui du Bernica. C'est en cet endroit, au delà du Brûlé de Saint-Paul, que se trouvent les eaux sulfureuses de Mafatte. Elles ont été découvertes, il y a quelques années, par un habitant de ce quartier, M. Troussaille fils, hardi chasseur et l'un des plus infatigables passe-ors de remparts de la colonie. Le chemin pour arriver à la source sulfureuse où l'on a établi des bains, est encore bien accidenté, et il y a plus d'une échelle à franchir.

Non loin des gorges de Mafatte est Aurère, locatif aussi sauvage et d'un accès aussi difficile. MM. Lernarchand, qui ont entrepris la culture de ces points élevés, y ont trèsbien réussi. Ils ont acclimaté à Aurère plusieurs arbres fruitiers d'Europe, l'olivier, l'abricotier, le prunier, l'amandier, et d'autres de la même famille. Le pin et le chêne y sont aussi d'une belle venue. Du plateau d'Aurère, le coup d'oeil dont on jouit est à la fois l'un des plus sévères et des plus majestueux de File. D'un côté, le Cimandef, de l'autre le grand Bénard, élèvent à des hauteurs de 23110 et 2900 mètres leurs cimes déchiquetées, et entre les deux chaînes, à l'horizon, apparait le point culminant de l'ile; le Piton des Neiges, dont l'élévation dépasse 3000 mètres. Il est là comme un géant qui s'appuierait de chaque main sur la tête d'un de ses enfants.

III
DE SAINT-PAUL A SALAZIE.

La Partie du vent et celle sous le vent. - Calme de la vie coloniale. - Retour à Saint-Denis. -- Sainte-Marie. - Sainte-Suzanne. - Envahissement de la canne à sucre. - Disparition des caféiers et des arbres à épices. - Le Champ Bo, ne.- Saint-André. - Chansons provençales. - Excursion à Salazie. -L'histoire du nègre Encheing. - Naufrage au port.

Saint-Paul a été jusqu'à ces derniers temps le chef-lieu d'un des arrondissements de l'ile appelé la Partie Sous-le-Vent. La Réunion est divisée en deux régions principales, et Saint-Denis est à la fois la capitale de la colonie et le chef-lieu de la Partie-du-vent. Ces dénominations sont empruntées au langage maritime, et viennent de la position qu'occupent chacun de ces districts par rapport à la direction des vents généraux de la contrée.

La Partie-du-vent est la plus fertile, la plus fraîche, et il y pleut presque toute l'année.' Les brises y sont aussi très fortes et souvent très désagréables, comme à Saint-Denis. la Partie-sous-le-vent est en bien des points stérile; il n'y pleut guère que pendant la saison pluvieuse, l'été, c'est-à-dire d'octobre à mars, mais il y pleut alors à torrents , connue dans toute file. La chaleur y est en même temps très-élevée, et le thermomètre monte souvent à trente-cinq degrés centigrades. Pendant la saison sèche, la température baisse, le ciel est toujours serein, aucun nuage n'en voile l'azur. SaintPaul jouit alors d'un climat des plus agréables qui compense les fortes chaleurs de l'été.

Malgré le calme et la douceur d'un si beau séjour, qui semble convier au plaisir et à la vie extérieure, les Saint-Pauluis, comme on les nomme, vivent confinés dans leurs silencieuses demeures; on ne remarque un peu de mouvement le jour que dans les rues principales de leur ville. Les beaux jardins plantés au devant de chaque maison restent sans culture, les varangues tombent en ruines : on dirait des demeures inhabitées. Le soir toute vie s'éteint. C'est à peine si la pâle lumière d'un lustre éclaire quelques varangues, et pendant que, devant la grille qui donne sur la rue, les domestiques de la maison, tous pêle-mêle, hommes et femmes, Indous ou noirs, se livrent à une. conversation banale, on entend les maures qui, étendus dans leurs vastes fauteuils, sommeillent d'une façon sonore sous la varangue ou dans le jardin. Bientôt la lumière s'éteint, et avec elle le peu de vie qui restait. La ville se cristallise et ne consent à renaître que le lendemain avec le jour. Or on sait qu'il est nuit de bonne heure sous les tropiques et que les crépuscules y sont de peu de durée, et cela toute l'année. Le soleil se lève tard aussi, et c'est partant douze heures de mort auxquelles, de gaieté de coeur, se condamnent quotidiennement les Saint-Paulois. Ils sont renommés dans toute la Réunion pour cette vie paresseuse, indolente; et bien qu'à Saint-Denis et à Saint-Pierre les soirées ne soient pas souvent plus attrayantes, les Saint-Paulois remportent encore le prix de la nonchalance et du laisser-aller.

Je n'étais pas venu à Saint-Paul pour me confire dans cette existence de moine, et je profitai des premiers beaux jours de mai pour retourner à Saint-Denis. Après avoir de nouveau passé quelque temps dans cette ville, et fait une visite au gouverneur de la colonie, l'excellent M. Darricau, que j'allais voir dans son ermitage de Saint-François, à cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer et de l'hôtel du gouvernement, je repris le bâton de voyage. Un créole dont j'étais devenu l'ami, et qui portait glorieusement le prénom romain de Manlias, me proposa de l'accompagner jusqu'à sa propriété de la rivière des Roches et de là aux sources thermales de Salazie. Je n'eus garde de refuser, et le 7 mai nous partîmes de Saint-Denis.

La route, au sortir de la ville, est des plus animées. C'est un véritable jardin, c'est le gracieux commencement de cette route de ceinture qui fait tout le tour de l'île, ayant pour limites d'un côté la mer qui vient caresser les talus du chemin; de l'autre des plantations de vanilles autour des manguiers aux ombrages sombres, ou bien des champs de cannes et de maïs, dont le vent balance les aigrettes. De loin en loin des villages coquets, tels qu'on n'en voit qu'à Bourbon, cachés derrière les cocotiers et les tamarins, se succèdent comme les anneaux d'une chaîne, pour varier ce paysage enchanteur. A droite, à l'horizon, une série continue de pitons basaltiques, roches vomies par le feu central de la terre et émergées du fond de l'Océan, court dans la direction du nord-ouest au sud-est, suivant le grand axe de file. Les flancs de ces montagnes abruptes sont couverts de forêts encore vierges, où se retrouvent le bois d'ébène, le bois de ronde, le bois d'olive, le bois puant, le bois blanc, le bois jaune, et mille autres essences coloniales, aussi naïvement dénommées.

Le village de Sainte-Marie, placé auprès de Saint-Denis, comme Auteuil à côté de Paris, formait la première étape de mon agréable excursion.

De Sainte-Marie à Sainte-Suzanne, les maisons vont se succédant à droite et à gauche de la route. Bientôt on aperçoit le phare de Bel-Air, qui dresse au milieu des filaos sa tour blanchie, dont la base est baignée par les vagues. Après Sainte-Suzanne vient le Quartier-Français, autrefois planté de riz, de blé et de maïs, aujourd'hui semé de cannes comme toutes les terres de la colonie. La précieuse graminée a tout envahi; elle s'étend jusqu'aux flancs des montagnes, elle s'avance jusque sur les rivages de lamer. Pour elle on néglige tout. Le riz, base de l'alimentation créole, est tiré des colonies de l'Inde, ainsi que les grains pour les bestiaux. La viande de boucherie et les oiseaux de basse-cour viennent de Madagascar, dont on exporte aussi du riz faisant concurrence à celui de l'Inde. Il se peut qu'en continuant ce système la colonie meure un jour de faim. Mais qu'importe? La canne est d'une culture assurée, donnant de très grands profits; elle -résiste aux ouragans, et la récolte ne manque jamais.

Les propriétés fertiles du Champ-Borne, que nous ne tardâmes pas à traverser, sont elles-mêmes presque partout cultivées en cannes. Au siècle passé, elles produisaient surtout du café et des épices, qui firent à cette époque la fortune de la colonie. Le café, dont les plants avaient été directement importés de Moka, et les arbres à épices, le giroflier et le muscadier, que le naturaliste .Poivre, au péril de ses jours, était allé emprunter aux colonies hollandaises de l'Inde, faisaient de file Bourbon, au dix-huitième siècle, comme un immense verger fleuri. Les ouragans de 1806 et 1807 et celui de 1829 détruisirent successivement tous les grands arbres de file, les arbres à épices, puis les bois noirs qui servaient d'abri aux caféiers. La culture alors changea, et la canne, que l'on exploitait avec succès à Maurice, fut importée en 1815 à Bourbon. On sait l'essor qu'elle y a pris depuis. Les autres cultures ont été négligées; cependant on récolte toujours au Champ-Borne du tabac dans une grande proportion, et les créoles fument avec délice les feuilles provenant de ce district, roulées en odorantes et humides carottes. La culture des arbres à fruit, surtout les oranges, les citrons-galets, les vangassayes ou mandarines de Bourbon, est également d'un très bon revenu dans cette localité.

En quittant le Champ-Borne, je traversai Saint -André, autre quartier semé de fleurs et couvert d'ombre comme les précédents. Çà et là sont quelques riches habitations reliées à la route par de magnifiques allées de palmistes. Cet arbre croît naturellement dans les bois de l'intérieur. A la partie supérieure du tronc est un bouquet de feuilles tendres enroulées et fortement comprimées les unes sur les autres : c'est le chou. On abat l'arbre pour manger le chou, et c'est la meilleure salade et le plus agréable légume que l'on puisse servir sur une table de gourmet.

Au sortir de Saint-André, je traversai sur un pont suspendu la rivière du Mât. A l'époque des pluies, ce ruisseau roule des eaux impétueuses, mais jamais son pont n'a été emporté.

La rivière des Roches, qui succède à celle du Mât, marquait le terme de ma course. Je trouvai chez mon ami bon souper et bon gîte, et je remerciai les dieux. Son respectable père, que la mort a depuis ravi aux soins respectueux de son fils et à l'estime de tous ses amis, vivait là en patriarche. C'était un Marseillais de vieille souche, qui savait par cœur toutes les chansons provençales des anciens et des nouveaux troubadours. Il m'accueillit avec un refrain, et nous nous uranes tous gaiement à table. Voyageur cosmopolite, je m'étais fait à la vie créole et au régime alimentaire des colons. Le riz arrosé de carry, le piment brûlant comme le poivre, les achards colorés par le safran, les rowyayes funestes aux palais novices, étaient devenus pour moi des mets favoris et ne m'avaient étonné que les premiers jours. Je mêlai tout cela dans la même assiette avec le poulet en entre, les brèdes ou feuilles de morelles et les biclziy2ees, ces microscopiques poissons dont on avale plus de cent dans une cuillerée. Suivant la mode coloniale, nous avions chacun un grand verre pour l'eau et un petit verre pour boire le vin et porter les santés. Devant nous était aussi le sacramentel lavabo de cristal bleu que l'on sert à Bourbon dès le commencement du dîner, et où j'ai vu des créoles se laver les mains par intervalles pendant tout le temps du repas. Le comble du bon goût consiste à y tremper de temps eu temps les deux doigts, et à les passer ensuite sur les moustaches, quand on est muni de cet appendice flatteur.

Nous ne fîmes point, cher M. Manlius, cet usage irrévérencieux du lavabo; notre hôte ne nous servit pas non plus un de ces repas homériques, tels qu'on en donne quelquefois à la Réunion, où, comme dans l'Iliade, on sert sur la table des moutons et jusqu'à des bœufs tout entiers; mais nous nous conduisîmes tous bravement. Une montagne de riz, tout un jardin de brèdes, deux ou trois hôtes de la basse-cour, et plusieurs milliers de bichiques disparurent en un clin d’œil. Il paraît que l'appétit s'augmente à la chaleur des tropiques. Il en est de même de la soif. Nous portâmes tour à tour nos santés respectives, et, le dessert venu, M. Manlius père nous chanta, d'une voix encore fraîche, tous les refrains provençaux qu'il avait appris dans son jeune âge. Cette belle langue du midi, sonore et harmonieuse, mêlée de grec et de latin dont elle a gardé la prosodie, m'était encore plus douce à entendre à trois mille lieues du sol natal. Je remerciai du fond du cœur mon aimable compatriote, dont les souvenirs étaient si vivaces, et dont les chants venaient de me rappeler les plus beaux jours de mon enfance.

Aux alentours de l'habitation où cette gracieuse hospitalité m'était offerte, croissaient des arbres à épices, derniers restes de ceux du siècle passé. Le cacao, le manioc, la vanille, étaient également cultivés. Vers la rivière des Roches, le mangoustan, le jamalac, le jamrose, couvraient le sol de leurs frais ombrages.

C'est de cette douce retraite où je passai quelques-jours si heureux, due je partis un matin pour aller visiter les eaux thermales de Salazie. Elles sont situées à l'extrémité des gorges de la rivière du Mât, à près de mille mètres d'altitude. Ce n'est plus une localité tropicale, c'est une vraie situation alpestre, et les habitants de Bourbon viennent souvent, en été, demander à ces lieux la fraîcheur des contrées tempérées.

Tout le long de la rivière du Mât, la route s'attache aux flancs d'une haute montagne, avec un précipice à pic en contrebas, et au-dessus de l’abîme, des colonnes de basalte qu'on dirait prêtes à tomber sur la tête du voyageur. Le pont en charpente de l'Escalier, le pont américain de Salazie, marquent deux étapes de cette roule pittoresque. Des framboisiers et groseilliers sauvages , des chouchous s'étendant sur le sol comme des lianes, croissent tout le long du chemin. Çà et là une source d'eau fraîche, qui parfois tombe en cascade, semble couler à dessein comme pour offrir au piéton un moyen peu coûteux de se désaltérer agréablement.

M. Manlius fils m'accompagnait. A Salazie, où nous nous arrêtâmes, il me présenta au créateur de ce village, M. Cazeaux, qui, en 1830, s'était fixé dans ce désert avec sa famille. Alors la rivière du Mât n'était pas pontée; il fallait en chercher les gués à tâtons, et M. Cazeaux se rappelle l'avoir franchie plus (le trente fois pour arriver an terme de sa course. Une année que l'orage avait gonflé le torrent outre mesure , il ne put descendre de tout un mois à Saint-André pour renouveler ses provisions, et il serait mort (le faim sans un champ de citrouilles qu'il avait planté, et auquel il dut la manne providentielle qui le sauva lui et les siens.

Je passai la nuit à Salazie, et le lendemain avec l'aube je poursuivis ma route jusqu'aux sources thermales, par les rampes (le la Savane et la 1~Tare à poules d'eau, deux sites qui me rappelèrent, en miniature il est vrai, l'un les gorges sauvages des Pyrénées, l'autre les lacs paisibles de la Suisse entourés de sombres forêts. C'est par ce chemin pittoresque que j'arrivai au fond du cirque de Salazie. Je visitai l'établissement de bains, l'hôpital et quelques gracieux cottages des environs. Les eaux minérales se dégagent de deux sources différentes, l'une chaude à trente-deux degrés, l'autre à la température ordinaire. Elles sont ferrugineuses, gazeuses et alcalines. Elles ont été découvertes en 1831 par des chasseurs de cabris. On leur trouve beaucoup de ressemblance avec les eaux de Vichy, et, de même, elles sont employées avec avantage dans les maladies de foie et d'estomac. Fraîches, elles forment une très agréable boisson et moussent comme l'eau de Seltz. Les travaux de captage des sources thermales n'ont pas été conduits avec assez de soin, l'eau du ravin voisin s'est mêlée avec l'eau minérale, et l'on est obligé de chauffer les bains pour les malades, ce qui fait perdre à l'eau une partie de ses éléments chimiques, et partant de ses propriétés médicales.

Le cirque de Salazie est avec le volcan du Grand Brûlé et le cirque de Cilaos, deux autres localités que nous visiterons bientôt, un des points les plus curieux de file de la Réunion. Les montagnes qui forment le cirque s'élèvent à pic de toutes parts, elles sont couvertes d'arbres, et leur cime est souvent cachée dans les i nuages. Le Piton des Neiges, le Gros-Morne et les Trois-Salazes, points culminants de file, apparaissent derrière le cirque et en forment comme le dernier plan. En se retournant vers Salazie, on aperçoit à sa droite la montagne ou rempart de la Fenêtre avec son rideau d'éternelle verdure, d'où s'échappent de nombreuses cascades à l'écume blanche qui tombe en poussière. Cette montagne a été ainsi nommée de la curieuse anfractuosité qui interrompt en un point sa crête rectiligne. A gauche, est le morne de Fourche, et au milieu, isolé comme un cône gigantesque, le Piton d'Encheing, dont la pointe s'élève jusqu'à 1400 mètres de haut.

Ce Piton a sa légende. Encheing était un esclave Mozambique qui brisa ses fers et partit marron. Il se cacha dans les gorges de la rivière du Mât, en ces temps-là inhabitées, et pour échapper encore plus sûrement aux recherches des détachements qu'on envoyait alors à la poursuite des esclaves fugitifs, il gravit les flancs escarpés du piton auquel il a donné son nom. Il se tapit dans une ajoupa, sorte de cahute de sauvage, et vécut là de racines, de songes et de fanjans, fougères qui renferment une fécule nourrissante. L'eau était fraîche et pure aux environs, et il n'en fallait pas davantage au bon Africain, qui ne demandait que sa liberté sous la lumière du ciel. Encheing avait été suivi de sa femme; pendant dix ans il vécut dans cette retraite inaccessible, content et heureux. Il y fut bon époux et bon père, et, sans que le fouet du commandeur s'en mélât, il éleva du mieux qu'il pût les sept enfants que lui donna sa fidèle compagne. Mais trop de sécurité nous perd, et un jour qu'Encheing avait allumé du feu devant sa cabane, la fumée bleuâtre qui montait au milieu des arbres, fit découvrir sa retraite. Il fut pris sans même pouvoir se défendre, et ramené à son maître qui, (lit-on, lui pardonna par pitié pour sa nombreuse famille.

Comme mon compagnon achevait de me raconter cette intéressante histoire, nous étions de retour au village de Salazie. Nous fîmes atteler notre voiture et descendîmes au petit trot la route en précipice qui mène à Saint-André.

Il n'y a du côté de l'abîme aucun parapet, pas même de garde-fou. La Providence veilla sur nous une partie du chemin, mais à peine avions-nous franchi le pont de l'Escalier, que notre cheval s'abattit. Un des brancards se cassa et nous fûmes projetés hors du véhicule. Nous nous en tirâmes sains et saufs, allant tomber juste sur le milieu de la route, sans la moindre fracture.

Après avoir réparé du mieux que nous pûmes le dégât de notre carriole, nous la rernîmes entre les mains du domestique indien qui nous avait suivi, courant derrière la voiture, suivant l'habitude du pays. Nous terminâmes le voyage à pied ; mais le courroux du ciel s'était décidément déchaîné contre nous, car à peine étions-nous sortis de Saint-André que la pluie tomba à torrents. C'était une de ces pluies comme on n'en voit que sous les tropiques et dans ces parages de l'île Bourbon. Toutes les cataractes d'en haut coulaient à la fois; il tomba plus d'un pied d'eau en une heure; les éclairs illuminaient à chaque instant l'horizon, et le tonnerre répété par tous les échos des montagnes faisait entendre un roulement continu. En même temps la nuit était tout à coup venue, noire et profonde à ne pas voir à deux pas devant soi. Je ne devinai plus mon chemin qu'à une rivière qui, descendant par l'axe fortement incliné de la route, m'inondait jusqu'à mi jambe et menaçait de m'entraîner. Je distinguais à peine mon compagnon, et nous poussions de temps en temps de grands cris pour ne pas nous perdre l'un l'autre. Enfin on vint au-devant de nous avec des lanternes , et nous arrivâmes littéralement mouillés jusqu'aux os. C'est ainsi que se termina de la façon la plus inattendue une excursion agréablement commencée. Nous fîmes naufrage au port, et si nous ne pûmes pas dire que notre partie était tombée à l'eau, du moins on aurait pu croire que nous y étions tombés nous-mêmes.

L. SIMONIN.

(La fin à la prochaine livraison.)

Update: 5/02/03
Page d'accueil du site